Intervention de Antoine Vayer

Commission d'enquête sur la lutte contre le dopage — Réunion du 11 avril 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Antoine Vayer ancien entraîneur d'équipe cycliste professionnelle et professeur d'éducation physique et sportive

Antoine Vayer, ancien entraîneur d'équipe cycliste professionnelle et professeur d'éducation physique et sportive (EPS) :

Je me réjouis d'être parmi vous. La lutte contre le dopage est un sujet que je n'aborde pas avec cynisme. J'ai prêté serment. Albert Camus, membre de l'équipe de football du Servette de Genève, avait coutume de dire qu'on parlait du dopage comme de la misère : la plupart du temps, on n'y connaît rien. Je suis immergé dans le problème depuis des années : en tant que professeur d'EPS, puis en tant que coureur, puis entraîneur de l'équipe Festina. Mes activités concernant la lutte antidopage me donnent également le statut de témoin. Ce n'est pas la première fois que je suis auditionné sur le dopage, sans résultat concret. J'espère que cette fois il en ira différemment.

Avant d'entrer chez Festina, j'étais un passionné de cyclisme. Une passion qui rend aveugle un certain temps, mais pas sourd ni muet. Lors des évènements de 1998, j'ai expliqué la situation à un conseiller de Marie-Georges Buffet. Il croyait l'affaire terminée. Je l'ai détrompé. Je voulais faire savoir ce qui se passait. La lutte antidopage est le dernier souci des gens qui se dopent. Les sportifs aiment le risque, qui les excite.

Je suis allé à deux reprises rue de Varenne. J'ai rencontré un conseiller de Lionel Jospin. La première fois, en 1999, il voulait absolument me « récupérer » pour que je travaille sur le sujet. La deuxième fois, il faisait ses cartons et s'est dit désolé...

J'ai demandé à l'AFLD de financer une étude sur les watts. M. Roux-Comoli m'a reçu, mais nous avons fait l'étude nous-mêmes. J'ai déjeuné avec Marie-Georges Buffet au ministère, avec Christophe Bassons. J'ai prédit devant elle comment Miguel Martinez allait gagner les Jeux olympiques et il a gagné. Elle parlait déjà du rugby à cette époque. En 2001, j'ai élaboré la charte « 100 pour 2 000 », qui a été signée par 75 députés, des personnalités de la culture et du sport et présentée à l'Unesco.

J'ai transmis à M. Rémoleur, le conseiller de Mme Bachelot un dossier sur les profils physiologiques, qui a été repris presque in extenso dans L'Équipe. Dans la foulée, j'ai été reçu à l'AFLD par M. Rochcongar, qui a fait une synthèse des dossiers.

L'omerta et la camorra règnent dans le domaine du dopage. Depuis 1999, j'ai écrit dans la presse nationale : pour Le Monde en 1999, L'Humanité en 2001, Libération pendant sept ans, et j'écris à nouveau des chroniques dans Le Monde. En 2001, j'ai été attaqué en diffamation suite à mon article intitulé « À qui le Tour ? ». Tout y était dit : sur Armstrong, Jean-Marie Leblanc, Philippe Sudres notamment. Depuis, Jean-Marie Leblanc m'a expliqué que l'action en justice visait à me faire taire.

En 2007, Bernard Hinault m'a menacé suite à un article sur « les ex ». Si je continuais d'écrire, cela irait mal pour moi... J'ai aussi reçu un mail de Christophe Moreau, qui fera l'objet de l'un des futurs portraits du magazine « Tous dopés, la preuve par 21 » : les menaces visant à me faire taire sont à peine voilées. Je suis droit dans mes bottes. Dans ce milieu, on cherche à nuire à ceux qui parlent.

En 1999, Pierre Ballester acceptait mon article « Il faut une révolution ». Depuis, rien n'a bougé. La révolution, c'est aussi se couper la tête... J'ai écrit au sujet des journalistes dits sportifs. Dès 1999, L'Equipe savait tout sur Armstrong, et titrait cependant : « Sur une autre planète », « Pour un nouveau siècle ». Le jour de l'exploit de Floyd Landis, c'est « la chevauchée fantastique », alors que tout le monde est au courant de ses pratiques. Après « Contador le matador », le titre va changer : « Un virage est pris ». Les Unes tournent comme on retourne sa veste... La naïveté est le fonds de commerce du dopage : le public adhère aux grands poncifs et les coureurs se disent « si les autres le font, je fais comme eux ». On entend aussi dire : « je veux gagner plus que 35 000 euros par an », « les contrôles ne marchent pas vraiment », et « que vont penser mes enfants si je ne gagne rien ? ». Voilà l'équation.

La lutte antidopage est une histoire de résistance. Nous aimerions être aidés de manière institutionnelle, car nous avons les clés du problème. Je fais partie d'un groupe de travail « Change cycling now », qui s'est réuni début décembre à Londres. Nous avons réfléchi à des solutions, autour de quatre thèmes : la création de commissions vérité réconciliation, l'indépendance des contrôles antidopage, un changement d'hommes aux postes clés de l'UCI et d'autres instances, et une évolution des mentalités.

Avec d'autres résistants, je réalise un magazine qui sera publié dans le monde entier, en Allemagne, en Angleterre, en Australie, aux États-Unis. « Alle gedopt ? » dans la version allemande, « Tous dopés ? » en français, apportera plus d'éléments que des rapports de 1 000 pages et que des contrôles de produits. Nos méthodes pour savoir si un athlète est dopé ne sont pas prises en compte ; elles sont pourtant fiables.

Je vous communique également, avec l'autorisation de M. Delegove, premier magistrat de l'affaire Festina, la lettre qu'il a rédigée à ma demande, dans laquelle il établit un parallèle entre le procès Festina et l'affaire de l'Usada.

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