Intervention de Éric Bocquet

Commission des affaires sociales — Réunion du 15 mai 2013 : 1ère réunion
Normes européennes en matière de détachement des travailleurs — Présentation d'un rapport d'information de la commission des affaires européennes

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet, rapporteur de la commission des affaires européennes :

Le travailleur détaché ressemble à un salarié low cost. L'intégration de trois pays à faible coût du travail - Espagne, Grèce et Portugal - avait conduit la Commission européenne à proposer au début des années 1990 l'adoption d'une législation encadrant le détachement de travailleurs d'un Etat membre à un autre. La directive 96/71 CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services a consacré le principe d'application du droit du pays d'accueil, déjà mis en avant par la jurisprudence européenne depuis une dizaine d'années.

Les entreprises prestataires de service doivent appliquer la législation sociale du pays dans lequel se déroule le contrat, sauf si le droit du pays d'envoi est plus favorable. L'article 3.1 de la directive prévoit ainsi un noyau dur qui s'impose aux entreprises, et qui comprend notamment les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos, la durée minimale des congés annuels payés ainsi, bien sûr, que les taux de salaire minimum. Ce noyau dur s'impose également aux entreprises des pays non membres de l'Union européenne qui détachent leurs employés sur leur territoire.

En matière de contrôle, le texte se borne à appeler de ses voeux une meilleure coopération administrative entre Etats membres. Ceux-ci doivent mettre en place des bureaux de liaison chargés d'échanger des informations sur les détachements susceptibles de poser problème. La jurisprudence européenne encadre strictement les procédures nationales de contrôle.

Si le texte définit le détachement, il ne précise pas la nature des entreprises qui peuvent y avoir recours et ne leur impose pas expressément d'exercer une activité substantielle au sein du pays d'origine. En outre, aucune limite de temps n'est imposée.

Le règlement du 28 avril 2004 prévoit pour les travailleurs détachés le maintien au régime de sécurité sociale de l'Etat membre d'origine. Grâce à ce dispositif, 300 000 Français ont pu exercer leur emploi à l'étranger, mais, faute de coopération administrative entre les États membres, le dispositif ne présente pas toutes les garanties. Il est ainsi très difficile d'évaluer correctement le nombre de travailleurs détachés présents sur le territoire français. Officiellement, il a été multiplié par quatre depuis 2006, passant de 37 924 salariés à 144 411 en 2011. Cette augmentation spectaculaire, qui résulte des élargissements de 2004 et 2007, n'est pas le seul fait des grands chantiers : dans ma commune, c'est une entreprise roumaine qui transforme une boulangerie en logement.

On estime le nombre de travailleurs détachés non déclarés entre 220 000 et 300 000 personnes. Voilà qui révèle l'ampleur de la fraude au détachement, ces salariés étant la plupart du temps rémunérés aux conditions du pays d'envoi. Sous-traitance en cascade - jusqu'à douze sociétés pour un unique donneur d'ordre -, sociétés boîtes aux lettres, statut de faux indépendant ou emploi permanent de salariés détachés dans les pays sans salaire minimum constituent les principales déviances du système. En outre, même si le travailleur est rémunéré aux conditions du pays d'accueil, le maintien de l'affiliation au régime de sécurité sociale crée mécaniquement un écart en termes de coûts salariaux. La différence en matière de cotisations sociales entre un maçon polonais et son homologue français est ainsi évaluée à 30% - non qu'il faille s'acharner contre les Polonais, mais ce sont les travailleurs détachés les plus nombreux. Le système ainsi mis en place favorise l'optimisation sociale voire le dumping social, à l'image de ce que l'on observe en matière fiscale.

C'est dans ce contexte que la Commission européenne a présenté en mars 2012 une proposition de directive relative à l'exécution de la directive de 1996, destinée à prévenir et sanctionner les cas de fraude aux détachements. Une intention louable que contrarie l'ambition affichée de réduire la charge administrative pour les entreprises qui détachent.

En déterminant les critères de qualification du détachement, l'article 3 améliorerait la détection des fraudes, notamment en évaluant si l'entreprise qui détache exerce une activité substantielle dans le pays d'envoi. Les articles 6, 7 et 8 renforcent la coopération administrative entre les Etats membres, dont l'efficacité demeure toute relative. Les Etats membres seront désormais tenus de répondre dans les deux semaines qui suivent la réception d'une demande d'information d'un de leurs partenaires.

Alors qu'aucune disposition concernant les contrôles n'était intégrée dans le dispositif de 1996, l'article 9 dresse une liste précise mais fermée des mesures que peut imposer l'Etat membre d'accueil à une entreprise étrangère détachant des travailleurs sur son territoire.

Afin de renforcer la protection des travailleurs du secteur de la construction, le plus concerné par le phénomène de détachement, l'article 12 institue en outre un mécanisme de responsabilité solidaire du donneur d'ordre, limité au sous-traitant direct - voilà l'un des problèmes majeurs du dispositif.

Ces deux articles constituent les principaux points de blocage au sein du Conseil. La France et un certain nombre d'Etats membres, à l'instar de la Belgique ou de l'Espagne, préconisent une liste ouverte de moyens de contrôle afin de mieux faire face à la fraude et une extension de la clause de responsabilité à l'ensemble de la chaîne de sous-traitance comme à tous les secteurs d'activité. Les nouveaux Etats membres et le Royaume-Uni militent, eux, pour la rédaction actuelle. Une adoption du texte à la fin de la présidence irlandaise apparaît en conséquence illusoire.

La proposition de résolution que je vous présente soutient la position du Gouvernement français sur les articles 9 et 12, car elle est à même de mieux combattre la fraude, mais il convient d'aller plus loin.

D'abord, la clause de responsabilité solidaire du donneur d'ordre ne répond qu'imparfaitement au défi de la sous-traitance en cascade. Il semble indispensable de limiter la chaîne de sous-traitance à trois échelons, à l'instar des dispositifs institués en Allemagne ou en Espagne. Je vous propose également d'imposer dans les cahiers de charges d'achat de prestations, des clauses de responsabilité sociale d'entreprise (RSE) dont le non-respect entraînerait la rupture du contrat. Troisième proposition, porter à un mois le délai de transmission des documents administratifs : les quinze jours préconisés par la Commission m'apparaissent irréalistes. La directive d'exécution pourrait au surplus autoriser les syndicats à engager des procédures judiciaires ou administratives sans l'approbation du travailleur, celui-ci étant souvent soumis à une forme de pression et ne parlant pas toujours la langue du pays d'accueil. Enfin, une révision du règlement sur l'affiliation au régime de sécurité sociale de l'Etat d'envoi doit prévenir efficacement les situations de faux détachement et limiter les pratiques d'optimisation sociale.

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