Intervention de Jean-Étienne Antoinette

Réunion du 22 mai 2013 à 14h30
Refondation de l'école de la république — Suite de la discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Étienne AntoinetteJean-Étienne Antoinette :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si « tout se joue avant six ans », si le contexte de la socialisation première de l’enfant et les apprentissages donnés très tôt à ce dernier sont d’une importance capitale, alors, je salue particulièrement l’universalité de l’article 5 votée en commission.

Néanmoins – j’en suis convaincu –, tout n’est pas perdu non plus pour les élèves après six ans. Je salue donc également l’article 8 de ce projet de loi, en regrettant seulement que cette ouverture de la « seconde chance » soit limitée au niveau V de qualification, alors que, on le sait, la réussite professionnelle augmente considérablement lorsque les élèves ont démontré leur capacité de passer du niveau V au niveau IV, c’est-à-dire le baccalauréat.

Ces deux articles portent, à mon sens, des principes et des objectifs clefs du système éducatif que nous refondons aujourd’hui. Et cela vaut davantage encore pour mon département, le plus sinistré de France en matière d’éducation, la Guyane.

Quelques chiffres illustrent ce constat : l’an dernier, le baccalauréat technologique a connu une baisse du taux de réussite de six points. Pour le baccalauréat professionnel, la baisse est de dix-sept points, ce qui creuse l’écart déjà important avec les résultats métropolitains.

En effet, 53 % de la population guyanaise des plus de 15 ans n’est pas diplômée, contre 20 % en métropole, et seuls 14 % de ceux qui ont quitté le système scolaire ont obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur. Les difficultés d’insertion des 15-25 ans du département, dont 55 % souffrent du chômage, sont à mettre en corrélation avec ces parcours éducatifs non aboutis.

Mes chers collègues, permettez que j’insiste encore sur le cas particulier de la Guyane au regard des ambitions nationales affichées dans ce texte.

Mon département ne souffre pas d’un simple écart par rapport à la norme nationale, pas plus qu’on ne relève quelque situation particulière d’échecs dans des zones d’exclusion bien circonscrites. Le système éducatif est globalement sinistré, déconnecté de réalités sociologiques, économiques et culturelles différentes.

Lorsque 50 % de la population générale n’ont pas le français pour langue maternelle, une proportion qui atteint 100 % dans certaines parties du territoire, la question de la maîtrise de la langue française et, donc, de l’accès à la langue d’enseignement exige, à l’évidence, d’être abordée autrement que par la simple mise en cause de la grande diversité linguistique des apprenants.

Cette diversité linguistique, qui traduit aussi la diversité d’origine et de culture des élèves – 80 nationalités, 15 langues parlées – est un défi à l’école dans sa mission d’intégration.

Dès lors, ne devons-nous pas donner un sens particulier au concept de « refondation » de l’école en Guyane ? Au-delà, et surtout, n’est-ce pas un impératif républicain que de décliner les moyens nécessaires pour y mettre en œuvre l’ambition affichée ici ?

Comme dans tous les pays en mal de développement, la question des infrastructures est cruciale en Guyane, où la population scolaire a doublé en dix ans. Les conditions d’un égal accès de tous à l’école passent par la création d’établissements et de classes, ainsi que de postes, et cela dans le premier comme dans le deuxième degré.

En effet, si, chaque année, 5 000 enfants ne trouvent pas place à l’école primaire, les lycées peinent aussi à accueillir les redoublants de la terminale.

Je tiens ainsi à saluer votre action, monsieur le ministre, pour cette rupture que constitue la création des 216 postes d’enseignants de premier et second degré dans l’académie de Guyane.

Toutefois, les marges de progrès restent importantes au niveau des conditions d’accueil et d’hébergement des enseignants affectés dans les territoires isolés ou en difficulté et des conditions de scolarisation : la restauration scolaire et le transport sont encore trop insuffisants pour que les conditions matérielles de réussite des élèves soient pleinement réunies.

Cependant, au-delà des questions matérielles, la refondation de l’école ne sera qu’un mot qui sonne creux sans un changement de posture et des principes d’actions de l’éducation nationale en Guyane. L’exigence d’égalité républicaine ne saurait faire l’économie d’une approche différenciée de l’enseignement dans ce territoire d’exception. C’est même à cette condition qu’un véritable système d’égalité des chances pourra se bâtir en Guyane, à partir des réalités du territoire.

Ainsi, la formation des enseignants exerçant en Guyane doit intégrer le fait multiculturel comme une donnée de base, tout comme de vrais statuts professionnels doivent être élaborés pour les auxiliaires d’enseignement, tels que les médiateurs linguistiques ou culturels favorisant le lien direct entre l’école et l’environnement de l’enfant. Tous les spécialistes reconnaissent, en effet, que la valorisation des langues maternelles constitue le meilleur accès au français, langue de scolarisation

L’enjeu de ces efforts, sociétal autant qu’économique, c'est-à-dire le développement de la Guyane – mais n’est-ce pas vrai pour l’ensemble de notre pays ? – exige aussi bien la cohésion sociale que la formation de sa population. Ce texte est un grand mouvement, dans un sens que je soutiens pleinement.

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