C'était le sens de mon intervention précédente. Les médias -à commencer par la télévision- sont à l'origine du spectacle sportif. Sans eux, on retourne à une autre pratique du sport, celle qui existait avant l'Auto-Journal, L'Équipe, etc.
Nous nous étions amusés, au Monde, lors des Jeux olympiques de Pékin, dans le cadre d'un travail mené avec l'Institut de recherche biomédicale et d'épidémiologie du sport (IRMES), à démontrer que le pic de performances allait stagner et que, d'ici quelques années, on n'allait plus battre de record, ayant désormais atteint la limite des possibilités : j'ai l'impression que les performances des derniers Jeux olympiques nous donnent tort ! Je ne sais comment expliquer, si ce n'est par des facteurs exogènes, que les performances continuent à progresser. Si on compare le temps d'Usain Bolt et celui de Ben Johnson, qui avait été pourtant convaincu de dopage aux stéroïdes, ce dernier arrive quelques dizaines de mètres derrière Usain Bolt !
Notre société veut battre des records, réaliser plus de profits. Tout le monde veut vivre plus longtemps, courir, rester beau plus longtemps, avoir moins de rides. C'est un souhait que chacun partage. Il en va de même dans le sport : on veut battre des records, on souhaite que Lionel Messi marque plus de buts que Müller, qu'il gagne plus de ballons d'or que Platini...
Il ne s'agit pas d'une simple construction mentale des médias : l'opinion publique -concept auquel je crois, même si les médias contribuent à la façonner- veut que chacun se dépasse. On aimerait que ses enfants aient les meilleures notes à l'école. Je suis personnellement contre les notes à l'école, mais c'est un autre débat. Toutefois, il n'est pas si éloigné du sujet qui nous préoccupe... On veut toujours se mesurer à son voisin, aux autres, dans l'absolu. Albert Jacquard a écrit un livre pour les Jeux olympiques de Pékin afin de soutenir la candidature de Paris et proposer d'interdire les records et les classements ! Je ne suis pas sûr que ce soit possible, ni que l'on y soit prêt.