Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, une « France de propriétaires », telle est l’ambition du Président de la République. Ce slogan n’est pas nouveau : il a été lancé par Valéry Giscard d’Estaing lors de sa campagne présidentielle en 1974.
Certes, il répond sans doute à l’aspiration de nombreux Français. La possession d’un logement est, en effet, une réponse aux craintes sur l’avenir des retraites, ainsi qu’un besoin légitime de transmission et de solidarité intergénérationnelle, et, plus particulièrement, elle correspond au goût des Français pour l’habitat individuel. Il s’agit là d’un vieux mythe conservateur et réactionnaire, faisant fi des réalités qu’implique en pratique une telle politique. Et je parle essentiellement de nos agglomérations !
La maison individuelle, dans une agglomération, c’est l’étalement urbain, avec toutes les dépenses que cela occasionne pour une collectivité publique, mais aussi pour les ménages. Fait aggravant, ce choix a favorisé la spéculation immobilière, ce qui a eu pour conséquence de renchérir le coût des terrains et, par-delà, celui de l’accession à la propriété.
Quant à l’accession sociale à la propriété de type appartement sans accompagnement, la conséquence est souvent ce qu’il est convenu d’appeler les « copropriétés dégradées ». Et pourtant, je continue à penser qu’il faut encourager et favoriser un parcours résidentiel ascendant.
Tout cela pour dire que, si l’on veut favoriser l’accession à la propriété, il faut d’abord maîtriser le foncier. Cela passe par la réactivation des « zones d’aménagement différées » oubliées depuis dix ans, qui ont le mérite de geler le prix du terrain. Cela passe par l’appropriation, par les collectivités, de terrains constructibles en amont le plus tôt possible. Cela passe, également, par une taxation importante et obligatoire des terrains qui sont rendus constructibles à la suite d’une décision publique.
Mais, soyons lucides, l’accession à la propriété est devenue de moins en moins possible pour les ménages à revenus modestes. Tandis que la proportion des ménages sous plafond PLUS – prêt locatif à usage social – grimpait de 64 % à 74 % entre 2001 et 2006, la proportion des ménages à moins de trois SMIC parmi les accédants chutait de 45 % à 33 %. Les classes moyennes ont, elles aussi, subi fortement la crise et la pression immobilière. Il faut dire que, en quinze ans, les prix de l’immobilier ont été multipliés par 2, 5, alors que le revenu des ménages n’a progressé que de 1, 5 point.
Malgré la déductibilité des intérêts d’emprunt, les prêts à taux zéro, le Pass-Foncier, les maisons à 100 000 euros, celles à 15 euros par jour et les taux d’intérêt très bas, la France des propriétaires n’a pas beaucoup progressé... Nous en sommes à 57 % de propriétaires, ce chiffre n’a pas bougé depuis 2007.
Vous nous avez proposé une réforme des aides à l’accession, une de plus, le PTZ+ dont vous nous dites qu’il mobilisera 2, 6 milliards d’euros au lieu de 1, 2 milliard pour le PTZ actuel. Mais vous prévoyez de supprimer d’autres financements comme le Pass-Foncier et le crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt, et d’autres encore. J’ai calculé que l’aide à la pierre allait globalement diminuer de 50 %.
Mais cette nouvelle mesure n’est pas soumise à condition de ressources, ce qui devrait la rendre plus intéressante pour les catégories les moins pauvres. De plus, c’est un dispositif qui va être centré sur les zones les plus tendues. Doit-on s’en réjouir ? Oui et non. Oui, pour les zones qui manquent de logements. Mais non, car 30 % des ménages vivent dans des agglomérations de moins de 5 000 habitants, avec des revenus parfois inférieurs à ceux de la ville.
Enfin, je suis l’un de ceux qui pensent qu’il faut que les offices d’HLM mettent à la vente une petite partie de leur patrimoine. Je rappelle que la somme dégagée par la vente d’un appartement permet d’en construire trois ou quatre. Mais aujourd’hui, les offices d’HLM sont arcboutés sur un positionnement idéologique qui laisse entendre que la vente d’appartements publics serait, en quelque sorte, une privatisation rampante d’un bien public.
Je rappelle qu’il s’agirait seulement de vendre à un particulier, que la vente devrait se faire sous garantie en cas d’accident de la vie et que le syndic de la copropriété demeurerait l’office d’HLM vendeur. Mais, selon le proverbe, « Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage ». Et là, les offices d’HLM excellent : les gens ne seraient pas acquéreurs au motif qu’ils ne voudraient pas acheter un logement dégradé dans une zone dégradée. Évidemment, si on met en vente des appartements dégradés, personne n’en voudra ! Mais, dans les propriétés HLM, il n’y a pas que des appartements dégradés dans des immeubles dégradés dans des zones dégradées. Je le sais ! J’y ai habité !
En réalité, on voit aujourd’hui que le problème est moins l’accession à la propriété que l’accès tout court à un logement. Les causes sont diverses : précarisation des ménages, loyers de plus en plus déconnectés des revenus, insuffisance de construction de logements dans les dernières décennies. Le déficit serait de 900 000 logements, dont 500 000 à 600 000 logements sociaux.
Et j’avoue que je suis perplexe dans la mesure où la trésorerie du monde HLM est de l’ordre de 7 milliards d’euros ! Quand on dit cela, il se trouve toujours un savant plus savant que l’autre pour nous dire que c’est vrai, mais que ce n’est pas comme cela que cela se passe en réalité, que tout est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît…
En fait, ce ne sont que de mauvais arguments. D’ailleurs, le lobby de l’union des HLM est tellement puissant qu’il touche à la fois la droite et la gauche ! On l’a vu ici la semaine dernière avec la suppression d’un amendement gouvernemental. Nous aurons sûrement l’occasion d’en reparler lors de la discussion de la loi de finances.
Pour ma part, je voudrais rappeler – et c’est dramatique d’être obligé de le faire dans cet hémicycle – que les offices d’HLM sont un outil au service des collectivités locales pour rénover et produire des logements et non pour faire de la trésorerie ou se livrer, comme certains – il ne s’agit pas de la majorité, mais c’est tout de même une réalité – à des opérations financières douteuses.
Aujourd’hui, il faut le dire, ces offices sont parfaitement relayés par ce qui est devenu un syndicat professionnel corporatiste, l’Union sociale pour l’habitat. C’est vraiment selon moi ce qui a généré une technobureaucratie qui finit par vivre pour elle-même en perdant de vue ce pour quoi elle est née. Et toutes ces personnes, largement diplômées d’ailleurs, au lieu de mettre leur savoir au service de l’innovation et de la créativité, de trouver des formules intelligentes qui ne coûtent pas cher, emploient toute leur énergie à la défense de la trésorerie des offices d’HLM. C’est une perte de sens totale, monsieur le secrétaire d’État !
D’ailleurs, dès lors que l’on crée une union pour quelque chose, c’est en général pour affirmer la défense d’intérêts particuliers liés à une certaine profession. Passons là-dessus…
Certes, la crise économique et le désengagement de l’État sont des facteurs à prendre en compte, mais ils ne doivent pas en faire oublier un troisième, qui est majeur :
la volonté politique locale, qui ne relève ni de l’État ni de la crise, et que l’on ne peut pas enlever aux maires, aux présidents d’agglomération et aux présidents d’offices d’HLM !
Or, force est de constater que cette volonté politique, sur tous les bancs, est atone ; sans cela, le problème du logement serait résolu depuis longtemps dans ce pays. D’ailleurs, moi qui suis un décentralisateur par essence, je pense aujourd’hui que la politique de construction de logements est trop décentralisée, qu’elle est un frein au développement de l’offre.
En effet, nos élus locaux sont fragilisés par des populations qui, prenant de l’âge, repliées sur elles-mêmes, ne veulent plus voir arriver dans leur ville des populations nouvelles dites « pauvres ». Ils résistent mal, peu, voire pas du tout à cette pression.
Enfin, mes chers collègues, une autre confusion grave est entretenue dans nos agglomérations : ce n’est pas l’architecture, ce n’est pas la concentration urbaine qui créent le malaise social ; c’est le chômage, c’est la crise économique qui en sont responsables !
Monsieur le secrétaire d’État, je vous l’ai dit et je l’ai répété : on ne peut pas prétendre bâtir une politique d’accession à la propriété quand on diminue de moitié les aides à la pierre. Ne pensez-vous pas qu’il est grand temps que l’État reprenne les choses en main, précisément pour parfois enlever quelques contraintes à des élus locaux qui pensent comme vous mais qui n’osent pas le dire ?