Je suis heureux d'être parmi vous. Cette audition, ainsi que la « sublimation » du CPLD en Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) en 2006, constituent une reconnaissance du travail accompli par le Conseil. Pourtant, les problèmes sur lesquels nous attirions l'attention demeurent, liés au comportement des sportifs ou à l'internationalisation du sport. Le CPLD a été créé par une loi votée à l'unanimité à l'Assemblée nationale comme au Sénat, le 23 mars 1999. Le décret lui donnant ses compétences disciplinaires n'a été publié qu'un an après. Je garde de cette expérience un souvenir très fort. C'est toujours un honneur de mettre en place une institution nouvelle. Nous avons avancé à tâtons, mais notre volonté était forte. Le collège composé de personnalités remarquables et très diverses a toujours approuvé de manière consensuelle les actions menées, y compris les procédures disciplinaires.
Comme l'intitulé du CPLD l'indique, nous travaillions selon deux axes : prévention et lutte contre le dopage. Les médias s'intéressaient davantage à ce dernier aspect, surtout préoccupés de savoir si tel ou tel sportif célèbre allait faire l'objet de sanctions. Le CPLD pouvait infliger une peine d'interdiction de participer à des compétitions sportives. La première sanction prononcée a eu une valeur fondatrice.
Pourtant, à mes yeux, l'essentiel n'est pas là. Le CPLD a été créé à la suite de l'affaire Festina. Le dopage a toujours été entouré de beaucoup de mensonges et d'hypocrisie. Le Conseil a eu un rôle fondamental pour améliorer l'information et la transparence. Selon moi l'acte fondateur a été la publication d'un communiqué de presse à l'issue du Tour de France 2000 annonçant que 96 contrôles avaient été réalisés, 45 d'entre eux révélant la prise de substances dopantes. Quelle émotion suscitée... Cela ne signifiait pas que 45 % des coureurs du Tour étaient dopés car la consommation de telles substances est parfois justifiée par des raisons thérapeutiques. Mais souvenons-nous qu'à l'époque, il suffisait de présenter une ordonnance, établie par n'importe quel médecin, spécialisé ou non, pour échapper aux sanctions ! Il ne s'agissait que d'une communication factuelle, mais l'UCI et son président, M. Hein Verbruggen, ont mal réagi. Pourtant, à partir de ce moment-là, nous avons pu mener des actions fructueuses.
Les sanctions disciplinaires sont nécessaires. Lorsque j'ai quitté la présidence du CLPD en octobre 2003, la majorité des cas que nous avions eu à connaître concernait des sportifs jeunes ou amateurs qui se dopaient sans méthode. Les auditions étaient déprimantes. Tel jeune se dopait car ses parents le poussaient à pratiquer l'haltérophilie tous les jours. Tel autre avait pris du clenbutérol, produit réservé aux chevaux, dont il avait trouvé un flacon à l'écurie. À l'inverse, des sportifs connus, assistés d'avocats, passaient entre les gouttes !
Toutefois la prévention est plus importante. Reste à trouver le bon angle pour atteindre la cible. L'effet sur la santé est évident, nous le savons, même si nous n'avons jamais pu obtenir aucune étude épidémiologique sur la santé des anciens sportifs. Depuis toujours les sportifs se dopent. La dopette des années trente n'était pas très grave, mais depuis cette époque, des produits plus toxiques sont apparus. Mettre en garde contre les effets sur la santé individuelle, les conséquences sur les reins ou le foie après quarante ans ? Les jeunes ne comprennent pas ce discours. À 18 ans, 45 ans c'est loin : ils veulent « s'éclater », gagner de l'argent, le reste ne les touche pas ! À l'époque il s'agissait surtout du cyclisme. Aujourd'hui semble-t-il, le rugby est aussi très atteint par le dopage. Quant au discours « se doper c'est tricher », tous n'y sont pas sensibles.
Nous avions tenté de montrer que le dopage concerne toutes les disciplines et toutes les catégories, les professionnels comme les amateurs, les jeunes comme les plus âgés. Un reportage montrait que la majorité des cyclistes du dimanche faisant le tour du bois de Boulogne prenait des comprimés. Il n'y a aucun enjeu pourtant, ils ne reçoivent ni chèque, ni cocotte-minute. Mais ils veulent la gloire de gagner... Tout le monde est touché.
La prévention est l'affaire de tous. Des pouvoirs publics tout d'abord : Mme Marie-George Buffet, alors ministre, s'est investie avec beaucoup de courage dans ce combat, comme M. Jean-François Lamour après elle ; l'affaire des collectivités territoriales, également, et de l'ensemble des instances sportives - du Comité national olympique jusqu'aux clubs les plus modestes, les fédérations agréées, les ligues régionales, les comités départementaux -, comme des professions de santé. C'est aussi l'affaire de l'éducation nationale. J'ai eu beaucoup de mal à nouer des liens avec les professeurs d'éducation physique. Grâce au concours de fonds européens, nous avions développé un programme destinées aux classes sport études, où sont formés les sportifs et les professionnels du secteur, entraîneurs, gérants de magasin de sport, etc. Au terme d'un travail interactif, les classes devaient rédiger une charte sur le dopage. Cette sensibilisation, même si son effet dans la durée est peut-être limité, est plus efficace que les grandes campagnes générales sur le thème « il n'est pas beau de tricher ».
Un mot sur le rugby. Lorsque je présidais le CPLD, la professionnalisation était déjà amorcée. Il était évident qu'elle s'accompagnerait d'un dopage accru. Les contrôles étaient peu fréquents, les résultats de ceux-ci guère meilleurs que dans les autres disciplines. La professionnalisation a des effets visibles sur l'évolution de la morphologie des athlètes ! Certes, l'entraînement contribue au développement de la masse musculaire, mais des substances y aident aussi. La professionnalisation a eu également des conséquences sociales. Les grands clubs ont relégué dans l'oubli les équipes du cru. Le lien social créé par le rugby à l'époque où il était constitué de sept poules de huit équipes a disparu.
À la lecture du dernier rapport annuel de l'AFLD, j'ai constaté que les contrôles antidopage soulèvent aujourd'hui les mêmes problèmes. Une Agence mondiale antidopage (Ama) a été créée, hélas trop dépendante du CIO. Certes, grâce à M. Jacques Rogge, des progrès importants ont été accomplis au niveau international. Mais l'entrée en vigueur du Code mondial antidopage, introduit dans notre droit, a donné un coup de canif à la pratique française des contrôles. La France avait été le premier pays, avec la Belgique, à engager une lutte efficace contre le dopage. Désormais, les contrôles sont effectués par les fédérations internationales lors des événements sportifs internationaux, ou avec leur accord. J'y étais très opposé. Jusqu'en 1999 en effet, les contrôles antidopage à Roland-Garros, réalisés sous l'égide de l'ATP, avec le concours d'un laboratoire étranger, sans intervention du laboratoire de Châtenay-Malabry, n'ont jamais révélé le moindre cas positif. Comme par hasard, la première année où nous avons pu procéder à nos propres contrôles, six ont révélé l'usage de substances dopantes. C'est pourquoi la prérogative des organisations internationales en matière de contrôles m'inquiète.
Autre sujet d'inquiétude, la double liste des produits dopants. En 2002 une distinction a été établie entre produits interdits en compétition et ceux interdits de manière permanente. Distinction catastrophique ! Il y a dix ans on parlait peu d'EPO, on savait mal la détecter. J'ai milité pour l'instauration de contrôles sanguins. Aujourd'hui deux tiers des contrôles sont urinaires, un tiers sanguins.
De grands progrès ont été réalisés, en particulier grâce à l'action de l'AFLD. Au niveau mondial, la prise de conscience varie selon les disciplines. Certains responsables sportifs sont toujours réticents à s'attaquer de front au sujet. Le spectacle avant tout... Mais il n'est pas certain que la montée jusqu'au col d'Aubisque soit moins intéressante à 25 kilomètres heure qu'à 30 !