Intervention de Sophie Primas

Réunion du 22 mai 2013 à 14h30
Refondation de l'école de la république — Question préalable

Photo de Sophie PrimasSophie Primas :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, au-delà des mots choisis et commentés par certains de nos collègues, nous semble décevant, car il est trop incomplet et éloigné de nombre des réalités et des causes de l’échec scolaire.

Un moment d’alternance politique est pourtant favorable pour oser engager les réformes de fond, que vous avez vous-même maintes fois appelées de vos vœux. Pourtant, avec ce projet de loi, vous tournez autour des vrais enjeux du monde de l’éducation, sans jamais oser vous lancer dans une politique globale.

Cette politique, vous auriez pu la construire en analysant encore mieux, comme l’a fait la Cour des comptes, les failles de notre système éducatif. Au lieu de cela, nous renouons avec un vocabulaire certes fourni, très riche, très généreux, mais trop souvent idéologique, et avec des objectifs – éducation à la santé, à la morale laïque, à l’égalité de genre, à la sensibilité artistique – certes extrêmement importants, mais parfois périphériques au regard des difficultés extrêmes rencontrées par certains, qui appellent d’autres priorités ; je pense aux méthodes pédagogiques, au socle commun et à sa définition, à l’orientation, au rôle de l’inspection, à l’apprentissage.

L’essentiel de votre réforme repose sur l’octroi de moyens supplémentaires à l’école. Parlons donc de ces moyens ! Nous partageons avec vous la conviction que l’école doit échapper aux logiques comptables. Sur ce point, je me permettrais de citer un ancien président de l’université d’Harvard, qui disait : « Si vous pensez que l’éducation coûte cher, essayez donc l’ignorance ! ».

Cependant, l’éducation nationale ne peut se dédouaner de la nécessité de s’assurer de la juste utilisation de chaque denier public. Notre déficit public s’élève à 4, 8 % du PIB, loin de notre objectif de 3 %, et nous n’arrivons pas à sortir de la spirale des déficits records. La précédente majorité avait souhaité réduire les dépenses de l’éducation nationale – et nous l’assumons –, en appliquant la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Ce choix reposait sur un postulat que vous rejetez d’office, celui de l’absence de lien entre les résultats éducatifs et une augmentation des moyens.

Pourtant, ce postulat n’est pas le nôtre, mais celui de la plupart des études traitant des questions éducatives. Ainsi, dans le quatrième volume de ses résultats pour 2009, intitulé Les Clés de la réussite des établissements d’enseignements, le PISA remarquait une « corrélation faible entre les ressources pédagogiques et la performance des élèves », cette dernière étant plutôt liée, dans les nations industrialisées, à la « qualité des ressources humaines, c’est-à-dire les enseignants et les chefs d’établissement ». De fait, le seul type de ressources pour lesquelles PISA montre une corrélation formelle avec la performance des élèves est « le niveau des salaires des enseignants par rapport au revenu national ».

Cette appréciation éclairera peut-être l’actuelle majorité sur les choix de ses prédécesseurs, qui n’ont pas jugé utile d’augmenter les ressources humaines globales, pour plutôt participer à une revalorisation du traitement des enseignants et de leur formation, ce qui ne sera plus possible à l’avenir, puisque vous vous liez les mains, monsieur le ministre, en consacrant votre budget à des augmentations du nombre de postes.

Ce constat vient d’être confirmé, aujourd’hui même, par un rapport de la Cour des comptes traitant du métier d’enseignant. Selon ce document, « le ministère de l’éducation nationale ne souffre pas d’un manque de moyens ou d’un nombre trop faible d’enseignants, mais d’une utilisation défaillante des moyens existants ». La Cour des comptes souligne que les effectifs des enseignants du secondaire n’ont pas cessé d’augmenter entre 1993 et 2005, alors que ceux des élèves diminuaient parallèlement. Et entre 2009 et 2011, les effectifs d’enseignants du primaire augmentaient, quand ceux de leurs élèves stagnaient.

Par ailleurs, pour les sages qui ont rédigé ce rapport, aussi incroyable que cela puisse paraître, les décisions de recrutement sont guidées par le volume d’heures de cours et le souci d’assurer chaque année, grâce aux postes ouverts au concours, des débouchés satisfaisants aux universités. M. le Premier président Didier Migaud souligne par ailleurs la nécessité d’une redéfinition du métier d’enseignant, d’une réflexion sur les affectations et sur la régionalisation des embauches.

Autrement dit, le lien de causalité entre l’augmentation du nombre de postes et les résultats scolaires, sur lequel se fonde le Gouvernement aujourd’hui pour légiférer et pour élaborer sa nouvelle politique publique de l’éducation, est faux et clairement dénoncé comme tel par la Cour des comptes.

Le dépôt de cette question préalable nous paraît donc s’imposer, en raison de votre analyse inexacte de la situation, mais également de la déconnexion des solutions que vous envisagez avec la réalité du terrain.

L’écart se creuse, effectivement, entre les élèves performants et les élèves en très grande difficulté scolaire. Ces difficultés apparaissent dès les premières années et se répercutent sur le reste de la scolarité de l’élève si elles ne sont pas prises en compte et résolues dès leur apparition. Elles correspondent également, le plus souvent, aux inégalités sociales, vous l’avez souligné.

L’étude de la proportion d’élèves en retard à l’entrée en sixième en 2010 indique que 3, 4 % des enfants de cadres et d’enseignants entrent dans cette classe avec un retard, alors que 18, 3 % des enfants d’ouvriers sont dans ce cas.

D’une politique de massification des moyens que vous nous proposez aujourd’hui, nous devons passer impérativement à une politique de prise en charge diversifiée des élèves, avec une personnalisation de l’enseignement, afin de ne laisser personne au bord du chemin. Pour aider ces élèves en grande difficulté – moi qui suis élue de la partie populaire du département des Yvelines, avec ses quartiers en difficulté, je sais de quoi je parle –, il faut reconnaître la nécessité d’adopter des démarches spécifiques, ce qui ne revient en aucune façon, bien sûr, à les stigmatiser.

Cette démarche doit être engagée dès l’école élémentaire et nous approuvons, monsieur le ministre, votre choix de donner la priorité à l’enseignement primaire. Malheureusement, vous ne prévoyez pas d’enseignements ni d’accompagnements spécifiques à ce stade, ou du moins pas clairement.

Pourtant, plusieurs expérimentations mentionnées dans le livre de notre collègue Jean-Claude Carle ont démontré que l’individualisation de l’enseignement est bien plus efficace qu’un cours magistral dans les petites classes. Je pense aux exemples canadien, anglais ou finlandais. Voilà une idée qui, clairement exprimée dans ce projet de loi, aurait pu faire l’objet d’une refondation.

Par ailleurs, vous ne traitez du collège que pour vous assurer qu’il est bien monolithique, et vous omettez le lycée. Vous délaissez ainsi les conditions de l’intégration professionnelle des élèves.

Pourtant, vous le savez comme moi, il n’y a pas d’élèves en échec : il n’y a que des élèves qui ne sont pas à leur place, qui sont mal orientés, qui ont d’autres rêves, d’autres compétences à valoriser pour ne pas être sur la voie de l’échec scolaire.

La voie professionnelle doit pouvoir être proposée dès la quatrième, de manière plus spontanée, aux élèves dans le processus d’orientation, même avant quinze ans, notamment par des personnes extérieures à l’école, par exemple des chefs d’entreprise, qu’il conviendrait de faire entrer dans les collèges et les lycées.

Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur le fait que, tel qu’il est conçu aujourd’hui, le métier de conseiller d’orientation-psychologue n’est plus adapté aux besoins des élèves. Il faut réinventer un nouveau mode de recrutement et de gestion des carrières, rendant impérative une meilleure connaissance continue des métiers et de la réalité économique, afin de renforcer l’« approche métiers » de l’éducation à l’orientation dans l’enseignement secondaire.

En conclusion, malgré le travail important de Mme la rapporteur, travail que je tiens à saluer, nous demandons que ce projet de réforme soit réétudié. §

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