Il faudra attendre la fin de la « France des notables » et l’avènement de la Deuxième République pour que l’indemnité de fonction, rétablie, ne soit plus remise en cause, mais, au contraire, régulièrement améliorée.
À cette amélioration s’ajoutera souvent le cumul avec d’autres indemnités de fonction liées à l’exercice de mandats locaux, eux-mêmes revalorisés. Ces derniers se multiplient d’ailleurs avec le foisonnement d’organismes dépendant plus ou moins directement des collectivités locales – établissements publics, sociétés d'économie mixte, ou SEM, et, plus récemment, sociétés publiques locales, ou SPL – et, surtout, le développement de l’intercommunalité.
Ces indemnités peuvent être considérables. Ainsi l’indemnité mensuelle du président d’une communauté d’agglomération de 100 000 habitants est-elle de l’ordre de 5 500 euros, l’indemnité parlementaire se situant, elle, aux alentours de 7 100 euros. Vous trouverez la liste des fonctions susceptibles d’être indemnisées dans le rapport. Leur importance est telle qu’il est apparu nécessaire de limiter le cumul des indemnités liées aux mandats parlementaires et locaux.
Deux leviers seront utilisés : l’écrêtement des indemnités, d’abord, puis la limitation du cumul des mandats, qui, tout en produisant un effet comparable, procède d’une autre logique.
L’ordonnance de 1958 limite les possibilités de cumul des indemnités parlementaires avec celles de maire et d’adjoint, de conseiller municipal de Paris et de conseiller général de la Seine à une fois et demie le montant de l’indemnité parlementaire. La moitié écrêtée peut être « déléguée par l’intéressé à celui ou à ceux qui le suppléent dans les fonctions de magistrat municipal ».
La loi du 25 février 1992 étend le plafonnement à l’ensemble des élus nationaux, municipaux, généraux et régionaux, ainsi qu’aux membres du Gouvernement titulaires de mandats électoraux.
Il existe d’ailleurs une distorsion évidente en faveur de ces derniers, dont l’indemnité de base est entre 1, 5 et 2 fois supérieure à celle des parlementaires. Notre collègue Patrice Gélard, rapporteur de la loi du 14 avril 2011 relative à la transparence financière de la vie politique, qui soumet les membres du Gouvernement au droit commun des parlementaires et des élus locaux, ne manquera pas de le faire remarquer.
Comme l’a indiqué Jacques Mézard, une nouvelle étape est franchie avec la loi du 17 avril 2013, qui, supprimant la faculté laissée à l’élu dont l’indemnité a été écrêtée de désigner la personne bénéficiaire de l’indemnité, évite toute forme de pouvoir, même involontaire, d’un élu sur un autre, et les dérives toujours possibles. La part écrêtée retombe dans la caisse de la collectivité, qui reste libre de l’attribuer selon les modalités ordinaires.
Aujourd’hui, donc, députés et sénateurs ne peuvent percevoir qu’un montant indemnitaire total maximal de 8 272 euros, dont 2 757 euros, au plus, au titre de l’ensemble de leurs mandats locaux.
À l’indemnité parlementaire proprement dite, qui est fiscalisée, s’ajoutent diverses allocations, forfaitaires ou non, compensatrices des frais liés à l’exercice du mandat, qui ne le sont pas. Le rapport en donne le détail, je ne vais donc pas m’y appesantir.
Concurremment aux dispositions visant à encadrer le montant des indemnités perçues par un élu au niveau garantissant son indépendance – indépendance qui fonde l’existence même de l’indemnité –, un autre mécanisme a été utilisé pour parvenir au même but : la limitation du cumul des mandats. Cette dernière a été organisée, d’abord, par la loi organique du 30 décembre 1985, qui limite le cumul du mandat de député avec un seul autre mandat, selon une liste limitative, puis par les lois du 5 avril 2000 et du 17 avril 2013.
Aujourd’hui, le mandat parlementaire est incompatible avec l’exercice de plus d’un des mandats de conseiller régional, conseiller général, conseiller de Paris, conseiller municipal d’une commune d’au moins 1 000 habitants. Les fonctions de président d’intercommunalité n’entrent pas en ligne de compte, pas plus que celles qui sont liées aux diverses émanations et satellites des collectivités.
Ce simple énoncé, mes chers collègues, montre que cet ensemble de dispositions n’a pas la cohérence du dispositif de limitation du revenu qu’un élu peut retirer de l’exercice de ses mandats.
Quel rapport, en effet, entre la charge que représente la gestion de la région Île-de-France, celle d’une commune de 500 000 habitants, celle d’une communauté urbaine qui en compte le double et celle d’une commune de 950 habitants, même si cette dernière ne dispose pas des moyens humains et financiers des grandes collectivités ?
On voit bien l’intérêt de distinguer clairement la question du montant de l’indemnité permettant d’assurer l’indépendance du parlementaire, condition fondatrice de son mandat, de la question du type et du nombre de fonctions qu’il est susceptible d’assumer, voire que la collectivité gagnerait à le voir honorer, ce qui est l’objet de la proposition de loi organique déposée par Jacques Mézard.
Éliminer le soupçon selon lequel l’élu cherche à s’enrichir sur le dos de la collectivité en cumulant les mandats permettra de bien poser, le moment venu, les seules questions qui importent en matière de cumul : niveau de la charge, compatibilité des fonctions, effets sur l’équilibre des pouvoirs en général, et au sein du Parlement en particulier. Ne l’oublions pas, en effet, il s’agit non pas seulement d’une question pratique ou éthique, mais d’indépendance des parlementaires – notion au fondement même, je l’ai déjà dit, de la démocratie – et d’équilibre des pouvoirs réels. Cette question est bien plus complexe que celle qui nous est posée aujourd’hui.
Le montant de l’indemnité versée au parlementaire, la somme des indemnités et compensations représentatives de frais liés à sa fonction, les moyens matériels et humains mis à sa disposition – vous trouverez, mes chers collègues, le détail de tout cela dans le rapport –, lui permettent d’exercer son mandat dans des conditions satisfaisantes, qui garantissent son indépendance.
Cette proposition de loi organique, croyez-moi, mes chers collègues, n’est pas un exercice de mortification s’ajoutant à tous ceux qui ont été inventés pour conjurer les maux affligeant le pays, ce qu’ils sont, d’ailleurs, bien incapables de faire. Il s’agit plutôt d’une opération de clarification, permettant de bien poser le seul problème qui devrait nous importer : comment rendre au Parlement son pouvoir et à ce pays le dynamisme que seule une authentique démocratie permet ? §