Intervention de Renée Nicoux

Commission des affaires économiques — Réunion du 15 mai 2013 : 1ère réunion
Réforme de la pac — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Renée NicouxRenée Nicoux, co-rapporteur :

Le processus de réforme de la politique agricole commune (PAC) pour la période 2014-2020 a été enclenché dès 2010 par la Commission européenne avec le lancement d'une consultation publique et un rapport d'orientation, dévoilant en partie ses intentions. Le Sénat s'est organisé afin de suivre très en amont la préparation de la future PAC. Un groupe de travail commun à notre commission et à la commission des affaires européennes a été constitué puis reconduit après les élections sénatoriales de 2011.

Un rapport d'information avait été produit par ce groupe de travail fin 2010. Intitulé « Redonner du sens à la PAC », il dressait un état des lieux de l'agriculture européenne et proposait quelques pistes pour la réforme, réclamant une clarification de la PAC et une plus grande ambition régulatrice, dans un contexte de volatilité croissante des prix et des revenus agricoles, qui ne s'est pas démentie depuis.

C'est en octobre 2011 que la Commission européenne a publié ses propositions concrètes pour la future PAC, à travers quatre projets de règlement : un règlement sur les aides directes, un autre sur le développement rural, un règlement sur l'organisation commune des marchés (OCM) et un règlement dit « horizontal », essentiellement consacré au financement de la PAC.

Sur cette base, les États membres de l'Union européenne ont débuté leurs discussions au sein du Conseil. De même, le Parlement européen, appelé pour la première fois à intervenir - la PAC étant soumise désormais à la codécision - a entamé des travaux approfondis. Nous avons d'ailleurs rencontré les rapporteurs Luis-Manuel Capoulas Santos et Michel Dantin lors d'un déplacement à Bruxelles en mai 2012.

Le cadrage financier très incertain de la future PAC laissait toutefois planer beaucoup d'incertitudes. Certes, les propositions de la Commission européenne de nouvelles perspectives financières pour 2014-2020 réduisaient les moyens de la PAC dans des proportions raisonnables, maintenant les crédits en euros courants à leur niveau atteint en 2013. Mais les exigences des États contributeurs nets, dont l'Allemagne mais aussi la France, tendant à réduire encore le budget européen dans un contexte de crise des finances publiques, ne pouvaient qu'avoir des conséquences négatives pour l'enveloppe de la PAC, qui constitue encore près de 40 % du budget communautaire.

Finalement, les chefs d'État et de Gouvernement des 27 sont parvenus à un accord sur le cadre financier pour 2014-2020 lors du Conseil du 8 février dernier, ce qui a eu pour effet d'accélérer le calendrier des négociations sur le fond de la réforme.

Le Parlement européen a voté en séance plénière pour arrêter ses positions sur les quatre textes de la Commission européenne le 13 mars dernier et les ministres de l'agriculture des 27 ont également trouvé un accord politique général le 19 mars. Les réunions du trilogue - Parlement, Conseil et Commission - ont débuté le 11 avril et se poursuivent, avec l'objectif affiché par la Présidence irlandaise de l'Union européenne d'aboutir à un accord général fin juin.

L'accélération est brutale. Il est dès lors nécessaire pour le Sénat de faire connaître sa position. Au demeurant, tout ne s'arrêtera pas avec l'adoption définitive des textes communautaires. La mise en oeuvre nationale de la nouvelle PAC aura aussi une très grande importance. Elle nous occupera probablement à partir du second semestre 2013 et une bonne partie de l'année 2014, car il est désormais acquis que 2014 sera pour la PAC une année de transition entre l'actuel système et le nouveau, qui ne pourra raisonnablement entrer en vigueur qu'en 2015.

La proposition de résolution qui nous est soumise est le résultat de la réflexion du groupe de travail sénatorial sur la réforme de la PAC, nourrie par les nombreuses auditions que nous avons effectuées. Elle reflète un large consensus et un souci d'équilibre dans notre approche de la politique agricole, ce qui explique pourquoi nos rapporteurs ne proposent pas d'amendements au texte adopté par la commission des affaires européennes.

Parler de la PAC suppose d'abord d'examiner son budget. Par rapport à la période 2007-2013, la rubrique 2 du cadre financier pluriannuel consacrée à la conservation et la gestion des ressources naturelles, qui accueille pour la presque totalité de son enveloppe les crédits de la PAC, baisserait de 12 % sur la période 2014-2020 en valeur réelle. En euros courants, il est probable, compte tenu de l'inflation prévisionnelle, que les mêmes montants seront reconduits chaque année. On peut donc parler de stabilisation des crédits de la PAC.

Le compromis du mois de février doit encore être validé par le Parlement européen, qui reste très réticent devant la baisse historique de l'enveloppe globale du budget communautaire, qui passerait à 0,95 % du revenu national brut de l'Union en crédits de paiement. Quoi qu'il en soit, la plupart des observateurs s'accordent à penser que la part des dépenses agricoles ne pourra plus être rognée.

Je salue la ténacité du Gouvernement français et du Président de la République dans la négociation, pour préserver une enveloppe globale substantielle pour la future PAC. Rien n'était joué d'avance. Comme le ministre Stéphane Le Foll nous l'a indiqué lors de son audition du 9 avril dernier devant notre commission, la France sort de la négociation avec une enveloppe d'un peu plus de 56 milliards d'euros, ce qui représente un peu plus de 8 milliards d'euros par an. Les réductions sur le premier pilier ont été en partie compensées par un bonus sur le deuxième pilier, la France ayant sur celui-ci un taux de retour faible.

Lors de nos dernières auditions, nous avons pu constater que le monde agricole était globalement satisfait d'avoir échappé à un réajustement plus sévère du budget de la PAC, même si nous devons nous garder d'avoir une vision seulement comptable de la politique agricole, car ce qui compte est d'abord le contenu de la politique que l'on souhaite mettre en oeuvre.

Parler de la PAC, c'est ensuite examiner son contenu. De ce point de vue, les propositions de la Commission européenne sont loin d'être révolutionnaires. La future PAC ressemblera furieusement à l'actuelle, reposant principalement sur un régime d'aides directes découplées, qui ne seront plus dénommés « droits à paiement unique » (DPU) mais « droits à paiement de base » (DPB).

Il n'est pas question de revenir à une politique de soutien par les prix. D'ailleurs, les propositions de la Commission en matière de régulation des marchés agricoles présentées dans le cadre de l'OCM sont très modestes. La PAC 2014-2020 reposera donc essentiellement sur les soutiens directs au revenu mais avec un souci de davantage de justice dans leur distribution à travers la convergence.

D'abord, entre États membres, la convergence permettra de rapprocher les niveaux de soutien, sans toutefois parvenir à une égalité totale en 2020, qui ne serait pas équitable, compte tenu des différences de niveaux de vie qui demeurent entre les pays. La Commission a calculé les dotations de chaque pays de manière à ce que soit comblé d'ici à 2019 un tiers de l'écart entre le niveau moyen des aides directes perçues par ses agriculteurs et 90 % de la moyenne des aides versées dans l'ensemble de l'Union européenne, qui s'établit à environ 300 euros par hectare. Le Parlement souhaite une convergence entre États membres plus rapide. Le Conseil estime que tous devraient atteindre au minimum le niveau de 196 euros par hectare d'ici 2020. Cette convergence sera financée par tous les États membres dont le niveau des paiements directs est supérieur à la moyenne de l'UE, proportionnellement à leur éloignement de cette moyenne, ce qui est peu pénalisant pour la France, située à un niveau proche de la moyenne.

La question de la convergence interne est plus sensible. Certains pays comme l'Allemagne sont passés aux mêmes niveaux d'aide au sein de chaque région agricole. En France, les aides directes sont encore calculées en fonction des références historiques, c'est-à-dire du niveau qu'avaient les aides couplées lorsque l'on est passé au découplage en 2006. Le principe d'une telle convergence ne pose pas de problème mais ses modalités sont délicates. La Commission propose une convergence interne forte et rapide avec un rattrapage de 40 % de l'écart dès la première année et un rattrapage total en 2019. Le Parlement européen comme le Conseil ont souhaité adoucir la convergence interne, en n'exigeant une convergence que de 10 % la première année et n'obligeant pas à une convergence totale en 2019. La proposition de résolution que nous soutenons exige que nous soyons ambitieux en la matière et que l'on mette fin aux références historiques, qui sont sources de différences de traitement peu compréhensibles entre agriculteurs voisins.

La principale nouveauté du nouveau régime d'aide proposé par la Commission européenne réside dans le verdissement du premier pilier de la PAC, en réservant 30 % de l'enveloppe des paiements directs aux agriculteurs qui respecteraient trois conditions : disposer de trois cultures différentes sur leur exploitation, ne pas retourner les prairies permanentes, et disposer de surfaces d'intérêt écologique couvrant au moins 7 % de la surface de l'exploitation. Critiqué au départ, le dispositif semble aujourd'hui mieux accepté, d'autant que le Parlement et le Conseil proposent d'en assouplir les modalités. L'écologisation des paiements directs présente l'intérêt de renforcer la légitimité de la PAC : il s'agit pour la collectivité de rémunérer les agriculteurs pour les biens publics environnementaux qu'ils fournissent, et de compenser ainsi les contraintes spécifiques qui leur sont imposées. La proposition de résolution soutient clairement cette logique de verdissement, demandant cependant certains assouplissements, en particulier sur la manière d'apprécier le critère du non retournement des prairies permanentes, afin de ne pas pénaliser les éleveurs.

L'agriculture française n'a pas à redouter le verdissement car elle est déjà assez vertueuse du point de vue environnemental et remplit beaucoup des nouveaux critères. Il convient plutôt de veiller à ce que les négociations européennes dans le cadre du trilogue n'aboutissent pas à un « détricotage » qui vide le verdissement de son sens. Il convient également de rejeter une logique de verdissement à la carte, qui laisserait trop de marges de manoeuvres aux États membres pour définir leurs propres critères. La proposition de résolution rappelle utilement qu'un cadre précis et commun à l'ensemble des États membres doit s'appliquer au verdissement.

Si la convergence des niveaux d'aide et le verdissement vont dans le bon sens, l'Europe ne peut se contenter d'une politique passive de distribution de subventions. Il est indispensable de dépasser cette vision pour porter une vision plus volontariste de l'agriculture. Les États membres doivent donc pouvoir disposer de marges de manoeuvres pour soutenir les productions les plus fragiles, pour soutenir les zones défavorisées, pour favoriser une agriculture de petites fermes, à la fois la plus respectueuse de l'environnement et la plus pourvoyeuse d'emplois sur le territoire. On peut regretter que l'on s'oriente vers un plafonnement facultatif, au choix des États membres, des aides directes, car l'absence de plafonnement favorise un modèle agricole très industriel.

Un enjeu apparaît essentiel pour la France : celui de l'élevage. Le maintien de soutiens couplés doit ainsi être défendu. La Commission proposait qu'un maximum de 10 % de l'enveloppe du premier pilier puisse être utilisé pour des aides couplées. Le Conseil permettrait d'aller jusqu'à 12 % et le Parlement européen souhaite 15 %. Le taux le plus élevé serait le meilleur.

Dans le même souci de préservation de l'élevage, la France a proposé d'autoriser les États à majorer l'aide pour les premiers hectares des exploitations, afin de tenir compte de la plus forte intensité de main-d'oeuvre qui caractérise les petites exploitations. Cette idée est globalement bien accueillie au niveau européen. Ce n'est certes pas la panacée, et beaucoup d'organisations agricoles ont exprimé des doutes sur la portée de la mesure, mais combinée à d'autres, elle permettra probablement de favoriser le secteur de l'élevage, qui a aujourd'hui davantage besoin d'aides.

Faire des aides directes autre chose qu'un instrument passif de distribution de subventions suppose enfin que l'on puisse aider davantage les jeunes agriculteurs et l'installation.

La politique de développement rural est maintenue dans la nouvelle PAC et même renforcée, mais elle reste largement un catalogue de mesures dans lequel les États membres piocheront pour construire leur plan de développement rural, en fonction de leurs priorités.

Le Parlement européen souhaite renforcer la dimension environnementale du deuxième pilier en exigeant un pourcentage minimal de mesures agro-environnementales pour chaque État membre. En réalité, le développement rural est balloté entre plusieurs objectifs : économiques, environnementaux, d'aménagement du territoire. Pour la France, il est essentiel que les aides aux zones intermédiaires soient assurées, pour compenser les handicaps naturels.

Sur l'OCM unique, très clairement, le choix fait par la Commission européenne n'est pas très audacieux. Le rapporteur de ce texte au Parlement européen, Michel Dantin, a proposé un grand nombre d'amendements pour renforcer le filet de sécurité en mettant en place un mécanisme de revalorisation des prix d'intervention, ou encore pour renforcer le pouvoir des producteurs sur le marché. La proposition de la Commission n'était pas tout à fait inconsistante puisqu'elle obligeait les États membres à reconnaître les organisations de producteurs et les interprofessions dans l'ensemble des secteurs agricoles. Cependant, elle subordonnait les regroupements de producteurs à l'absence de position dominante, vidant de sa substance cette avancée. Là encore, Michel Dantin a proposé de n'interdire les regroupements qu'en cas d'abus de position dominante et non de position dominante.

Enfin, le Parlement européen a souhaité rétablir les mécanismes d'encadrement des capacités de production en prolongeant les droits de plantation et quotas de sucre.

L'ambition régulatrice de l'Europe, serait aussi d'orienter ses soutiens en fonction de la situation économique réelle des agriculteurs. Cette piste, évoquée dans le rapport de l'eurodéputé Georges Lyon de juin 2010, n'a pas été suivie par la Commission. Elle paraît difficilement praticable compte tenu des engagements de l'Europe vis-à-vis de l'Organisation mondiale du commerce. Les aides contracycliques figurent en effet dans la boîte orange de l'OMC. Pourtant, l'opinion comprend mal que les agriculteurs soient aidés au même niveau par la collectivité lorsque les marchés eux-mêmes leur assurent des prix confortables. A contrario, survivre aux crises nécessite des moyens massifs. La proposition de résolution invite donc dans son dernier alinéa à réfléchir sur un ajustement des aides en fonction de la situation réelle des marchés, ce qui reviendrait sur l'orientation libérale données aux politiques agricoles depuis vingt ans.

Au final, la proposition de résolution que nous examinons appelle à faire de la PAC un véritable instrument orienté vers une agriculture certes productive, mais aussi plus durable, respectueuse des territoires, et assurant une juste rémunération des agriculteurs. Nourrir 9 milliards d'individus à l'horizon 2050 justifie que l'Europe conserve une PAC forte et ne désarme pas de manière unilatérale, au risque de voir disparaître une partie de sa capacité de production. L'élevage est aujourd'hui au coeur de nos préoccupations. Si la PAC n'apporte pas un soutien accru, le cheptel risque de progressivement disparaître et l'Europe perdre une partie de sa souveraineté alimentaire. Enfin, au-delà des règles de la PAC, c'est à leur mise en oeuvre qu'il faudra rester attentif dans les mois qui viennent.

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