Je souhaite revenir sur l'importance de redéfinir les gouvernances, sur le rôle des grandes institutions et sur la maternité. J'ai moi-même deux jeunes enfants et ce n'est pas tous les jours facile. Le quotidien nécessite une organisation absolue, il n'y a aucune marge pour l'imprévu. C'est peu de sommeil, beaucoup de travail, et sans doute un regard social qui n'est pas simple, fait d'un mélange d'admiration et d'une certaine forme de reproche. Ma mère, qui pourtant me soutient, me fait parfois remarquer que ma fille serait mieux avec moi plutôt que de passer encore son mercredi au centre de loisirs. Il ne faut pas se laisser arrêter par ce type de discours. Dès lors, je suis favorable à un collectif à la tête d'un établissement. Cela permettrait une meilleure répartition des questions domestiques. Nous ne sommes pas tous obligés de nous lancer dans la course de celui qui éteint la lumière le plus tard. Or, on est encore dans cette logique : c'est à celui qui répondra à ces mails à deux heures du matin, qui travaille le plus. Il y a des modalités de travail, d'équilibre à trouver entre vie privée et vie professionnelle. Je suis fascinée de voir que lorsque l'interlocuteur est un homme, l'on ne se pose jamais à la question de savoir s'il s'occupe des enfants où à quelle heure il rentre le soir. Moi, je tiens à dire que j'ai deux enfants et que, par conséquent, je ne peux pas prendre de rendez-vous à certaines heures, même si je suis disponible avant ou après. Le prochain spectacle que j'organise est au festival d'Avignon. Or, nous avons l'une de nos comédiennes qui a accouché il y a un mois et nous répétons la semaine prochaine. Nous avons trouvé un arrangement : elle rentrera chez elle entre midi et deux heures, et pourra amener son enfant avec elle pour l'allaiter. Nous allons intégrer ce bébé. Je n'allais pas lui dire qu'il fallait choisir entre le bébé et jouer au festival d'Avignon ! Ce n'est pas la législation qui peut déterminer comment ces cas particuliers vont être réglés. Il y a deux faces obscures au génie : la famille et l'argent. On ne veut parler que de talent, de forme, d'aspiration. Mais dans la réalité, c'est beaucoup plus pratico-pratique. Quel est le montant du financement dont nous disposons ? Combien de temps avons-nous ? Combien de semaines de répétition puis-je financer ? Il faut dire les choses. De même, nous devons dire aux jeunes filles de 18 ou 20 ans qui sont dans les écoles et conservatoires, que si elles ont pour l'instant l'impression que les choses se passent comme pour leurs camarades, dans dix ans, cela changera quand elles voudront avoir un enfant. Elles doivent se poser dès maintenant la question de savoir comment elles vont faire. Car au même moment, tous les gynécologues de France et de Navarre vous disent que c'est de la folie de vouloir un enfant après 40 ans, qu'à cet âge cela n'est plus possible. Ce sont des sujets liés. Il n'est pas question de légiférer, mais il est question de le dire aux premières et aux premiers intéressés : ce ne doit pas être un tabou, mais ce n'est pas non plus dénué de toute importance. Les conditions invisibles sous-jacentes à la création, au talent artistique, sont fondamentales.