Mes chers collègues, sachant qu’il faut trois heures de route pour rejoindre le siège du conseil régional depuis la Lozère, il est matériellement impossible à l’actuelle conseillère régionale élue de la section départementale de vote – dont je fus moi-même l’élu dans le passé – de prendre part à plus de deux ou trois de ces commissions. Parmi ces dix-neuf commissions, auxquelles doit-elle alors renoncer ?
Tout cela n'est pas sérieux et la loi actuelle ne permet pas une juste représentation du citoyen et, accessoirement, du territoire.
L’hyper-ruralité est de moins en moins audible dans les assemblées politiques, même si nous faisons le maximum pour qu’elle soit entendue. Sur quelque travée que nous siégions, nous sommes nombreux à être attachés la ruralité, laquelle trouve une oreille attentive auprès de François Hollande, de Jean-Marc Ayrault et du Gouvernement.
Le département de la Lozère ne compte qu’un seul élu tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Cela s'explique par le fait que l’élection des parlementaires doit reposer sur des bases essentiellement démographiques, comme l’a jugé en 2009 le Conseil constitutionnel lorsqu’il a censuré la disposition maintenant un minimum de deux députés par département. Ce n'est pas une bonne chose. Le Conseil constitutionnel aurait pu estimer que les députés représentaient le peuple et, accessoirement, une partie du territoire également. C’eût été une décision de bon sens, à défaut d'être une décision juridiquement correcte.
En revanche, la représentation régionale ne repose pas sur une logique identique d’expression de la souveraineté. La reconnaissance d’un fait régional est destinée à exprimer, depuis l’amorce du processus de décentralisation par les lois de 1982, l’équilibre entre la représentation de la pluralité des départements qui composent les régions et la proximité avec les électeurs. La recherche de cet équilibre est délicate et explique pourquoi trois modes de scrutin différents ont été successivement adoptés : en 1985, en 1999 et en 2003.
Les scrutins précédents, je ne le rappellerai pas par charité, avaient donné lieu à certaines mésalliances. Pour y remédier fut votée une loi en 1999, qui ne fut jamais appliquée. C’est finalement la loi du 11 avril 2003 qui a fixé le cadre juridique toujours en vigueur, en conservant les principes de régionalisation du scrutin et de prime majoritaire. Désormais, ces assemblées disposent de vraies majorités, stables, excluant toute mésalliance.
Aux termes de l’article L. 338–1 du code électoral, les sièges sont attribués à chacune des listes en proportion du nombre de voix obtenues dans chaque section départementale, c’est-à-dire dans le département. La grande particularité de ce scrutin complexe tient à ce que, si les effectifs globaux des conseils régionaux sont fixés par la loi – le tableau n° 7 annexé au code électoral –, le nombre d’élus par département n’est quant à lui pas fixe. Le code électoral se contente de fixer le nombre de candidats par section.
Ce mécanisme avait été validé par le Conseil constitutionnel, qui relevait dans sa décision du 3 avril 2003 que la conciliation entre la reconnaissance d’un fait régional, la recherche de la stabilité politique et la proximité entre élus et électeurs pouvait impliquer la variation du nombre de sièges attribués à une section d’une élection à une autre. Bien sûr, nous en prenons acte, et nous ne pouvons qu’approuver la nécessité de trouver un mode de scrutin équilibré. Toutefois, près de dix ans après sa première mise en œuvre, nous pouvons dresser un bilan critique de l’application de ce mode de scrutin.
De fait, la loi de 2003 a atteint les principaux objectifs qui lui étaient assignés : consolider l’échelon régional en tant que collectivité « montante » de plein exercice dotée d’une visibilité et d’une crédibilité, donner aux conseils régionaux des majorités claires – c’est important – et garantir la montée en puissance des politiques régionales. En revanche, on ne peut que constater que ce mode de scrutin engendre aujourd’hui une sous-représentation de plus en plus prégnante des territoires ruraux. De fait, la loi de 2003 n’a pas limité le nombre de conseillers régionaux par département : la déconnexion entre le nombre de candidats par section et le nombre d’élus in fine revient à favoriser les départements dans lesquels le nombre d’électeurs est élevé, voire très élevé.
Par ailleurs, dans la mesure où certaines régions voient leur population croître à un rythme plus élevé que celle des départements ruraux qui la constituent – la région Languedoc-Rousillon, avec Montpellier, en est un bon exemple, dont la population augmente annuellement de plusieurs milliers, voire de plusieurs dizaines de milliers d'habitants –, cela signifie à terme que ces départements ruraux, dont la population croît sur un rythme moins soutenu, n'auront bientôt plus de représentants. Or, monsieur le ministre, si cette loi était maintenue en l’état, la Lozère, par exemple, ne compterai bientôt plus aucun représentant au conseil régional. Jusqu'en 2004, nous en comptions deux ; aujourd'hui, nous n’en comptons plus qu’un seul et, dans dix ans, quoi qu’il advienne, nous n’en aurons plus.
Je suis non pas constitutionnaliste, mais un homme de bon sens. Cette loi, je le pense, est contraire à la Constitution. Si, d'aventure, quoique je ne l’envisage pas, ma proposition de loi devait être rejetée, alors Jacques Mézard et moi-même saisirions le Conseil constitutionnel afin qu’il se prononce. Une loi qui prévoit qu'une section de vote départementale pourrait, dans certaines circonstances, ne pas envoyer de représentant à l’assemblée départementale n’est pas, à mon sens, une bonne loi et est contraire à la Constitution.
Cela étant, j’espère que nous n’aurons pas à aller jusque-là et que le Sénat, suivi par l’Assemblée nationale, adoptera aujourd'hui notre proposition de loi, qui ne remet aucunement en cause la régionalisation du scrutin et la stabilité des majorités.
En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, les départements des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes comptent chacun quatre élus, sur un total de 123 conseillers régionaux. Mais comme ils sont moins dynamiques que la métropole marseillaise sur le plan démographique, dans quelques années, ils ne compteront plus que trois élus, puis deux, puis un seul.
En Auvergne, le Cantal n’élit que cinq conseillers sur les 47 que compte l’assemblée régionale. La Creuse n’est quant à elle représentée que par sept élus sur les 43 conseillers régionaux de la région Limousin.
En d’autres termes, le système tel qu’il existe risque à terme de priver les représentants de ces territoires, déjà défavorisés, de la possibilité d’exprimer leurs spécificités.
Cette situation est d’autant moins acceptable aujourd’hui que les territoires ruraux souffrent de nombreux handicaps structurels, sur lesquels je ne m'étendrai pas aujourd'hui. Monsieur le ministre, l’amélioration de la représentation électorale de ces territoires n’est sans doute pas la première urgence au vu de la crise économique qui frappe notre pays, au vu des difficultés qu’il rencontre, sur le plan tant de l’emploi que de la croissance, difficultés auxquelles François Hollande et le gouvernement de Jean-Marc Ayrault remédieront. Mais cette proposition de loi introduirait, à son niveau, une mesure de bon sens. Ne fermons pas les yeux sur ces territoires qui se sentent ignorés, mais qui contribuent au dynamisme de notre République.
Mes chers collègues, la présente proposition de loi est le fruit d’une réflexion entamée voilà quelques mois, à l’occasion de la discussion du projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires. Les membres du groupe du RDSE et moi-même avions alors déposé plusieurs amendements. L’un d’entre eux fut adopté en seconde lecture, grâce notamment au soutien du rapporteur Michel Delebarre, que je remercie ici, et de notre rapporteur d'aujourd'hui, Alain Richard, auquel je souhaite rendre hommage. Celui-ci relevait alors qu’il ne lui « semblerait pas exagérément aventureux » de voter l’amendement en question, afin de laisser au Gouvernement le temps d’expertiser l’ensemble de ses répercussions et de présenter une autre formule. C’est ce que nous faisons aujourd'hui.
Je souhaite ici également saluer notre collègue Pierre-Yves Collombat, qui a soutenu depuis le début la mesure que nous soumettons aujourd’hui au débat. À cet égard, il est dommage que nos collègues députés n’aient qu’à peine pris le temps de se pencher sur cette question. C'est une preuve supplémentaire de l'utilité du bicamérisme.
Notre amendement se voulait avant tout un amendement d’appel. En ce sens, nous avions parfaitement conscience, dès l’origine, qu’il n’aurait pu être appliqué en l’état, car nous proposions, à travers celui-ci, de revenir à la départementalisation du mode de scrutin. De ce point de vue, notre collègue de la Gironde aurait eu raison de tenir les propos qu'il a tenus, mais, aujourd'hui, il ne s'agit pas de cela.
Les effets négatifs de la départementalisation sont connus. C’est pourquoi nous voulons maintenir le scrutin régional.
Au demeurant, je rappelle qu’il peut être dérogé, pour des motifs d’intérêt général, à l’exigence de représentation assise sur des bases essentiellement démographiques, tirée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et inférée de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. C’était le cas dans la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, qui fixait un nombre plancher de quinze conseillers territoriaux par département, loi que nous avons heureusement abrogée, d'ailleurs, puisqu'elle était extrêmement néfaste pour la ruralité.