C'est une joie pour moi, de rendre compte au Parlement, conformément à la loi, de notre rapport annuel sur la sûreté et la radioprotection, comme nous le faisons depuis maintenant six ans que la loi a été promulguée. Il s'agit d'un rapport assez imposant dans sa composition. Il est le fruit d'un travail collectif. Dans la salle est représenté l'état-major de l'Autorité de sûreté nucléaire. Il s'agit de mon premier exercice de ce type mais je ne suis pas le seul nouveau. Le Collège a également été renouvelé. Mme Margot Tirmarche, nommée commissaire par le président de l'Assemblée nationale, a participé à l'exercice de rédaction de ce rapport, plus familier aux autres membres du collège.
Je structurerai mon propos autour de l'état proprement dit de la sûreté et de la radioprotection. Jean-Christophe Niel, directeur général, abordera l'activité même de l'Autorité de sûreté nucléaire dans ses différentes missions. Je reprendrai ensuite la parole pour dresser un certain nombre de perspectives, listant les points qui constituent des enjeux forts pour les années à venir et je tenterai d'apporter les premières réponses à l'ensemble de vos questions, aidé en cela par les spécialistes présents autour de moi.
Ce rapport ne constitue pas un rapport d'activité. Nous ne dénombrons pas simplement les incidents en donnant toutes les suites. Ce rapport porte un jugement sur l'état de sûreté et de la radioprotection en France. Nous nous engageons, nous nous prononçons à tout le moins, sur cet état. Cela signifie aussi que nous jugeons par ce biais les actions engagées par les exploitants, qui restent les premiers responsables de la sûreté et de la radioprotection. Ce rapport est diffusé largement, à 4 000 exemplaires dans sa version complète et à 13 000 exemplaires dans sa version synthétique, notamment, autour de tous les sites nucléaires, auprès de tous ceux qui participent aux commissions locales d'information. Cette diffusion massive est complétée par une diffusion de la synthèse en anglais. Cette année, nous l'avons également adressé de manière spécifique à tous les parlementaires. Nous nous sommes attachés à leur donner une vision des installations situées sur leur territoire, en les invitant à participer aux discussions autour des enjeux de sûreté.
S'agissant de l'état de la sûreté et de la radioprotection en France en 2012, nous estimons que la situation s'avère « globalement assez satisfaisante ». Les termes choisis se révèlent cohérents avec l'appréciation que nous portions sur la sûreté et la radioprotection en 2011. Cette situation est le fruit d'un double constat. Même si nous ne jugeons pas la sûreté au nombre des incidents, ceux-ci demeurent et certains nous amènent à tirer des conséquences et des retours d'expérience. Autre fait marquant en 2012, comme en 2011, l'ombre portée d'un certain nombre d'accidents perdure. Fukushima marque clairement l'année 2012 comme elle marquera probablement l'année 2013 en matière de sûreté. Un autre accident, plus ancien, a connu une actualité récente dans le domaine de la radioprotection, plus spécifiquement dans le domaine de la radiothérapie. Il s'agit d'Épinal. Un grand nombre de décès sont imputables à cet accident. Le jugement de première instance a eu lieu en début d'année. Il nous rappelle l'importance de ces enjeux et des actions à mener dans un domaine tout à fait central. Ceci constitue la partie négative qui nous conduit à formuler cette appréciation. L'autre partie, plus positive, tient au fait que ces incidents et accidents ont suscité la prescription et la prise progressive de décisions d'amélioration de la sûreté. C'est la raison pour laquelle notre jugement conclut à un état « assez satisfaisant », le terme « globalement » renvoyant à l'idée qu'il peut exister des disparités de situation entre les installations.
Dans le domaine des grosses installations nucléaires de base, les suites de Fukushima marquent l'année 2012. Le 3 janvier, nous avons remis notre rapport formulant notre avis et les grandes recommandations. Il a été suivi le 26 juin dernier par des prescriptions beaucoup plus précises. Nous nous inscrivons désormais dans une démarche d'affinage de ces prescriptions, notamment la définition de ce que nous avons souhaité, c'est-à-dire la mise en place d'un noyau dur : il s'agit d'un ensemble de matériels complémentaires de sûreté capables d'intervenir, y compris face à des agressions externes extrêmes. Le travail essentiel qu'il reste à accomplir autour de ce noyau dur consiste à s'accorder sur la nature et l'importance des agressions externes, qu'il convient de prendre en compte. Il s'agit d'un point essentiel qui conditionne la manière dont les exploitants commanderont et installeront les matériels concernés. Chaque fois que, sur une disposition post-Fukushima, il peut émerger des difficultés de mise en oeuvre immédiate, si nous devons définir un matériel mais que la définition nécessite trois à quatre mois, nous nous attacherons à ce que des dispositions transitoires d'attente permettent d'améliorer la sûreté à court terme.
Dans cette démarche post-Fukushima, qui a été globalement reprise au niveau européen sous l'appellation de stress test, la France se distingue sur deux points, positivement de mon point de vue. En premier lieu, elle a étendu le champ d'examen de réévaluation de sureté après Fukushima à l'ensemble des installations et non seulement aux réacteurs nucléaires. Nous avons donc entrepris la même démarche sur les réacteurs et sur les grosses installations du cycle du combustible. Autre complément positif, nous avons pris en compte les facteurs sociaux, organisationnels et humains. Cette prise en compte est le fruit du travail que nous avons mené et de la présentation que nous avons réalisée devant le Haut comité pour la transparence et l'information en matière de sécurité nucléaire. Le travail est en cours. Sur ce second point, nous avons mis en place un groupe de travail pluraliste. Trois sous-groupes de travail sont aujourd'hui à l'oeuvre sur plusieurs grands thèmes. Le premier d'entre eux concerne la sous-traitance, un thème classique qui cherche à préciser notamment la façon dont la sous-traitance peut et doit intervenir en cas d'accident. Fukushima montre à l'évidence que les sous-traitants s'avèrent nécessaires à la gestion d'un accident de cette ampleur et que les conditions de leur intervention ne sont probablement pas si simples que cela. Autant un contrat classique peut fixer les conditions d'intervention en situation classique, autant, en situation de crise, des réflexions doivent être menées afin que les entreprises et les personnels fassent ce qui est attendu d'eux pour assurer la sûreté des réacteurs. À cela s'ajoute un autre sujet extrêmement important et complexe, concernant le renouvellement des compétences. Le parc nucléaire français a été construit voilà de nombreuses années. Les embauches ont eu lieu à cette époque. Les personnels partent à la retraite à l'heure actuelle. Dans les trois ou quatre prochaines années, EDF devra faire face à un renouvellement de 30 à 40 % de ses effectifs. Ce sujet pose de nombreuses questions d'organisation et de formation afin d'avoir la certitude que toutes les conditions seront remplies après ce renouvellement massif en matière de qualification des personnes et donc de sûreté des installations. Je formulerai maintenant un avis plus circonstancié sur chacun des exploitants d'installations nucléaires de base.
Pour EDF, une vigilance de long terme s'impose toujours en matière d'exploitation et de maintenance car des incidents se produisent encore. Nous répétons ce message de longue date car il s'agit d'un point sur lequel nous nous devons d'insister, compte tenu de son importance. Il existe par ailleurs un domaine dans lequel des progrès clairs doivent être consentis, le domaine de l'environnement et la manière dont EDF traite ces sujets. De nombreuses installations supports sont soumises aux règles environnementales classiques. Or, nous considérons que le travail mené par EDF sur ces installations doit être amélioré. Des progrès sont à accomplir. Nous nous sommes depuis 5-6 ans attachés à essayer d'apprécier la qualité d'exploitation de chacun des réacteurs nucléaires. Pour ce faire, nous avons utilisé trois critères : l'exploitation-maintenance, la radioprotection et l'environnement. Le rapport s'attache à opérer une classification grossière des centrales. Les mêmes centrales peuvent présenter de bons résultats dans un domaine mais des résultats moins satisfaisants dans un autre. La centrale de Fessenheim, par exemple, sort bien en termes d'exploitation-maintenance mais affiche de moins bons résultats en matière de radioprotection. Les questions que nous nous posons sur Fessenheim trouvent une réponse rapide grâce à la motivation de tous, y compris des services centraux.
Pour Areva, nous avons relevé deux points marquants. Sur La Hague, deux points sont considérés comme devant faire l'objet de progrès : la qualité du processus de retour d'expérience suite à incident et, sujet plus important et plus ancien, la reprise et le conditionnement des déchets. Les anciennes installations de La Hague ont produit des déchets. Dans les nouvelles installations, les déchets sont directement mis en fûts sous une forme moderne de conditionnement qui permet leur traitement dans les filières. À l'époque, en revanche, ces déchets étaient globalement placés en vrac dans des réservoirs a priori étanches. Ils ne sont donc pas conditionnés. Nous demandons à Areva avec insistance, depuis un certain nombre d'années, de les placer dans des formes modernes de conditionnement, conformément aux pratiques actuelles. Récemment, Areva a enfin pris un certain nombre d'engagements. Nous nous montrerons extrêmement vigilants, afin que ces engagements, notamment en termes de calendrier, soient respectés et que ces anciens déchets soient repris et conditionnés de manière robuste. Le deuxième sujet renvoie à un incident, classé au niveau 2 l'an dernier, survenu sur l'usine de fabrication du combustible de Romans-sur-Isère. Nous ne mesurons pas la sûreté simplement à l'aune des incidents mais outre l'anomalie, l'incident illustrait un manque global de culture de sûreté sur lequel nous menons actuellement des discussions avec l'exploitant pour renforcer sa vigilance.
Deux sujets concernent le CEA. Le premier sujet tient au démantèlement. Le CEA possédant des installations plus anciennes, est engagé dans des processus de démantèlement. Nous estimons qu'il existe un problème sur le degré et le niveau de sous-traitance du CEA pour ces opérations spécifiques de démantèlement. Nous considérons la sous-traitance trop importante, les délégations trop nombreuses et les contrôles sans doute insuffisants. La discussion est en cours et nous veillerons à ce qu'un équilibre soit trouvé pour ces opérations importantes, qui présentent des risques en termes de sûreté. Le second sujet se révèle plus transverse. Le CEA a, par le passé, pris un certain nombre d'engagements mais il a récemment reporté la réalisation de certains de ceux-ci. Nous pouvons imaginer qu'un report soit acceptable, voire souhaitable, mais une succession de reports peut poser un problème en matière de sûreté. Nous appelons le CEA à faire preuve d'une grande vigilance sur ce point. Je connais personnellement les difficultés budgétaires du CEA, de par mes anciennes fonctions, mais les reports successifs peuvent, dans la durée, affecter la sûreté. Nous ferons donc preuve de rigueur. Je quitte le domaine des grandes installations de base pour évoquer le domaine du nucléaire de proximité.
Premier domaine du nucléaire de proximité, les radiographies industrielles. Dans la période récente, nous avons rencontré un certain nombre d'incidents, dont certains se sont révélés relativement sérieux. Nous avons été amenés à renforcer le programme d'inspection de chantier, organisant plus d'une centaine (107) d'inspections sur l'année 2012.
Par ailleurs, la question de la sécurité des sources et de leur protection vis-à-vis d'éventuels actes de malveillance constituait un domaine orphelin en termes de contrôle. Un projet de loi a été déposé au Sénat en février-mars 2012 sur ce sujet, qui prévoyait de confier la charge de ce contrôle à l'Autorité de sûreté nucléaire. Nous ne pouvons qu'espérer que ce projet de loi soit adopté. Son adoption nous permettra d'enclencher complètement les contrôles et de réaliser de véritables inspections. Nous avons d'ores et déjà entamé, durant toute l'année 2012, un travail de préparation, en réalisant un certain nombre d'audits qui nous ont permis de débroussailler le problème et d'organiser le futur travail de contrôle qui nous sera confié lorsque la loi sera votée.
Le domaine médical recouvre deux sujets assez distincts. Dans le domaine de la radiothérapie, comme le montrent les attendus du jugement d'Épinal, nous avons pu constater que la présence en nombre et en qualifications suffisantes des radio-physiciens auprès des médecins s'avère cruciale. Après l'accident d'Épinal, en 2006-2007, nous avions insisté sur ce point. Aujourd'hui, nous pouvons remarquer une claire augmentation du nombre des radio-physiciens présents. Nous demeurons vigilants sur ce point et opérons des contrôles sur le terrain, veillant à ce que les personnes nécessaires soient présentes et disponibles pour les interventions en radiothérapie. Globalement, nous pouvons constater, sur ce sujet, une nette amélioration.
Le domaine médical recouvre également le sujet de l'imagerie médicale, qui nous concerne tous, puisque nous bénéficions tous d'examens médicaux. Les examens se révèlent, partout dans le monde et en particulier dans les pays industrialisés, en hausse en nombre comme en termes de dosimétrie reçue. Même si ce phénomène se généralise, nous devons quand même essayer de minimiser les doses. Pour ce faire, il convient de limiter les examens à ceux nécessaires aux fins thérapeutiques visées. Tel est notre combat permanent. En 2012, sous notre impulsion mais avec l'appui des professionnels, un guide est sorti à destination des praticiens sur l'optimisation et la justification des actes médicaux, notamment des actes concernant l'imagerie médicale. Il s'agit d'un document relativement complexe, qui offre aux praticiens un guide des radiographies et examens à réaliser en fonction des pathologies recherchées. Deuxième grand thème sur ce sujet, nous incitons à éviter autant que possible de réaliser des examens dosants. Nous militons ainsi pour l'augmentation du nombre d'examens par IRM et nous constatons bien une augmentation des examens de ce type, même si la route reste longue. Enfin, les matériels utilisés pour effectuer ces examens sont de plus en plus complexes et puissants. De ce fait, le besoin de radio-physiciens accompagnant les praticiens s'avère là encore crucial. Comme nous l'avons fait dans le domaine de la radiothérapie, nous insistons sur la nécessité d'une montée en puissance du nombre et des qualifications des radio-physiciens intervenant dans ce domaine.
Mon dernier point au titre du bilan concernera les déchets. En 2012, nous avons finalisé le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs prévu par la loi. Ce plan dresse des inventaires et prévoit l'organisation des filières de traitement des déchets et des matières pour les trois ans à venir. Le dernier plan est sorti, balisant les trois prochaines années. Il a été transmis au Parlement en fin d'année dernière. Il a fait l'objet de deux réunions de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques tout récemment pour échanger sur les sujets traités par ce plan. Ce document m'apparaît extrêmement utile et pourrait définir un cadre pour le débat à venir sur Cigéo. Nous avons souhaité que le débat sur Cigéo ait lieu dans un calendrier compatible avec ce qu'a prévu la loi de 2006. Ce débat doit débuter le 15 mai 2013 pour s'achever le 15 octobre prochain. Je pense que le Plan national de gestion se révélera fort utile car, à l'évidence, les participants poseront des questions non seulement sur Cigéo mais sur le cadre dans lequel cette initiative s'inscrit. L'ASN prendra pleinement part à ce débat dans sa fonction d'autorité de sûreté.
Je m'arrêterai là sur le bilan. Je dresserai, après l'intervention de Jean-Christophe Niel, quelques perspectives et essaierai de répondre à vos questions.