Intervention de Claude Bérit-Débat

Commission des affaires économiques — Réunion du 23 mai 2013 : 1ère réunion
Accélération des projets de construction — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Claude Bérit-DébatClaude Bérit-Débat, rapporteur :

Lors de l'annonce du Plan d'investissements pour le logement, le 21 mars dernier, le Président de la République a demandé au gouvernement de recourir aux ordonnances pour accélérer la mise en oeuvre de la politique en matière de construction.

Si cette procédure ne saurait être un mode habituel d'élaboration de la loi, elle est justifiée dans des domaines précisément circonscrits, en raison de l'urgence ou de la grande complexité technique des sujets.

Depuis un an, le Parlement joue un rôle central dans la politique du logement. Aussi bien en loi de finances qu'à l'occasion du vote de la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement, il a adopté plusieurs mesures fortes : renforcement des obligations en matière de construction de logements sociaux, mise à disposition des terrains de l'État pour construire des logements sociaux, augmentation des aides à la pierre, création d'un nouveau dispositif d'investissement locatif, etc.

Une nouvelle séquence parlementaire s'ouvrira bientôt. Au cours de l'été, sera déposé un projet de loi destiné à infléchir les politiques publiques en matière d'aménagement et d'urbanisme, et ainsi concilier plus harmonieusement l'objectif de construire davantage et mieux avec celui de préserver les espaces naturels et agricoles. Là encore, le Sénat et l'Assemblée nationale exerceront sans restriction ni délégation leurs compétences législatives.

Le projet de loi d'habilitation s'inscrit donc dans l'intervalle entre ces deux séquences parlementaires fortes, les lois Duflot I et Duflot II. Il comporte des mesures à la fois pragmatiques et techniques, décisives pour lever des freins à la construction. Simplification des procédures administratives, réduction des délais contentieux en matière d'urbanisme, accès plus aisé du public à l'information urbanistique ou encore raccourcissement des délais de paiement dans le secteur de la construction : autant de mesures détachables du projet de loi Duflot II et qu'il serait ridicule de garder dans les tiroirs !

Avec les ordonnances nous gagnons plusieurs mois, et peut-être un an, soit un temps précieux. Retarder l'adoption de ces mesures utiles constituerait une erreur économique tout autant que sociale et politique, car stimuler la construction et la rénovation de logements est non seulement un impératif humain pour tous les ménages qui ont du mal à se loger, mais c'est aussi un formidable moyen de soutenir le secteur de la construction et d'appuyer le tissu des TPE et des PME du bâtiment, qui irriguent tout le territoire.

L'article 1er définit le champ de l'habilitation à légiférer demandée par le Gouvernement en recensant huit points.

Le premier point concerne la création d'une procédure intégrée pour le logement (PIL) qui sera applicable pour les projets de construction ou d'aménagement comportant principalement la réalisation de logements au sein des unités urbaines.

Certains projets rendent nécessaire de modifier préalablement, parfois de façon substantielle, certains documents d'urbanisme (PLU ou SCOT) mais aussi certains schémas et plans qui s'imposent aux documents d'urbanisme du fait de la hiérarchie des normes : les programmes locaux de l'habitat (PLH), les plans de déplacement urbain (PDU), les zones de protection du patrimoine architectural urbain et paysager (ZPPAUP) ou les aires de mise en valeur du patrimoine (AVAP), les plans de prévention des risques naturels (PPRN), etc.

Toutefois ces documents doivent être modifiés selon des procédures spécifiques et souvent longues, qui, comble de l'absurde, comprennent des éléments redondants, notamment dans le domaine de la consultation du public et de l'évaluation environnementale. Le temps perdu est considérable, d'autant plus que chaque procédure de modification peut être attaquée devant le tribunal administratif : aux délais administratifs s'ajoutent les délais contentieux.

Il existe certes déjà une procédure censée regrouper les procédures de modification - la déclaration de projet - mais elle fonctionne mal et est très peu utilisée car elle ne s'applique pas à certains documents (par exemple les PLH ou les DUP) et, dans d'autres cas, le législateur a omis de préciser la procédure à suivre...

La procédure intégrée pour le logement comblera ces manques. Une évaluation environnementale unique sera réalisée en amont de la procédure. Elle précisera comment réaliser en une fois la modification des divers documents qui font obstacle à un projet. Certaines autorisations individuelles pourront être instruites dans la foulée. Le temps d'instruction des dossiers sera ainsi divisé par deux ou trois.

La PIL restera cependant circonscrite aux zones urbaines et sera utilisable uniquement pour des projets d'intérêt général comportant principalement la réalisation de logements. Elle constituera donc une démarche d'exception, qui n'a pas vocation à se substituer aux procédures normales d'élaboration et d'évolution des documents d'urbanisme. Le niveau d'exigence de l'évaluation environnementale ne diminuera pas, puisque la PIL retiendra les modalités d'évaluation et de consultation du public les plus exigeantes parmi celles prévues dans les procédures regroupées.

Cette procédure ambitieuse est cependant très complexe à élaborer car plusieurs codes devront être modifiés simultanément de manière cohérente. Le recours à une ordonnance est justifié.

Le point 2 crée un géoportail de l'urbanisme.

Le point 3 facilite le financement des projets d'aménagement comportant principalement des logements en assouplissant les règles prudentielles en matière de garantie d'emprunt prévues par le code général des collectivités territoriales. Il s'agit concrètement d'étendre aux projets d'aménagement des possibilités de dérogations qui existent déjà dans la loi pour la construction de logements sociaux.

Le point 4 vise à accélérer le règlement des litiges dans le domaine de l'urbanisme et à prévenir les contestations dilatoires ou abusives. C'est une demande ancienne, tant des porteurs de projets que des élus locaux. La question avait été abordée lors des débats sur la loi Duflot I, notamment par Daniel Dubois. La ministre s'était engagée à avancer rapidement des propositions. Le Gouvernement a créé un groupe de travail. Le rapport Labetoulle a été rendu public début mai et ses propositions apportent des solutions innovantes et équilibrées. Ainsi, l'obligation pour le requérant de déclarer aux services fiscaux les indemnités perçues en contrepartie de son désistement du recours engagé, sous peine de nullité de la transaction.

Autre exemple : la possibilité pour le bénéficiaire du permis de construire d'intenter une action en dommages et intérêts contre l'auteur d'un recours abusif, en cas de préjudice anormal. La mesure visera uniquement les recours malveillants.

De même, le juge aura la possibilité de fixer une date au-delà de laquelle de nouveaux moyens ne pourront plus être invoqués à l'appui d'une demande d'annulation du permis de construire. C'est la cristallisation des moyens.

Le point 5 de l'habilitation vise à faciliter les projets de construction dans les zones tendues en autorisant les dérogations à certaines règles posées par un document d'urbanisme. Il ne s'agit pas d'une dérogation générale aux règles des PLU telle que la prévoyait la loi sur la majoration des droits à construire présentée en 2012 par le précédent Gouvernement. En l'espèce, la non-opposabilité des règles des PLU à certaines demandes d'autorisation sera circonscrite dans l'espace, puisqu'elle concernera uniquement les zones caractérisées par un écart important entre l'offre et la demande de logements, et circonscrite aussi dans son objet, puisque les domaines où la dérogation interviendra sont définis par le texte d'habilitation.

Ainsi la surélévation d'un immeuble ou la transformation des bureaux en logements peut se heurter aux obligations en matière d'aires de stationnement définies par le PLU. Il faut donc prévoir les conditions dans lesquelles on déroge à ces règles. De même, pour lutter contre les « dents creuses » et permettre l'alignement d'un bâtiment sur la hauteur des bâtiments adjacents, il faut prévoir les conditions dans lesquelles déroger, le cas échéant, aux règles de gabarit et de densité.

Le point 6 de l'habilitation vise à favoriser le développement du logement intermédiaire, destiné à combler le vide qui existe dans les zones tendues entre l'offre de logement social d'un côté et le marché libre de l'autre. Certains ménages des classes moyennes sont trop aisés pour prétendre à un logement social et trop pauvres pour se loger correctement au prix du marché. Par ailleurs, ce vide dans l'offre bloque les parcours résidentiels pour les ménages qui pourraient quitter le parc social.

Les documents de planification (PLU, SCOT, PLH) fixeront ainsi des objectifs ou des obligations prenant en compte ce type de logement intermédiaire.

L'ordonnance créera aussi un nouveau régime de bail permettant de produire des logements intermédiaires à des prix maîtrisés tout en garantissant que l'effort financier consenti par les collectivités ne sera pas détourné par des pratiques spéculatives. Le dispositif envisagé repose sur la dissociation entre le foncier et le bâti des logements intermédiaires. Les personnes publiques propriétaires du foncier concèderont aux promoteurs des terrains à un prix bas, pour une période de long terme, avec un bail emphytéotique de 75 à 99 ans, dans le cadre d'une convention qui précisera que les logements construits sont destinés à un public de locataires ou d'acquéreurs bien précis, défini par des niveaux de revenus intermédiaires. Les logements construits sur ces terrains ne pourront être loués qu'à ces personnes et ils ne pourront être cédés qu'à la condition que l'acheteur respecte lui aussi la destination initiale de ces locaux d'habitation.

Le point 7 de l'ordonnance vise à généraliser la garantie financière d'achèvement extrinsèque pour toutes les opérations de vente en l'état futur d'achèvement (VEFA). La garantie extrinsèque est fournie par un établissement financier, à la différence de la garantie dite intrinsèque, en réalité une simple dispense de garantie accordée sous certaines conditions au constructeur. En cas de défaillance du constructeur, les acheteurs se retrouvent démunis. L'ordonnance rend obligatoire la garantie extrinsèque.

Enfin, le point 8 de l'habilitation prévoit de modifier les règles relatives aux délais de paiement et au versement des acomptes dans le domaine de la construction afin de soulager la trésorerie des entreprises du secteur. Actuellement, les entreprises sous-traitantes transmettent leurs factures au maître d'oeuvre, qui procède à leur vérification puis se fait payer par le maître d'ouvrage. Les délais de vérification (30 jours) s'ajoutent aux délais de paiement. L'idée est d'intégrer ces deux délais pour accélérer le règlement des acomptes.

Quelques mots sur les délais. L'article 2 prévoit que les ordonnances devront être prises dans un délai de quatre, six et huit mois, selon les cas. L'article 3 fixe, quant à lui, un délai de cinq mois après la publication de l'ordonnance pour déposer devant le Parlement un projet de loi de ratification.

En conclusion, ce texte va dans le bon sens. Sur la forme, la complexité technique et le caractère relativement urgent des mesures envisagées justifie le recours aux ordonnances. Comme le Parlement a un contrôle clair sur les objectifs et les principes qui définissent le contour de l'habilitation et qu'il contrôlera le texte final lors de la ratification, rien ne s'oppose à l'utilisation de l'article 38 de la Constitution.

Je demanderai à Madame la ministre, lors du débat en séance, que le Parlement soit informé au fur et à mesure de la rédaction des ordonnances, de manière à pouvoir conduire un dialogue constructif avec l'administration.

Sur le fond, certaines mesures sont ponctuelles, d'autres structurelles. La procédure intégrée pour le logement, le géoportail de l'urbanisme et la réforme du contentieux de l'urbanisme marquent un net progrès vers plus de proximité, de simplicité et de réactivité de l'administration. C'est ce que nos concitoyens attendent et ce dont notre économie a besoin. Voilà un bel exemple du choc de simplification appelé de ses veux par le Président de la République.

Plusieurs points ont été précisés par les députés au cours des débats à l'Assemblée nationale, comme la possibilité de condamner au versement de dommages et intérêts l'auteur d'un recours abusif, le recentrage du régime du logement intermédiaire sur les zones denses, ou encore les précisions apportées sur les liens entre les organismes d'HLM et leur filiale dédiée au logement intermédiaire.

Quelques points appellent cependant des précisions supplémentaires.

Je vous propose un amendement pour préciser que les dérogations aux règles des PLU prévues pour densifier seront une faculté ouverte aux communes et non une obligation. Autant le préciser dans le texte, d'autant que la ministre l'a confirmé hier lors de son audition.

Également, à l'article 1er, la rédaction des alinéas 15 et 18 sur les dérogations en matière de gabarit, de densité ou d'obligation de stationnement prévues au 5° est obscure. Je vous proposerai une rédaction alternative mais seulement pour l'examen en séance publique compte tenu de la technicité du dispositif et des délais très brefs de l'examen du texte transmis par l'Assemblée nationale.

Il en va de même pour la fin de l'alinéa 22 qui prévoit que les personnes assurant la détermination effective de l'orientation de l'activité des filiales d'organisme d'HLM qui font du logement intermédiaire ne puissent assurer la détermination de l'orientation de l'activité au sein de l'organisme mère. Or, les membres du conseil d'administration de la filiale et de la maison mère sont forcément en partie les mêmes, puisqu'y figurent des représentants des collectivités locales. Je vous proposerai également la semaine prochaine une solution à ce problème.

Malgré ces quelques points secondaires encore en suspens, je vous propose d'adopter le texte modifié par le seul amendement en discussion.

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