Intervention de Françoise Laborde

Réunion du 22 mai 2013 à 14h30
Refondation de l'école de la république — Question préalable

Photo de Françoise LabordeFrançoise Laborde :

Il a fait le choix d’une logique purement comptable appliquée à la maîtrise des dépenses de l’éducation, mettant ainsi en péril l’avenir même de la France, avec comme mesure phare la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, qui a entraîné de manière mécanique, dans l’éducation, la suppression de 80 000 postes en cinq ans. Notre taux d’encadrement se situait pourtant parmi les plus bas des pays de l’OCDE, avec une moyenne de 18, 7 élèves par enseignant, contre 15, 8 en 2010.

On a justifié toutes ces suppressions par la nécessité de procéder à un audit des politiques publiques, de s’interroger sur leur pertinence, afin de réaliser des économies.

Or, je le répète, cette vision comptable de l’éducation était réductrice et a transformé l’école en variable d’ajustement.

À la question « faut-il créer 60 000 postes dans l’éducation, dans le contexte budgétaire actuel, malgré de faibles marges de manœuvre ? » je réponds oui, mes chers collèges, car l’élévation du niveau d’éducation de nos enfants, l’amélioration de leur insertion professionnelle et de leur capacité d’innovation participeront au redressement de la France, à la croissance, à la réduction des déficits et de la dette publics.

À la question « ces 60 000 nouveaux postes vont-ils aggraver notre situation budgétaire ? » je réponds non, car leur création a été compensée par la réduction de la dépense dans le budget de l’État.

À la question « la dépense publique pourrait-elle être mieux utilisée ? » je réponds que là n’est pas le problème. L’investissement dans l’éducation a augmenté de 36 % entre 2000 et 2009 dans les pays de l’OCDE, contre seulement 9 % dans notre pays. Si la dépense éducative de la France, avec 6, 3 % du PIB, continue de se situer dans la moyenne des pays de l’OCDE, à savoir 6, 4 %, doit-on considérer que cette dépense est excessive ? Je ne le crois pas.

Certains pays consacrent à leur système éducatif plus de 7 % de leur PIB : l’Islande, la Corée du Sud ou le Danemark se situent à environ 8 %, la Nouvelle-Zélande à 7, 4 % et les États-Unis à 7, 3 %. Tous ces pays ont bien compris que les dépenses en matière d’éducation constituent des dépenses d’avenir, des dépenses publiques utiles, efficaces, indispensables et rentables. La priorité accordée à la jeunesse de notre pays doit passer par l’investissement dans l’école de la République, non par le désinvestissement.

Les moyens prévus pour cet investissement sont considérables. Utilisés pour donner aux enseignants et aux personnels d’éducation une formation de qualité, ils auront un impact fort sur la réussite scolaire.

Après avoir constaté les effets de la suppression de l’année de formation initiale des enseignants et de leur formation professionnelle, peut-on objectivement considérer que cette réforme n’est pas urgente ?

Mes chers collègues, le rétablissement d’une formation pour les futurs enseignants, de la maternelle à l’université, et l’extension de la formation à tous les personnels d’éducation sont des mesures qui justifient à elles seules l’examen de ce texte.

La mise en place d’une année de stage permettra également aux lauréats des concours de bénéficier d’une réelle expérience pédagogique, d’apprendre à gérer une classe, d’être préparés à exercer un métier qui s’apprend.

La suppression de 80 000 postes et la fin de la formation professionnelle des enseignants ont contribué au renforcement des inégalités sociales et territoriales.

En 2009, nous étions au vingt-septième rang des trente-quatre pays de l’OCDE au regard de l’équité scolaire. De manière ironique, il se trouve que c’est une organisation internationale connue pour sa vision libérale qui nous prodigue des conseils pour réduire nos inégalités scolaires !

Hélas, les effets d’une telle politique sur l’éducation des enfants semblent presque indolores lorsqu’on possède dans son jeu la carte du privé. Peut-on stigmatiser les familles qui le peuvent d’y envoyer leurs enfants ? Non, car elles ne sont pas responsables de l’instauration d’une école à plusieurs vitesses. C’est à l’État de faire le nécessaire et de reprendre les choses en mains. Il y a aussi de ce point de vue urgence à agir.

Chers collègues de l’opposition, dans vos interventions, vous reconnaissiez vous-mêmes hier, comme vous le faites aujourd’hui, que l’école va mal, qu’elle est en crise et que le constat est alarmant. Vous avez d’ailleurs déposé un grand nombre d’amendements, montrant ainsi que vous êtes prêts à apporter votre pierre à l’édifice de l’école de la République. Dans ces conditions, pourquoi déposer et soutenir des motions de procédure ? Voudriez-vous, en vous opposant le temps d’une ou deux motions à ce texte, tenter de défendre le bilan des majorités successives depuis plus de dix ans ?

Mes chers collègues, sans céder à une lecture partisane et réductrice de la politique éducative, il faut reconnaître que bien des mesures prises par la précédente majorité ont eu pour effet d’aggraver les inégalités sociales et territoriales en matière d’éducation, et je le déplore.

Où est passé le principe de l’école publique gratuite, laïque et obligatoire proclamé par Condorcet ? Où sont passés le programme de Belleville, les lois Ferry, la loi de 1905 ou encore programme du Conseil national de la Résistance ?

En outre, la reproduction des inégalités ainsi que l’aggravation de l’échec scolaire ont été entretenues par la mise en place d’une orientation subie, résultant notamment de déterminismes sociaux et territoriaux et de la mise à mal du principe du collège unique.

Le projet de loi y remédie et le texte adopté par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication rappelle à juste titre que tous les enfants partagent la capacité d’apprendre et de progresser, car toute personne a une place dans la société, un rôle à y jouer, et l’école doit pouvoir guider tout un chacun vers ce rôle.

Le texte consacre notamment le droit à la formation pour les jeunes « décrocheurs » et il rend ainsi effectif le droit à l’instruction reconnu pour tous les enfants et tous les adultes par le préambule de la Constitution de 1946, lequel a, chacun le sait, valeur constitutionnelle.

Par ailleurs, le projet de loi supprime les dispositifs d’orientation précoce, réaffirme le principe du collège unique – sans idéologie – et accorde une place essentielle à l’orientation pour que celle-ci puisse être choisie, pour qu’un large éventail de possibilités s’ouvre à tous les élèves et pour permettre de relancer le fameux ascenseur social.

Le parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel proposé à chaque élève devra tenir compte des perspectives professionnelles, mais aussi de ses propres aspirations.

Ces mesures sont d’autant plus importantes que l’orientation choisie est une orientation réussie, un passeport pour l’avenir.

La réussite passe également par la révision du contenu des programmes scolaires, qu’il convient de rendre cohérents avec le nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Le Conseil supérieur des programmes, qui comprendra désormais des membres du Parlement et du Conseil économique, social et environnemental, sera consulté et proposera des recommandations en la matière.

Le socle commun de connaissances et de compétences, tel qu’il a été instauré par la loi Fillon du 23 avril 2005, a-t-il amélioré la situation ? Non ! Les compétences de base ne sont toujours pas maîtrisées et le livret de compétences est un échec éclatant, sans compter qu’il est excessivement chronophage pour les enseignants.

Le projet de loi comporte des mesures essentielles en matière de contenus. Il institue un véritable parcours d’éducation artistique et culturelle, pour que l’accès à l’art et à la culture se démocratise, quel que soit le territoire concerné. Cette mesure, avec le renforcement de la place du sport à l’école, consolide les vecteurs de transmission de nos valeurs.

Je veux m’attarder sur le nouvel enseignement civique et moral. Cet enseignement, dénué de dogmatisme, garantira le respect des opinions, des idées, des croyances. Il permettra la tolérance, le respect de tous et l’universalité de l’instruction. Il vise l’émancipation de la personne vis-à-vis des préjugés et le développement de son esprit critique ; il vise sa liberté.

Les valeurs communes héritées de la philosophie des Lumières, comme la laïcité, ne doivent pas être détournées pour diviser. Elles doivent être considérées pour ce qu’elles sont : des outils pour rassembler.

C’est sur ces valeurs que repose l’identité française, dénaturée par des débats inutilement polémiques, créateurs de divisions et de tensions au sein de notre société, et qui ont fourni un terreau de choix aux communautarismes ainsi attisés.

Ce sont des valeurs d’apaisement. Elles doivent irriguer l’ensemble des enseignements et c’est pourquoi notre groupe les défendra avec ferveur.

Toutes ces mesures tendent à fonder une nation inclusive grâce à l’école, partageant des valeurs communes, intégrant tous les futurs citoyens, sans distinction de sexe, d’origine sociale ou de culture.

Ce sont autant de connaissances, de savoir-faire qui ne s’acquièrent que par l’application d’un rythme adapté à l’enseignement et à l’enfant.

Alors qu’en 2008 le gouvernement Fillon décidait, à l’encontre de l’intérêt de l’enfant, de concentrer les enseignements sur quatre jours hebdomadaires, le gouvernement actuel rétablit de manière courageuse la semaine de quatre jours et demi. Le projet de loi prévoit la création d’un fonds en faveur des communes afin que la mise en place de la réforme se fasse sans que se creusent les inégalités entre communes favorisées et défavorisées.

Certes, plusieurs dispositions ne pourront s’appliquer qu’après la publication de décrets. Certes, ce projet de loi ne procède pas à un changement révolutionnaire du fonctionnement de notre système éducatif – mais nous ne sommes pas là pour faire la révolution ! Néanmoins, il comporte un certain nombre de mesures indispensables qu’il est urgent d’adopter.

L’avenir de la France mérite d’être discuté au sein de la Haute Assemblée. Il mérite que l’ensemble des élus se penchent sur les orientations et la programmation des moyens que le Gouvernement entend consacrer à l’institution qui a pour mission de former des citoyens en devenir.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous propose de repousser la motion tendant à opposer la question préalable et de poursuivre ainsi l’examen de ce texte fondamental, indispensable, très attendu par le monde éducatif, dans l’intérêt des enfants de la République et au service du redressement de notre pays. §

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