Intervention de Daniel Aversbruch

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 23 avril 2013 : 1ère réunion
Dans le cadre du débat sur la transition énergétique : Auditions consacrées aux énergies de la mer de : M. Frédéric Le lidec directeur délégué de l'unité énergies marines renouvelables du groupe dcns ; M. Daniel Aversbruch responsable de programme à l'ifp énergies nouvelles ifpen

Daniel Aversbruch, responsable de programme à l'IFP Énergies nouvelles (IFPEN) :

Je vous remercie de me permettre de m'exprimer lors de cette audition. Je procèderai à une revue de l'état d'avancement des différentes sources d'énergie marine renouvelable, avec les enjeux correspondants.

On distingue traditionnellement quatre filières : l'éolien offshore (en mer) flottant, l'énergie des courants (hydrolien), l'énergie thermique des mers (ETM) et l'énergie des vagues (houlomoteur). Je ne parlerai pas des autres énergies renouvelables marines : énergie marémotrice (principe du barrage alimenté par les marées), énergie déjà mature mais possédant peu de perspectives de croissance ; éolien offshore posé (exploitation par faible profondeur d'eau de l'énergie cinétique du vent), technologie en cours de déploiement industriel ; et les gradients de salinité (exploitation de la différence de concentration en sel entre l'eau douce et l'eau de mer), technologie pour le très long terme.

L'offshore flottant exploite l'énergie cinétique du vent au-delà des profondeurs accessibles par l'éolien offshore posé ; elle est une source variable en fonction du vent et non prédictible. L'hydrolien exploite l'énergie cinétique des courants de marée ; il s'agit d'une source d'énergie variable mais très prédictible. L'énergie thermique des mers (ETM) exploite la différence de température entre eaux de surface et de profondeur ; c'est une source d'énergie stable. L'houlomoteur exploite l'énergie cinétique et potentielle des vagues ; c'est une source variable dans le temps.

Ces ressources sont d'ampleur et de répartition spatiale variées. L'éolien offshore flottant exploite des vents plus forts et plus réguliers loin des côtes. La France dispose d'avantages certains dans ce domaine avec ses façades atlantique et méditerranéenne. Le potentiel mondial est estimé à plus de 10 000 térawatts-heure par an (TWh/an). L'hydrolien exploite des courants de marée de vitesse supérieure à 2-3 m/s, situés dans des zones très localisées. Le potentiel mondial est estimé à 500-700 TWh/an. L'énergie thermique des mers nécessite des différences de température de plus de 20 °C et est localisée dans les zones tropicales. Les DOM-COM français sont bien placés. Le potentiel mondial est estimé à plus de 10 000 TWh/an. L'houlomoteur exploite des zones à forte densité d'énergie incidente. La façade atlantique française est favorablement positionnée, avec une puissance transportée par mètre de front - c'est-à-dire par mètre perpendiculaire à la direction de propagation des vagues - de 45 kW/m. Le potentiel mondial est estimé entre 700 et 2 000 TWh/an.

Ces quatre grandes filières sont également très diverses en termes de technologies et de degré de maturité. Les éoliennes offshore flottantes font l'objet de nombreux projets (20-30), avec un fort effet post-Fukushima. Deux machines de démonstration de puissance 2 MW sont installées. La puissance des machines à échelle industrielle devrait s'établir entre 2 et 5 MW, voire plus. Aucun consensus n'existe sur les technologies, tant au niveau des éoliennes que des flotteurs, avec une première génération visant l'adaptation d'éoliennes conventionnelles au positionnement flottant. Des entreprises françaises sont actives dans ce secteur, avec par exemple DCNS, Technip et Nenuphar. L'énergie des courants fait également l'objet de nombreux projets (plus de 50). Plusieurs sont parvenus au stade de démonstration pré-commercial. La puissance des machines devrait s'établir entre 500 kW et 2 MW. Les technologies convergent plutôt vers des machines à flux axial, aujourd'hui à un stade pré-commercial.

Les acteurs de la filière de l'énergie thermique des mers sont beaucoup moins nombreux, avec notamment DCNS et Lockheed Martin. Les quelques projets actifs en sont encore au stade de pilote. La puissance unitaire devrait être de l'ordre de 10 MW. Il s'agit donc d'une technologie utilisant divers cycles thermodynamiques, qui n'a pas encore atteint le stade de la maturité et qui serait adaptée à des marchés à coût local élevé de l'énergie. La quatrième filière représentée par l'énergie des vagues a connu de très nombreux projets (plus de 200) depuis les années 1970. En raison de la complexité de l'exploitation de cette forme d'énergie, quelques projets seulement sont à un stade pré-industriel, essentiellement près des côtes (near-shore). La puissance des machines devrait être entre 100 kW et 1 MW. Les concepts sont nombreux et très différents mais se ramènent tous à des oscillateurs mécaniques excités par les vagues.

Les enjeux de ces quatre filières en termes de recherche et développement (R&D) sont spécifiques. L'éolien offshore flottant repose sur la conception d'un ensemble turbine / flotteur / ancrage optimisé et sur une simulation multi-physique couplée (aéroélastique, hydrodynamique, électrique, mécanique...). L'énergie des courants est tributaire des structures de maintien (fondations) et de la maintenance des hydroliennes ; les interactions entre les effets du courant et de la houle doivent être prises en compte. L'énergie thermique des mers (ETM) suppose la conception et la tenue de la conduite d'amenée d'eau froide de quelques mètres de diamètre, sans commune mesure avec ce que connaît l'industrie pétrolière. Elle repose sur des échangeurs thermiques résistants à l'encrassement (fooling) et une efficacité du cycle thermodynamique. L'énergie des vagues nécessite une robustesse des systèmes de récupération de l'énergie, une capacité de production optimisée par des systèmes de contrôle actif adaptés et des outils d'analyse technico-économiques permettant d'identifier les concepts les plus prometteurs.

Les enjeux transverses sont multiples : l'évaluation et la caractérisation adaptée de la ressource (vent, houle, courant et interactions), la simulation du comportement à l'échelle de la machine et du parc, le raccordement électrique, la validation par l'institut d'excellence en énergies décarbonnées (IEED) « France énergies marines » au moyen d'essais en mer (démonstrateur, puis ferme pilote), l'évaluation des conséquences environnementales et enfin l'acceptation sociétale.

Les niveaux de maturité des quatre filières sont très divers. L'éolien offshore posé domine le marché et le dominera encore plusieurs décennies. Dans 10 ans, l'ensemble des autres technologies pourraient représenter la même ampleur que l'éolien offshore posé. Dans l'ordre de vitesse de croissance, on devrait trouver l'éolien offshore flottant, ensuite l'houlomoteur et l'hydrolien, puis loin derrière les ETM (sauf accélération résultant d'une rupture technologique).

En conclusion, nous sommes en présence de technologies très diverses permettant d'exploiter les ressources associées aux énergies marines. Les filières associées à chaque ressource sont à des degrés de maturité différents. L'intégration sur le réseau de certaines filières (hydrolien, ETM) peut être facilitée par une production prédictible ou stable. Les enjeux industriels et énergétiques en métropole et en outre-mer sont importants. La France possède des atouts propres : ressources énergétiques, expérience industrielle dans des domaines connexes (offshore pétrolier, construction navale, énergéticiens...), des infrastructures portuaires et un tissu de R&D. Un effort de R&D est encore nécessaire pour faire de la France un leader dans le domaine.

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