Je ne reviens pas sur les questions de budget ou d'aides directes. J'insisterai tout d'abord sur la politique de développement rural porté par le deuxième pilier de la PAC : il intervient en complémentarité du premier et est monté en puissance depuis sa mise en place en 1999.
La proposition d'octobre 2011 de la Commission européenne de nouveau règlement consacré au développement rural s'inscrit dans la continuité de l'actuelle politique : la plupart des mesures actuellement cofinancées par le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et par le budget de l'État et des collectivités locales pourront continuer à l'être.
La Commission européenne réclame une mise en cohérence plus forte de l'action des fonds structurels européens, si bien que le FEADER devra s'inscrire dans un cadre stratégique commun (CSC).
Nous sommes longtemps restés dans le flou sur ce deuxième pilier, dans la mesure où l'enveloppe disponible par pays n'était pas connue. Depuis l'accord du 8 février dernier sur le cadre financier pluriannuel, cette incertitude commence à être levée. La France devrait bénéficier d'une enveloppe conséquente, ce qui permettra de mener une politique de développement rural ambitieuse en gardant à l'esprit quatre données :
- le taux de cofinancement communautaire devrait baisser à 50 %, sauf dans les régions en convergence et dans les régions ultrapériphériques où il pourrait monter à 85 %, alors qu'il est aujourd'hui à 55 % pour de nombreuses actions et même à 75 % pour les mesures agro-environnementales. Dans ces conditions, les budgets nationaux risquent d'être mis davantage à contribution. Le Parlement européen demande à relever ce taux à 60 % pour les mesures agro-environnementales. Dans les négociations communautaires, la France plaide en faveur d'un statu quo, car il serait inacceptable qu'à travers une baisse des cofinancements, l'Europe se désengage peu à peu du deuxième pilier ;
- le deuxième pilier continuera de prendre en charge la compensation des handicaps naturels. Mais la révision du périmètre des zones défavorisées - qui couvrent en France 48 % du territoire - est une question sensible, en particulier pour les zones de piémont. Un compromis semble se dessiner pour faire évoluer en douceur le dispositif, avec une révision de la carte des zones défavorisées qui ne prendrait effet qu'en 2016, une perte progressive des aides par ceux qui ne seront plus éligibles, la possibilité pour les États membres de faire jouer des critères socio-économiques et pas seulement biophysiques. La bataille sur ce sujet n'est pas terminée ;
- le deuxième pilier est balloté entre ses objectifs agricoles et non agricoles, entre ses ambitions environnementales et ses ambitions économiques. Le Parlement européen a souhaité faire pencher davantage la balance du deuxième pilier vers les aspects environnementaux, par exemple en réclamant qu'une proportion minimale de 30 % de l'enveloppe consacrée au développement rural soit dédiée aux mesures agro-environnementales, ou en permettant que les mesures soutenues par le premier pilier au titre du verdissement, comme la diversité des cultures ou les surfaces d'intérêt écologiques, soient aussi soutenues au titre du deuxième pilier. Dans le même temps, le deuxième pilier est appelé à intervenir davantage comme un instrument économique, en soutenant plus massivement les assurances agricoles et les fonds de mutualisation, avec une innovation : l'assurance-revenu. Les auditions que nous avons menées laissent cependant penser qu'une telle orientation sera difficilement praticable. Au final, ce sont les États membres qui décideront où ils placent le curseur. Le développement de l'assurance se heurte aussi à l'exigence d'une réassurance. A ce stade, remarquons simplement que le développement des instruments de gestion des risques au sein du deuxième pilier risque de consommer une grosse partie de l'enveloppe dont dispose la France ;
- la négociation européenne a heureusement permis d'ouvrir des possibilités supplémentaires de soutien à l'investissement au travers du deuxième pilier. Alors que le texte de la Commission était très restrictif, le Parlement européen comme le Conseil suggèrent d'utiliser le deuxième pilier pour financer les mises aux normes réglementaires en matière de bien-être animal ou de réglementations environnementales, mais aussi pour financer les installations tendant à mieux gérer l'eau.
Au final, le deuxième pilier offre des possibilités intéressantes, d'autant que la France a obtenu un bonus en fin de négociation financière avec ses partenaires européens. Mais elle devra aussi consacrer des moyens financiers nationaux importants appelés en cofinancement.
Deuxièmement, je souhaite insister sur l'importance du texte relatif à l'organisation commune des marchés (OCM), même si la proposition de la Commission s'inscrit dans une parfaite continuité avec l'actuelle PAC, et reste peu ambitieuse en matière de régulation, on enregistre toutefois quelques avancées :
- l'inscription pour l'ensemble des secteurs agricoles d'une clause de perturbation des marchés et d'une autre clause permettant l'intervention exceptionnelle de l'Union européenne en cas de maladies animales ou de perte de confiance des consommateurs - ce sont les articles 154 et 155 - constitue un progrès qui rendra l'Europe plus réactive aux crises ;
- la nouvelle OCM vise aussi à permettre aux agriculteurs de mieux s'organiser au sein d'organisations de producteurs et dans le cadre d'interprofessions, qui devront être reconnues par les États membres. Toutefois, des progrès doivent encore intervenir. Le Parlement européen a proposé de développer la contractualisation et de permettre plus largement la négociation collective des prix, sans tomber, bien entendu, dans l'entente, prohibée par le droit de la concurrence. Trouver un équilibre entre les États membres régulateurs et ceux plutôt libéraux est difficile. Mais nous pouvons espérer que la négociation en cours au sein du trilogue permettra d'aller le plus loin possible dans le renforcement du pouvoir de marché des agriculteurs face aux industriels et aux distributeurs.
En revanche, concernant les mécanismes d'encadrement de la production, la Commission européenne a proposé leur démantèlement pur et simple. Pour le lait, la fin des quotas en 2015 ne peut pas être remise en cause. Il n'en va pas de même pour le vin, où la suppression des droits de plantation proposée par la Commission a été combattue par la quasi-totalité des États producteurs de vin. Depuis, le groupe de haut niveau sur le sujet a rendu ses conclusions et préconisé en décembre dernier de conserver un régime d'encadrement de la capacité de production sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne et pour tous les vins. C'est une grande victoire, saluée dans une proposition de résolution spécifique adoptée par le Sénat il y a quelques semaines, sur le rapport de notre collègue Roland Courteau. Les négociations se poursuivent, en particulier sur la fixation du taux admissible d'augmentation annuelle des surfaces plantées et sur la durée du régime d'encadrement des plantations nouvelles. Nous devons donc rester vigilants.
Concernant le sucre, la Commission propose également de mettre fin au régime des quotas à la fin de la campagne 2014-2015. Le Parlement propose de prolonger les quotas jusqu'en 2020 et le Conseil jusqu'à la fin de la campagne 2016-2017. Les professionnels de la betterave à sucre souhaitent que le temps nécessaire pour rattraper le différentiel de compétitivité avec les pays producteurs de canne à sucre, en particulier le Brésil, soit laissé aux professionnels du secteur. Là encore, la discussion promet d'être rude.
Enfin, le troisième point de mon analyse sur la réforme de la PAC cible l'enjeu du renouvellement des générations et du soutien à l'installation, qui en constitue un volet essentiel.
Il s'agit d'un volet essentiel dont la PAC ne se désintéresse pas. La question se pose d'ailleurs à l'échelle européenne où l'on compte un agriculteur de moins de 35 ans pour 9 agriculteurs de plus de 55 ans. En France, on atteint péniblement le taux d'une installation pour deux départs.
Le deuxième pilier de la PAC est l'instrument privilégié de soutien à l'installation. Il finance déjà en partie la dotation jeunes agriculteurs (DJA), l'autre partie étant prise en charge par le budget de l'État. Dans la future PAC 2014-2020, la Commission a proposé de reconduire la possibilité pour chaque État membre de disposer d'un sous-programme sur l'installation au sein du programme de développement rural, de même qu'elle propose une majoration du taux de soutien communautaire aux investissements réalisés par les jeunes agriculteurs à l'article 18 du projet de règlement sur le développement rural.
Mais la réforme va plus loin, en permettant également de majorer la valeur des droits à paiement de base du premier pilier pour les jeunes agriculteurs, dans la limite de 2 % de l'enveloppe nationale disponible. Si cette majoration reste facultative, pouvant être mise en oeuvre au choix des États, c'est une perspective nouvelle intéressante que nous soutenons.
Avec Mme René Nicoux, je vous recommande d'adopter sans modification la proposition de résolution sur la réforme de la PAC, qui rappelle les exigences du Sénat en faveur d'une PAC 2014-2020 juste et ambitieuse, conciliant le souci de performance de l'agriculture européenne avec celui de l'excellence environnementale et de l'aménagement des territoires ruraux.