Merci d'avoir pris pour exemple les chorégraphes Claude Brumachon et Benjamin Lamarche à Nantes, d'une part, et d'autre part Blanca Li, parce qu'ils ont des parcours et des trajectoires très caractéristiques.
Pour les premiers, que je connais bien pour avoir travaillé avec eux, ils ont été nommés à Nantes en 1985. Trente ans plus tard, ils sont encore à la tête de cette institution ! Il en va de même pour Jean-Claude Gallotta, nommé à la tête du centre chorégraphique national de Grenoble en 1986.
Je ne connais aucune femme qui ait été nommée dans ces années-là et qui soit encore en poste aujourd'hui...
En ce qui concerne Blanca Li, avec qui j'ai eu l'occasion d'échanger à plusieurs reprises, l'ensemble des subventions publiques qui lui ont été accordées en treize ans de carrière s'élève à environ 13 000 euros, ce qui rend le travail impossible !
Jamais retenue par les commissions d'experts, la compagnie de Blanca Li a tout de même suscité l'intérêt du directeur de la Maison des arts de Créteil, Didier Fusillier, qui l'a programmée à diverses reprises. La qualité de son travail a convaincu le maire de Créteil de la possibilité de lui confier la direction du centre chorégraphique national.
Comme cela se fait traditionnellement, un appel d'offres a été lancé. Mais la violence suscitée par la candidature de Blanca Li, venant notamment des représentants de l'État, a abouti à l'annulation de la première procédure, à la suite de laquelle un second appel d'offres a dû être lancé, pour lequel Blanca a de nouveau fait acte de candidature.
Le résultat de la procédure a été édifiant. L'État a nommé un homme à la tête du centre chorégraphique national de Créteil, réservant à Blanca Li une place indéterminée (co-direction ? artiste associée ?) dont les conditions d'exercice paralysaient totalement le travail. Bien sûr, un an après, Blanca Li avait quitté le centre chorégraphique national de Créteil.
Or, la notoriété et la qualité du travail de cette chorégraphe n'ont plus à être prouvées. Elle a travaillé avec les plus grands, parmi lesquels Almodovar, elle a réalisé des films diffusés dans les festivals de cinéma... Alors qu'est-ce qui explique la violence déchaînée contre elle ?
Tous les arguments utilisés contre elle - notamment tenant au fait qu'elle ferait de la danse « populaire » - ne sont pas tenables. Plus profondément, je pense que la révolution esthétique et symbolique qu'a suscitée la danse contemporaine dans le paysage chorégraphique dominé par le néo-classicisme a profondément dérangé le milieu « professionnel ».
Alors que le public, curieux, remplit les salles, on entend les conseillers du ministère ou de la délégation à la danse qualifier notre travail d'« excessif », de « singulier » ou d'« inutilement provocateur ».
Il n'est pas neutre, à cet égard, de constater que les nouveaux chorégraphes hommes proposent de la danse « codée », que ce soit le « hip hop » ou le néo-classicisme. De nombreux centres chorégraphiques nationaux accueillent aujourd'hui des compagnies de « répertoire » ou néo-classiques. Même Angelin Prejlocaj, dont le travail au sein du centre chorégraphique national d'Aix-en-Provence est remarquable depuis plus de vingt ans, « flirte » aujourd'hui avec le néo-classicisme.
En résumé, pour être aujourd'hui accepté dans l'institution, il vaut mieux ne pas trop bousculer les esthétiques et ne pas être une femme.