Intervention de Vincent Peillon

Réunion du 22 mai 2013 à 14h30
Refondation de l'école de la république — Suite de la discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Vincent Peillon :

Je faisais silence sur ces points parce que je considérais que vous étiez malheureux d’avoir été contraints, par les exercices de solidarité que nous connaissons, d’accompagner un mouvement qui n’était pas bon pour le pays. Toutefois, j’attendais au moins qu’un certain nombre d’entre vous soient au rendez-vous, au moment d’ailleurs où nous reprenons beaucoup de vos préconisations, sur l’accueil des petits enfants, sur la diversité des pédagogies, sur la remise en place d’une formation qui associe bien discipline, didactique et pédagogie au sens de la pratique. Ce moment, il était attendu depuis assez longtemps pour que vous puissiez nous rejoindre et faire fi des clivages politiques !

Or je constate, à ce stade, que vous n’êtes pas au rendez-vous, et je le déplore, y compris pour l’exemple que nous avons à donner, car l’école n’appartient pas à un camp contre un autre : elle appartient à tous les républicains. Je l’ai rappelé au début de la discussion, et vous avez repris cette idée.

Un certain nombre d’interrogations m’ont tout de même semblé légitimes. Quand on me parle des directeurs d’école, pour lesquels rien n’a été fait pendant dix ans, sinon supprimer toutes les aides administratives que je vais rétablir en un an, je pense que, là, le débat s’arrête ! Lorsque l’on nous dit qu’il faudrait accueillir les enfants de moins de trois ans, alors que la proportion d’accueil de cette tranche d’âge est passée de plus de 30 % à 11 % en l’espace de dix ans, le débat s’arrête ! En revanche, lorsque l’on soulève des interrogations légitimes, j’y réponds volontiers.

Monsieur Savin, les questions que vous avez soulevées me paraissent légitimes. La prise en charge et l’accompagnement des enfants de moins de trois ans doivent se faire de façon spécifique. Aucun d’entre nous ne pense – et je reviendrai, plus globalement, sur la maternelle, à propos de laquelle M. Carle, en particulier, a soulevé des questions – que l’accueil des enfants de moins de trois ans se fait comme celui des enfants de cinq ans, voire de sept ou neuf ans. C’est pourquoi nous avons indiqué qu’une formation spécifique pour l’école maternelle serait mise en place ; je remercie d'ailleurs le groupe CRC d’avoir insisté sur ce point.

Quand j’avais le bonheur d’enseigner en école normale, il y avait des modules de 70 heures pour préparer à l’enseignement en maternelle. Je vous rappelle que ces modules ont été totalement supprimés. Il y a une cohérence dans cette suppression, puisqu’elle est intervenue au moment où on « primarisait » l’école maternelle.

Monsieur Carle, nous considérons que, même du point de vue des apprentissages cognitifs, gnoséologiques et donc intellectuels, que vous appelez à juste titre de vos vœux, la préparation psychomotrice et affective est socialisante et tout à fait déterminante, comme nous l’enseignent tous les psychologues de l’enfance. En revanche, forcer des enfants à faire à cinq ans, avant la maturation nécessaire et alors que des problèmes de motricité peuvent les empêcher d’apprendre à écrire, ce qui ne peut être fait qu’à six ou sept ans, en ayant laissé mûrir l’enfance dans l’enfant, c’est provoquer nombre de difficultés scolaires, d’échecs et d’exclusions ; c’est d'ailleurs ce qui se passe aujourd'hui.

Il y a peut-être une différence entre nous, une différence noble, qui porte sur la pédagogie. Nous assumons pleinement, en accord avec les maîtres, notre choix de redonner à l’école maternelle toute son identité et sa formation, afin de préparer les apprentissages et de faire en sorte qu’ils soient couronnés de succès.

Vous avez abordé un point important : l’objectif d’avoir plus de maîtres que de classes en primaire. J’ai été très étonné que vous pensiez que ce principe pédagogique, qui permet, comme vous l’avez souhaité dans votre ouvrage, monsieur Carle, d’affecter plus de moyens au cours préparatoire et aux premiers apprentissages – le directeur général de l’enseignement scolaire et moi-même l’avons indiqué dans les circulaires d’accompagnement –, vise à traiter la difficulté scolaire.

Je continue de penser que les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED, doivent être confortés, car ils ont toute leur place. Nous les ferons évoluer sur la base des rapports d’inspection. Toutefois, la pédagogie du maître surnuméraire, pratiquée dans un certain nombre de pays, que l’on cite souvent en exemple, vise non pas simplement à prendre en charge la difficulté scolaire, mais également à diversifier les pratiques pédagogiques dans la classe, afin de donner à tous les moyens de réussir.

Il existe également une incompréhension sur la question des rythmes scolaires. Vous m’avez adressé à de multiples reprises un reproche que je trouve curieux : vous m’avez reproché d’avoir commencé par mobiliser des moyens financiers pour la réforme des rythmes scolaires. Il est vrai que les intervenants ultérieurs m’ont quant à eux reproché de ne pas avoir mobilisé assez de moyens... Le principe de non-contradiction n’était donc déjà pas respecté !

Nous débattons d’une loi de programmation et d’orientation qui, pour ne prendre que cet exemple, prévoit que la Nation consacrera 800 millions d'euros à la remise en place de l’année de stage : 800 millions d'euros pour que les professeurs puissent entrer progressivement dans le métier, comme nous l’avons fait.

L’État n’a pas affecté 60 000 postes au traitement de la question des rythmes scolaires. Le fonds est doté de 250 millions d'euros, et vous savez très bien qu’il fait appel à la caisse nationale des allocations familiales, la CNAF. Votre reproche est donc injuste. En la matière, la priorité n’est pas financière. Comme l’ont rappelé plusieurs orateurs, les moyens sont mis au service d’un projet pédagogique qui passe par le rétablissement de la formation.

Je crois que, sur ce sujet, il n’y a pas de divergences entre nous. Peut-être avez-vous la volonté de ne pas voir ce que nous faisons. Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE, dont certains ont salué le principe, ont précisément vocation à faire en sorte que la professionnalisation soit assurée par la présence de praticiens – professeurs, conseillers pédagogiques, maîtres formateurs, conseillers principaux d’éducation, inspecteurs – dans les établissements.

Nous récusons la division, que le système n’a d'ailleurs jusqu’à présent jamais réussi à établir, entre la théorie et la pratique. Les praticiens iront enseigner dans les écoles. Ils accueilleront, mais ils iront enseigner dans les écoles. Bien entendu – je le souligne en réaction à un amendement que je ne peux pas accepter –, les enseignements disciplinaires ne seront pas entièrement assurés par les écoles : les unités de formation et de recherche, les UFR, en assureront également.

Je rejette les accusations de pédagogisme, les reproches éternels formulés à l’encontre des instituts universitaires de formation des maîtres, les IUFM d’autrefois. Nous devons dépasser les problèmes, tous ensemble, car le problème français réside dans le cloisonnement. C’est pour cette raison que je veux réunir tout le monde – les universitaires, les praticiens, les éducateurs, les maîtres du primaire et les maîtres du secondaire – dans les ESPE, afin que chacun apprenne qu’il a quelque chose à apprendre des autres. En outre, comme vous nous avez permis de le préciser, il y aura un investissement important sur le terrain.

Des inquiétudes ont été exprimées. Madame Bouchoux, la pédagogie que vous appelez de vos vœux est fortement présente dans l’ensemble du projet de loi. Je l’ai toujours affirmé, la refondation de l’école de la République se doit d’être une refondation pédagogique.

Le problème que nous rencontrons – cela nous ramène à mon évocation de Michelet –, c’est que la pédagogie française républicaine est une pédagogie de la coopération, et même du mutuellisme, comme on disait autrefois, une pédagogie de l’action, de l’initiative, de la confiance. C’est bien parce qu’il existe une distorsion entre les qualités que l’on attend du citoyen, et éventuellement du travailleur, et celles que l’on enseigne à l’école, que nous sommes confrontés à une difficulté structurelle et très ancienne.

Plusieurs de mes prédécesseurs ont tenté de rectifier la situation ; Jean-Michel Baylet a cité Jean Zay, par exemple. Cependant, à chaque fois, l’inertie, la lourdeur et une certaine forme d’incompréhension des fondements mêmes de notre engagement républicain ont conduit à dévaloriser les méthodes que je viens d’évoquer. Elles sont toutefois présentes, à de nombreux points de vue.

La discussion à l’Assemblée nationale et en commission au Sénat a déjà permis d’enrichir le projet de loi : d'abord, en substituant une logique de coopération à une logique de compétition ; ensuite, en précisant, comme vous le souhaitiez, que la réforme s’inscrit dans un projet d’école tout au long de la vie ; enfin, en rappelant – vous y avez beaucoup insisté – que le numérique doit être facteur de travail en équipe, interdisciplinaire et en initiative. Il faut changer les pédagogies et les pratiques pédagogiques elles-mêmes. Tout cela est déjà dans le texte, qui a été enrichi par vos travaux.

J’en viens aux projets éducatifs de territoire. Certains se sont demandés si ce projet de loi comportait une grande réforme ; il n’en comporte pas une, mais plusieurs. Il n’y a qu’à voir les résistances qu’il suscite. Les projets éducatifs de territoire sont évidemment une nouveauté. Leur mise en œuvre sera évidemment difficile : il est difficile de s’ouvrir aux autres, de travailler avec les autres, de concevoir un projet éducatif.

Les collectivités locales financent 25 % de l’investissement éducatif en France. Il faut demander à l’État d’accepter de leur parler, car les collectivités ne sont pas seulement des carnets de chèques. Il faut également dire aux professeurs que les éducateurs sont des gens respectables, auxquels on confie d'ailleurs les enfants. C’est ce que nous avons fait, pour nous mettre au niveau des pays qui réussissent. Il est donc normal que nous rencontrions les difficultés que vous avez pu observer ces derniers temps.

Un comité de suivi, qui réunit l’ensemble des associations d’élus, des syndicats d’enseignants et bien entendu des représentants des parents, examine les projets éducatifs qui ont été mis en place cette année. Si c’est nécessaire – et ce sera sans doute nécessaire, comme pour les ESPE –, nous améliorerons le dispositif au fur et à mesure. Le comité de suivi est actuellement au travail.

Vous avez réclamé plus de liberté locale, plus de souplesse dans l’ensemble du dispositif. Je viens de faire une expérience en tant que ministre de l’éducation nationale – vous avez raison d'ailleurs de dire que je suis ministre du scolaire et non du périscolaire. J’ai décidé qu’il y aurait de nouveau école le mercredi ou le samedi matin. Au cours préparatoire, au CP, quinze heures sont consacrées aux apprentissages fondamentaux. Or je sais qu’il vaut mieux trois heures cinq matins par semaine que trois heures quatre matins par semaine, avec un complément vers seize heures.

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