Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez, dans nos démocraties modernes ou prétendues telles, le pouvoir politique étant le seul à limiter celui de l’argent – devenu aussi pouvoir d’information –, il est inévitable de voir ses modes de fonctionnement et ses acteurs périodiquement contestés.
Tout y passe : du vrai, du faux et surtout un mélange de vrai et de faux. Ce dernier cas est sans doute le pire, car alors la dénonciation de scandales réels débouche rarement sur autre chose qu’une gesticulation, et le problème de fond demeure entier. Cependant, si l’objectif n’est pas de réformer le pouvoir politique mais avant tout de l’affaiblir, ce n’est pas si mal joué. Un pouvoir démocratiquement incontestable pourrait avoir de mauvaises pensées à l’encontre des oligarchies…
Cela dit, la démocratie est aussi l’exercice du contrôle et du débat. Cette contestation est donc parfaitement légitime, quand elle repose sur des faits avérés et s’inscrit dans des problématiques claires.
Ainsi est-il apparu nécessaire, en ces temps troublés, à l’auteur de la présente proposition de loi de bien distinguer, comme il vous l’a expliqué, deux débats trop facilement confondus : d’une part, le débat sur la légitimité du cumul d’une fonction parlementaire et d’une fonction d’élu local – question particulièrement importante pour le Sénat qui, aux termes de l’article 24 de la Constitution, « assure la représentation des collectivités territoriales de la République » –, et, d’autre part, le débat sur la légitimité du cumul des indemnités accompagnant et permettant l’exercice de ces fonctions dans des conditions satisfaisantes.
Séparer les deux débats, ai-je dit, mais aussi proposer une disposition interdisant désormais de les confondre, à savoir l’interdiction du « cumul, par les parlementaires, de leurs indemnités de fonction avec toute autre indemnité liée à un mandat » local.
Cette proposition est parfaitement fondée si l’on veut bien se rappeler le sens de l’attribution d’une indemnité de représentation aux parlementaires, disposition dont la légitimité a mis beaucoup de temps à s’installer dans les consciences.
Le but était double : d’une part, démocratiser au maximum la fonction de représentation, donc la rapprocher du représenté, et, d’autre part, assurer l’indépendance intellectuelle et morale du parlementaire, ce que rappellent les premiers mots de l’article 27 de la Constitution : « Tout mandat impératif est nul ». Il s’agit d’une disposition trop souvent ignorée, alors qu’elle résume l’essence de la démocratie et de son système : contrairement à ce que l’on croit et ce que l’on dit, la démocratie, ce n’est pas le règne de la majorité, mais un système dans lequel les décisions procèdent du débat entre consciences libres.
Historiquement, il s’est donc agi d’ouvrir la fonction parlementaire à d’autres qu’aux rentiers et aux mandataires d’intérêts particuliers, d’assurer un niveau d’indemnisation suffisant pour garantir une activité à temps complet au service de l’intérêt général et protéger les élus, autant que faire se peut, des tentations.
Il est intéressant de constater que la mise en place de l’indemnité parlementaire, par le biais d’un décret de la Constituante en date du 1er septembre 1789, intervient dès lors qu’est instituée une assemblée parlementaire permanente.
Il est non moins intéressant de remarquer que, dès l’origine, les députés étaient gênés à l’idée d’apparaître comme des prébendiers. À tel point que le décret ne fut pas transcrit dans le bulletin des lois de la Constituante et qu’il faudra attendre 1795 pour que le niveau modeste de l’indemnité soit revalorisé par la Convention. Comme on le voit, ce rapport ambigu de la démocratie à l’argent, ce rapport empreint de gêne des parlementaires à l’égard de leur indemnisation, ne date pas d’aujourd’hui !
Constatons aussi que, avec le rétablissement du suffrage censitaire, la Restauration, en posant en 1817 le principe de la gratuité des fonctions élective, revient sur l’indemnisation des représentants. Ce principe de gratuité des fonctions électives ne demeure aujourd’hui que pour les fonctions municipales. C’était ma rubrique : « À quand un statut de l’élu local ? ».