Intervention de Claude Jeannerot

Réunion du 2 novembre 2010 à 14h30
Débat sur l'accession à la propriété

Photo de Claude JeannerotClaude Jeannerot :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’article 56 du projet de loi de finances pour 2011 tend à créer un nouveau prêt à taux zéro renforcé, au service d’une ambition portée par le Président de la République : la France des propriétaires.

Trois aspects positifs éclairent ce projet.

D’abord, il permet de simplifier le dispositif des aides de l’État en matière de logement, qui se caractérise par une complexité croissante des circuits de financement. On peut en espérer une lisibilité et une efficacité accrues.

Ensuite, le nouveau système recentre l’aide là où elle est nécessaire et s’inscrit dans un souci écologique. L’aide sera en effet renforcée pour les achats en zone tendue et les montants varieront selon qu’il s’agit, ou non, d’un logement respectueux de l’environnement.

Bien sûr, il convient d’en savoir plus sur les modalités de mise en œuvre, et je ne doute pas, monsieur le secrétaire d’État, que vous nous en direz plus sur ce point. Nous savons tous que ces modalités sont décisives et conditionnent la réussite d’un dispositif.

Enfin, on ne peut que se réjouir de la suppression du crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt. Je rappelle, à cet égard, que les socialistes réclament depuis bien longtemps la fin des niches fiscales.

Cette suppression était souhaitable, car ce crédit d’impôt a un double effet pervers : il coûte de plus en plus cher à l’État – de 280 millions d’euros en 2008, il passerait, selon nos estimations, à près de 3 milliards en 2013 ! – et il ne bénéficie pas à ceux qui en ont vraiment besoin. Pour une aide qui n’a aucune influence sur la décision d’achat, vous conviendrez que c’est très coûteux. D’autant qu’elle ne correspond finalement qu’à une baisse de 0, 6 % du taux d’intérêt contracté par les acheteurs...

Nous ne pouvons que partager votre intention de favoriser l’accession à la propriété. Il est normal que l’État crée les conditions les plus favorables à la réalisation d’un tel objectif. L’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne dispose-t-il pas que la propriété est l’un des droits naturels et imprescriptibles de l’homme ? Je peux d’ailleurs témoigner, en tant que président de l’Agence nationale pour l’information sur le logement, que l’accès à la propriété correspond à une aspiration majoritaire des ménages, et tout particulièrement des ménages modestes.

Nous devons cependant être conscients, mes chers collègues, que la situation du marché immobilier n’a jamais été aussi défavorable. La baisse du taux, conjuguée à l’allongement de la durée des prêts ne suffit pas à résoudre cette crise et l’envolée des prix crée nombre de désillusions, y compris au sein de la classe moyenne.

Thierry Debrand écrivait récemment dans L’Express qu’il existait au sein de cette classe « une vraie peur du déclassement » : le logement, marqueur social par excellence, deviendrait ainsi un facteur de paupérisation des classes moyennes, car celles-ci continuent de choisir parmi les offres les plus coûteuses du marché, pour tenter de progresser socialement, quitte à s’endetter au-delà du raisonnable ou à acheter trop petit.

C’est pourquoi il ne me paraît pas réaliste, dans le contexte actuel, de fixer cet objectif de 68 % à 70 % de propriétaires. Je doute de l’effet dynamique d’un tel chiffre. Pire : une telle annonce risque de décourager ceux qui sont loin de pouvoir accéder à la propriété.

Si les besoins étaient satisfaits par ailleurs, on pourrait considérer que ce chiffre traduit une volonté. Mais, dans un contexte où la question du logement, dans son ensemble, nécessite un grand « plan Marshall », votre objectif paraît dérisoire et décalé.

J’ai souligné les aspects positifs de votre projet : simplification renforcée, dimension écologique et réalisation d’économies par la suppression du crédit d’impôt. Or, comme Janus, votre projet a un visage double, dont voici le versant négatif : le fait de rendre universel le prêt à taux zéro est lourdement dommageable et, par certains aspects, inopportun, inefficace et injuste. En effet, ce nouveau prêt à taux zéro renforcé, destiné aux primo-accédants pour leur résidence principale, n’est soumis à aucune condition de ressources, bien que les modalités du prêt – je vous le concède ! – diffèrent en fonction des revenus et de la nature du bien acheté.

Dans le contexte actuel de restrictions budgétaires, votre proposition nous paraît inopportune. À l’heure où la ministre de l’économie déclare que les gouvernements doivent désormais s’orienter vers des politiques de réduction des dépenses pour contrebalancer les mesures de soutien à l’économie mises en œuvre pendant la crise économique, n’est-il pas contradictoire d’ouvrir le bénéfice du prêt à taux zéro à des personnes dont les revenus ne le justifient pas ? Vous rendez-vous compte, monsieur le secrétaire d’État, que la perte de recettes fiscales pour l’État, due aux deux tranches supérieures du barème du prêt à taux zéro, est évaluée à 400 millions d’euros ?

Sous cet aspect, votre projet me semble inefficace, car il ne peut avoir aucun impact sur la décision d’accéder à la propriété des ménages aisés ; vous ne créez qu’un effet d’aubaine. Ce dispositif s’inscrit dans une politique qui tend à favoriser les plus prospères et à créer des avantages pour ceux qui n’en ont pas besoin.

Enfin, votre proposition est injuste – et j’ai l’impression que M. Mayet partage cette opinion – à l’égard de ceux qui n’ont pas de revenus suffisants pour accéder à la propriété. Je note que nombre de ces personnes, dont les revenus ne leur permettent pas de devenir propriétaires, sont logées dans ce parc social auquel le Gouvernement voulait imposer un nouveau prélèvement.

Il était en effet prévu, à l’article 99 du projet de loi de finances, d’instituer un prélèvement sur les ressources financières des organismes d’HLM, fondé sur leur assujettissement à la contribution sur les revenus locatifs. Or la non-extension du nouveau prêt à taux zéro aux revenus les plus élevés aurait permis de réaliser l’économie recherchée à travers le prélèvement sur les loyers HLM. Ce nouveau prêt à taux zéro est donc un cadeau sans efficacité pour les plus aisés et un pied de nez pour les locataires d’HLM, ce qui est profondément choquant.

Au-delà de ces critiques, votre réforme continue de soulever un certain nombre d’interrogations.

Tout d’abord, répond-elle au besoin de sécurisation financière, en particulier sous l’angle des risques de surendettement ? Dans un contexte de dégradation du marché de l’emploi, l’accès au crédit ne risque-t-il pas, mécaniquement, de majorer les risques techniques de surendettement des ménages ?

Quels sont les garde-fous ? J’observe que seuls 5 % des emprunteurs en cours de remboursement sont couverts par une assurance chômage...

Même si je salue le rôle des agences départementales pour l’information sur le logement et la grande compétence de leurs personnels, dans la mesure où elles jouent un rôle essentiel dans la sécurisation des projets immobiliers, je me demande s’il ne conviendrait pas d’aller plus loin dans la recherche de mesures concrètes et opérationnelles.

Enfin, il convient de s’interroger sur l’efficacité de vos propositions en matière de mobilité résidentielle.

Je ne reviendrai pas sur les propositions du Centre d’analyse stratégique, évoquées par Thierry Repentin, concernant le champ fiscal. Quelle suite entendez-vous leur donner ?

Nous avons l’opportunité, aujourd’hui, d’examiner votre projet de loi tendant à favoriser l’accession à la propriété. Mais, au-delà de cet aspect du problème, le secteur du logement a besoin d’une grande politique de relance, d’un grand « plan Marshall », qui permettrait de résoudre son déséquilibre persistant et d’éviter que la crise ne devienne irréversible.

J’ai pu entendre récemment l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin réclamer un « plan de relance sociale » pour l’emploi et le logement. Tout se tient ! C’est là que se situe l’urgence pour notre avenir, car le logement constitue, avec l’emploi, la préoccupation première de nos concitoyens : ce sont deux préalables absolus !

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