Intervention de Gérard Dériot

Réunion du 2 novembre 2010 à 14h30
Nécessaire réforme des dispositifs « amiante » — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Gérard DériotGérard Dériot :

Monsieur le ministre, si vous ne le saviez déjà, ce débat vous montrerait combien la question de l’amiante est, au Sénat, un sujet tout à fait prégnant. Une nouvelle preuve en avait été apportée avec la création de cette mission commune d’information, à laquelle mes collègues ont été nombreux à participer, notamment parmi les membres de la commission des affaires sociales, mission chargée de dresser un bilan sur cette question, notamment sur les conséquences de la contamination par l’amiante.

Nous avons tous constaté que les dégâts qui en découlaient avaient été extrêmement importants, qu’ils continuaient à se faire sentir et que bon nombre de nos concitoyens mouraient d’avoir été en contact avec ce produit que l’on trouvait merveilleux il y a un certain nombre d’années en raison de sa grande résistance au feu et de son faible coût. Malheureusement, quelques années plus tard, nous nous retrouvons face aux dégâts que l’on sait.

Cette question orale de notre collègue Jean-Pierre Godefroy intervient quelques jours après qu’un débat important sur l’indemnisation des victimes de l’amiante a eu lieu dans le cadre de l’examen par notre assemblée de la réforme des retraites. La question alors posée était celle des personnes éligibles à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante. À l’unanimité, et avec votre accord, monsieur le ministre, notre assemblée a décidé d’adopter les amendements identiques que nous avions déposés avec Jean-Pierre Godefroy, afin d’exonérer ces personnes des conséquences du report de l’âge de la retraite.

Le dispositif, tel qu’il figure dans le texte définitif retenu par la commission mixte paritaire, permet de préserver sans changement le système actuel, tant pour les victimes de l’amiante que pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles.

En effet, au moment où l’on décidait qu’un taux d’incapacité de 10 % permettrait de partir en retraite à 60 ans et alors que la réforme des retraites se fondait sur l’augmentation de l’espérance de vie, nous pensions qu’il n’aurait pas été équitable d’imposer aux travailleurs de l’amiante de continuer leur activité après cet âge, un auquel certains d’entre eux n’ont, hélas, même pas pu parvenir. De nombreux sénateurs ont noté combien ce débat reflétait la manière dont nous approchons collectivement le drame de l’amiante au sein de notre assemblée.

Le Sénat est en effet particulièrement sensible à la situation des travailleurs de l’amiante puisque cette mission commune d’information que présidait Jean-Marie Vanlerenberghe, et dont j’étais, avec Jean-Pierre Godefroy, rapporteur, a fait ressortir les négligences, les erreurs et les dénis qui ont abouti à ce drame.

Heureusement, tous les travailleurs de l’amiante ne développeront pas de maladie, et certaines des victimes ne développeront que des maladies bénignes. Mais je crois utile de rappeler une nouvelle fois qu’il suffit d’une seule fibre d’amiante pour provoquer un mésothéliome.

D’après l’INSERM, entre 1997 et 2050, nous devons nous attendre à un nombre de décès par mésothéliome compris entre 44 480 et 57 020. L’espérance de vie, une fois la maladie déclarée, est de douze à dix-huit mois. En outre, on estime que, chaque année, entre 1 800 et 4 000 cas de cancer broncho-pulmonaire sont attribuables à l’amiante.

Je rappellerai encore que 90 % des cancers professionnels sont liés à l’amiante et que ces cancers sont responsables de la hausse du taux de mortalité par suite d’une maladie professionnelle que nous avons eue à déplorer en 2009, après cinq années de baisse.

Ces chiffres sont connus, mais ils méritent d’être répétés, car, sans eux, sans une bonne appréhension de la réalité des contaminations, on ne saurait débattre en connaissance de cause des évolutions des dispositifs de compensation ou d’indemnisation.

La mise en place du FCAATA, qui est en pratique un dispositif spécifique de préretraite, est destinée à compenser la perte d’espérance de vie des personnes exposées. Les 32 000 allocataires du FCAATA et les victimes de l’amiante qui y sont éligibles ont, en effet, indéniablement subi un préjudice réel qui amputera leur qualité et leur espérance de vie.

Quelles que soient les imperfections du système mis en place au travers du FCAATA, qui prend en charge les salariés d’entreprises limitativement énumérées, il apparaît clairement qu’il n’est pas souhaitable de lui apporter des restrictions.

En effet, ce dispositif, qui compte désormais plus de sorties que d’entrées, devrait atteindre l’équilibre financier en 2017, puis progressivement disparaître. En un sens, c’est heureux, car cela veut dire que les mesures qui ont été prises auront permis de restreindre dans une certaine mesure le nombre de victimes et donc d’entrées, mais il faut aussi se rendre à l’évidence et reconnaître que, s’il y a aussi plus de sorties, c’est malheureusement parce que, entre-temps, des personnes sont décédées.

Limiter les compensations accordées aux victimes de l’amiante relèverait donc d’une vision à court terme, contraire au choix des partenaires sociaux et de l’État de faire assumer le coût de la prise en charge de la cessation anticipée d’activité par l’ensemble des entreprises.

À ce sujet, et pour répondre à la question soulevée tout à l'heure par Jean-Pierre Godefroy, je voudrais rappeler que, si j’avais proposé de supprimer la participation des entreprises, c’est parce qu’il était tellement difficile de recouvrer les sommes demandées que, à la limite, il valait mieux y renoncer. Les procès duraient si longtemps que le coût du recouvrement excédait en définitive les sommes que l’on pouvait récupérer. D’ailleurs, un an auparavant, j’avais proposé d’augmenter la participation des entreprises et, finalement, le rendement avait été moindre que l’année précédente. Cette solution n’en était pas une et c’est la raison pour laquelle j’avais proposé de supprimer cette participation.

Cette participation des entreprises aux indemnisations n’aurait été que justice, c’est certain, mais, comme la vie elle-même, comme tout ce qui existe dans notre société, les entreprises sont en constante évolution : elles naissent, vivent et meurent et, lorsque les mesures ne sont pas prises à temps, on ne peut plus demander aux entreprises qui ont disparu de payer.

Des adaptations sont néanmoins toujours possibles. Je pense, par exemple, à un amendement issu des recommandations du Médiateur de la République, que je vous présenterai lors du débat sur le PLFSS. Il tend à ce que soit enfin pris le décret promis pour harmoniser la prise en charge de l’ACAATA par les différents régimes. Cette participation des différents régimes me paraît, comme à mes collègues qui sont intervenus avant moi, indispensable : ce n’est que justice. Monsieur le ministre, nous comptons sur vous pour prendre ce décret.

Plus largement, la seule réforme envisageable serait l’ouverture d’un droit d’accès individuel par profession, ainsi que les orateurs précédents l’ont également souligné. Sa faisabilité est en cours d’étude par l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail, à la suite de l’adoption par l’Assemblée nationale d’un amendement à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, amendement que nous avions confirmé.

Il ne faudrait pas, cependant, que cette réforme se traduise par l’application de critères stricts au point de limiter encore plus le nombre de personnes éligibles. C’est ce qui s’est passé en Italie, et cela n’a fait qu’aggraver l’incompréhension, mais aussi, bien sûr, la souffrance.

Nous risquons, dans ce domaine, d’être pris entre deux feux, partagés entre notre volonté de secourir nos concitoyens contaminés par l’amiante et la nécessité de tenir compte des problèmes financiers qui peuvent se poser. Il faut donc, me semble-t-il, avancer par étapes, de manière à satisfaire progressivement l’ensemble des demandes qu’ont rappelées les différents intervenants. À cet égard, je partage les propos de Jean-Pierre Godefroy, Annie David et Gilbert Barbier, et je pense qu’il est absolument nécessaire d’aller dans le sens qu’ils ont indiqué.

Je propose d’ailleurs qu’ensemble, à vos côtés, monsieur le ministre, nous essayions de voir ce qui peut être fait, à partir des propositions formulées dans le rapport de notre mission, qui, finalement, a permis de mettre au jour la totalité – la totalité ou presque, restons modestes ! – des problèmes liés au drame de l’amiante. Je suis persuadé que nous sommes tous prêts à aider à la résolution des problèmes qui se posent.

Plus qu’à une réforme du FCAATA, c’est, à mon avis, à un renforcement du FIVA qu’il faut nous attacher. Le prochain PLFSS comporte, de ce point de vue, une avancée considérable puisqu’il prévoit de porter à dix ans le délai de prescription pour les demandes des victimes.

Sous réserve de certaines précisions, il me semble que c’est dans cette voie que nous devons nous engager. La prudence et le pragmatisme sont, sur cette question complexe et douloureuse, les meilleurs alliés de la justice.

Il est vrai que l’égalité de traitement des personnes qui ont été en contact avec l’amiante doit être réalisée au mieux et tout ce qui pourra être fait dans ce sens devra être engagé. Nous comptons bien sûr sur vous, monsieur le ministre, pour faire tout ce qui sera possible.

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