Ce projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale la nuit dernière, habilite le Gouvernement, sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, à prendre des ordonnances pendant quatre mois. Il fixe un délai de ratification de cinq mois à compter de la publication de ces ordonnances. Il s'inscrit dans le prolongement du discours d'Alfortville du Président de la République et vise à accélérer la production de logements, qui a chuté fortement, entraînant une perte de 25 000 emplois en un an, ce qui témoigne de l'urgence de la situation. La commission des lois s'est saisie pour avis des seules dispositions concernant le contentieux administratif et le droit de l'expropriation.
Quand M. Benoist Apparu avait présenté au Sénat les dispositions majorant les droits à construire, puis à l'occasion de l'abrogation de cette loi en juillet dernier, plusieurs sénateurs, M. Daniel Dubois et d'autres, avaient réclamé des mesures contre les recours abusifs ou dilatoires qui freinent la réalisation des programmes de construction. Si, en droit, le recours contentieux ne suspend pas l'exécution de l'autorisation d'urbanisme qui a été délivrée, il a en pratique un effet paralysant. Lorsqu'un recours est engagé, les banques, les notaires et les promoteurs tenus par des promesses de vente à échéance se mettent d'accord pour retarder l'engagement des opérations de construction. Or, le contentieux de l'urbanisme a augmenté de 8,7% entre 2010 et 2011. Les recours abusifs et dilatoires constituent une réalité : la cour d'appel de Paris a récemment prononcé des condamnations à 18 mois de prison et 50 000 euros d'amende pour escroquerie, dans une affaire de désistement monnayé de recours.
Installé au printemps 2013 par Mme Cécile Duflot, un groupe de travail présidé par l'ancien président de la section du contentieux du Conseil d'État, M. Daniel Labetoulle, groupe qui a entendu notre collègue Alain Richard, a formulé sept propositions. Selon le cabinet de la ministre, six d'entre elles seront reprises dans les ordonnances ; la septième, relative à l'action en démolition, suscite quelques hésitations. Comme Mme Annick Petit, rapporteure de l'Assemblée nationale, je souhaite que le ministère associe les parlementaires à la définition des grandes lignes des ordonnances.
La première recommandation du groupe de travail vise à clarifier les règles de l'intérêt pour agir. Le code de l'urbanisme présente déjà des spécificités à cet égard : ainsi, une association constituée après l'affichage de l'opération en mairie n'a pas la qualité pour agir. Pour veiller au bon équilibre entre droit au recours et droit à construire, il est proposé que l'intérêt pour agir doive être direct et limité au cas où le programme est de nature à affecter directement l'occupation, l'usage ou la jouissance d'un bien occupé régulièrement.
Seconde recommandation, la cristallisation des moyens. Aujourd'hui divers artifices de procédures permettent d'introduire de nouveaux moyens lors des échanges de mémoires au cours de l'instruction. Le groupe de travail préconise que le juge puisse empêcher, à compter d'une date qu'il fixerait, de soulever de nouveaux moyens, à l'exception des moyens d'ordre public.
Troisièmement, il est proposé d'instituer un mécanisme dérogatoire au principe selon lequel la légalité d'un acte s'apprécie à la date de la requête. Le juge disposerait d'un mécanisme de régulation. En cas de vice de procédure par exemple, il pourrait octroyer un délai pour le dépôt d'un permis modificatif, au lieu d'annuler l'acte attaqué.
Plus novateur encore est le dispositif qui permettrait au défendeur, en l'occurrence la victime d'un recours abusif, de présenter devant le juge de l'excès de pouvoir des demandes reconventionnelles à caractère indemnitaire ; c'est le juge, saisi du recours contre l'autorisation d'urbanisme, qui apprécierait la recevabilité de ces demandes. Ce mécanisme se distingue de l'amende infligée par le juge en cas de recours abusif et qui bénéficie à l'Etat. Il s'agit d'une arme dissuasive et efficace... Néanmoins, dans le respect du principe de séparation des ordres de juridiction, ce nouveau recours ne doit pas être exclusif de la poursuite d'une action contentieuse devant le juge civil.
Une autre recommandation porte sur l'encadrement des transactions qui sont en elles-mêmes un procédé acceptable mais peuvent être détournées de leur finalité première. Le groupe de travail propose de rendre obligatoire l'enregistrement devant l'administration fiscale des actes de désistement indemnisé. Je suis favorable à cette transparence.
Une mesure n'a pas suscité l'enthousiasme de la ministre : c'est, je l'ai dit, celle qui vise à recentrer l'action en démolition sur son objet premier. Actuellement, en cas d'annulation contentieuse d'un permis de construire, il est possible à la partie lésée de réclamer la démolition de l'ouvrage construit illégalement, dans le respect néanmoins du principe d'intangibilité des ouvrages publics. La démolition automatique serait limitée à certaines zones : bande littorale, zone de prévention des risques, secteurs sauvegardés... et appréciée en fonction de l'importance des opérations.
Enfin le groupe propose, pour certaines grosses opérations de construction de logements, de confier à la cour administrative d'appel (CAA) une compétence en premier et dernier ressort. Un permis de construire pourrait faire l'objet, selon les cas, d'un recours devant le tribunal administratif, dispensé de ministère d'avocat, ou d'un recours devant la CAA statuant en premier et dernier ressort, sous deux conditions cumulatives : l'acte devrait être délivré sur le territoire d'une commune où une taxe annuelle sur les logements vacants est applicable et il devrait concerner la construction d'une surface importante, au moins 1 500 mètres carrés de surface hors oeuvre nette selon le groupe de travail.
Je suis favorable à ces mesures qui répondent au caractère particulier du contentieux de l'urbanisme. M. Labetoulle reconnaît cependant qu'elles ne dispensent pas d'une réflexion sur la complexité du droit de l'urbanisme et du droit de l'environnement, véritable cause du problème. Les annonces de Mme Delphine Batho sur des états généraux du droit de l'environnement nous donnent des espoirs car ce contentieux a véritablement explosé depuis les lois Grenelle I et II.
J'en viens à l'article 4 du projet de loi. Le Conseil constitutionnel, à l'occasion d'une QPC, a déclaré contraires à la Constitution les articles L.15-1 et L.15-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, relatifs à la consignation de cette « juste et préalable indemnité » exigée par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Faute d'accord sur une indemnité à l'amiable, le juge judiciaire est saisi et fixe une indemnité le plus souvent supérieure à celle proposée par l'expropriant. Il reste possible d'interjeter appel. La consignation ne portant que sur le montant supérieur à l'indemnité proposée par l'expropriant, il s'agit d'une indemnité partiellement préalable. Le Conseil constitutionnel l'admet mais seulement dans des cas circonscrits. Désormais, en cas d'appel, il y aurait donc consignation des sommes en cas d'obstacle au paiement ou de refus de recevoir l'indemnité ainsi que lorsque des indices sérieux laissent à penser que l'expropriant ne pourrait recouvrer la somme versée si la décision de justice lui était favorable. Dans ce dernier cas, le juge pourrait n'autoriser la consignation que de « tout ou partie du montant de l'indemnité supérieur à ce que l'expropriant avait proposé ».
L'équilibre entre droit de recours et droit de la construction est préservé par ce texte. Je vous propose de donner un avis favorable aux deux articles dont nous nous sommes saisis.