Intervention de Maryvonne Blondin

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 16 mai 2013 : 1ère réunion
Adaptation du droit français au droit de l'union européenne dans le domaine de la justice — Examen du rapport d'information

Photo de Maryvonne BlondinMaryvonne Blondin, rapporteure :

Une des conséquences concrètes du départ à l'étranger suite à tromperie est le non-retour en France des femmes et filles victimes. Certaines ne reviendront jamais en France.

Cet empêchement du retour fait partie intégrante du mode opératoire utilisé par de nombreuses familles pour se soustraire à l'application de la loi française.

Notre droit est pour le moment mal armé pour faire face à ce phénomène, qui se répand d'autant plus que la répression des mariages forcés devient plus efficace sur le territoire national.

Le 11 mai 2011, a été signée à Istanbul une convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. Cette convention a pour objet de prévoir des règles minimales en matière de prévention, de prise en charge des victimes, ainsi que de poursuite et de répression des auteurs d'infractions auxquelles les femmes sont particulièrement exposées, telles que les violences sexuelles (viols et agressions sexuelles), les violences physiques et psychologiques, le harcèlement, les mariages forcés, les mutilations génitales ou encore les « crimes d'honneur ». Mon rapport écrit reviendra plus longuement sur le contenu de la convention. Le projet de loi adapte notre droit pénal aux éléments qui sont novateurs par rapport à la situation actuelle.

Cette mise en conformité de la législation française avec la convention du 11 mai 2011 suppose cinq adaptations, dont trois concernent le code pénal et deux le code de procédure pénale.

Les trois modifications au sein du code pénal sont les suivantes : une nouvelle incrimination sanctionnant le fait de tromper autrui de manière à lui faire quitter le territoire national dans le but de le forcer à conclure un mariage ; l'incrimination de la tentative d'interruption de grossesse sans le consentement de la personne intéressée ; l'incrimination de l'incitation non suivie d'effet d'une mineure à subir une mutilation sexuelle.

La répression des mariages forcés est déjà prévue en France. En revanche, notre droit ne prévoit pas le cas où le but de la manoeuvre est d'emmener la victime hors du territoire de son État de résidence.

Le projet de loi crée ainsi dans le code pénal un nouvel article incriminant « le fait, dans le but de contraindre une personne à contracter un mariage ou à conclure une union à l'étranger, d'user à son égard de manoeuvres dolosives - c'est-à-dire une tromperie - afin de la déterminer à quitter le territoire de la République ».

La convention impose également aux États signataires de sanctionner la tentative d'un certain nombre de faits dont elle prévoit qu'ils doivent constituer des infractions pénales. Le droit français est conforme à cette stipulation, hormis pour une infraction, celle d'interruption de grossesse sans le consentement de la personne intéressée. Le fait d'avoir administré à son insu une pilule abortive à une femme ou une fille sera désormais punissable, même s'il n'y a pas eu avortement.

La convention prévoit également la répression de l'incitation d'une jeune fille mineure à subir une mutilation génitale, même si cette incitation n'est pas suivie d'effet. Le projet de loi ne limite pas l'application de cette disposition nouvelle aux seules jeunes filles, mais la rend applicable à tout mineur, fille ou garçon. Ce nouveau dispositif pourra avoir un effet préventif : en permettant de poursuivre des adultes (parents par exemple) ayant échoué dans leur tentative d'obtenir la mutilation sexuelle d'un mineur, il permettra plus facilement d'éviter qu'ils n'y réussissent ultérieurement.

Le projet de loi prévoit enfin deux dispositions de procédure rendues nécessaires par la directive : l'information de la victime en cas d'évasion de l'auteur de l'infraction ; la suppression des conditions liées à la nationalité ou à la régularité du séjour pour bénéficier de l'indemnisation par la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI).

Sur cette partie du projet de loi, je vous propose dix recommandations.

Recommandation n° 7. - La délégation recommande que la Convention d'Istanbul du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique soit rapidement soumise à l'approbation du Parlement.

Recommandation n° 8. - La délégation demande que la connaissance des phénomènes de violences faites aux femmes et domestiques soit améliorée, au-delà de ce qui en est perçu par les services judiciaires, notamment par des enquêtes statistiques.

C'est un point important, car les violences faites aux femmes se produisent le plus souvent à huis clos et dans des cercles sociaux fermés, notamment familiaux. Il est à craindre que ce qui en est connu de la justice soit la partie émergée de l'iceberg. Des études pluridisciplinaires, notamment statistiques, sont nécessaires pour mieux combattre ce fléau.

Recommandation n° 9. - La délégation recommande que la formation et la sensibilisation de l'ensemble des services publics en contact avec la jeunesse, l'enfance et les familles aux questions de violence domestique soient généralisées pour améliorer la détection et la prévention.

Cette recommandation est dans le même esprit que la précédente. Les victimes de violence sont souvent au contact de services publics (notamment d'enseignement) qui, faute de sensibilisation, ne décèlent pas les problèmes. Si un collège ou un lycée alerte une famille de l'absence de sa fille alors que celle-ci est précisément en voie de partir pour un mariage à l'étranger contrainte par sa famille, cela n'aura aucun effet. Ce n'est bien sûr pas le rôle de l'Éducation nationale de combattre ce problème, mais une meilleure détection de sa part pourrait permettre un gain d'efficacité considérable dans le but d'empêcher le départ.

Recommandation n° 10. - La délégation recommande de ne pas s'interdire le recours aux médiations familiales.

Il s'agit d'une suggestion des services de la Chancellerie.

Les médiateurs familiaux peuvent être des auxiliaires précieux pour détecter les comportements de victimes contraires à leurs propres intérêts, très fréquents sur ces sujets.

Les six dernières recommandations que je vous suggère portent sur les mariages forcés. Elles tendent à rendre plus efficace la lutte contre l'escroquerie au mariage forcé à l'étranger.

Recommandation n° 11. - La délégation recommande une identification précise des États de destination des mariages forcés et l'engagement avec eux de négociations en vue de faire face au phénomène.

Recommandation n° 12. - La délégation propose que puissent être incriminées les manoeuvres dolosives en vue d'un départ à l'étranger même si la finalité n'est pas strictement un mariage forcé.

Il arrive en effet que des personnes soient transférées frauduleusement à l'étranger dans d'autres buts qu'un mariage, pour les faire changer d'orientation sexuelle ou les couper des milieux qu'elles fréquentent par exemple. Même s'il n'y a pas alors mariage, il y a alors le plus souvent au moins exil forcé.

Recommandation n° 13. - La délégation propose que le fait de tromperie au départ à l'étranger puisse être constaté a posteriori dès lors que la victime, initialement consentante au départ et au mariage, a ensuite subi sur le territoire de l'État d'arrivée, une autre des infractions prévues par la convention d'Istanbul.

Je propose cette recommandation car il peut arriver que des jeunes filles consentent à partir tout en sachant que c'est pour un mariage, sans savoir ce qui les attend réellement après. Si nous nous en tenons là, la France ne pourra rien faire si ces jeunes filles souhaitent ensuite revenir.

Recommandation n° 14. - La délégation recommande que soit réprimé l'empêchement au retour sur le territoire français.

C'est une suggestion de l'association « Voix de femmes » qui est confrontée à ce genre de difficultés.

Recommandation n° 15. - La délégation recommande que puisse être prononcée une interdiction de sortie du territoire à l'encontre d'un mineur qui se trouverait exposé au risque d'un mariage forcé à l'étranger.

Il s'agit d'une recommandation pragmatique, une sorte de principe de précaution. Les conditions juridiques précises de cette procédure seraient à définir si le gouvernement devait en retenir l'idée. Mais cela permettrait de prévenir certains départs.

Recommandation n° 16. - La délégation recommande que nos postes diplomatiques situés dans les États de destination des mariages forcées soient sensibilisés et dotés de guides de bonnes pratiques dans ce domaine en vue de la protection et du retour des victimes.

Le rôle de nos consulats est en effet essentiel pour « récupérer » les victimes, prendre connaissance des faits, et créer les conditions d'un retour si nécessaire.

Les consulats peuvent assurer l'aide aux victimes et leur retour. Mais certains sont très en pointe, d'autres plus en retrait. Un partage des bonnes pratiques serait donc très utile.

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