Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le douloureux problème des victimes de l’amiante est crucial tant par le nombre de personnes concernées que par les effets à long terme sur la santé et la survie de ceux qui ont été exposés à cette contamination. Car personne ne peut prétendre aujourd’hui ignorer les conséquences dramatiques de l’amiante sur la santé humaine, particulièrement sur celle des travailleurs que leur activité a mis en contact avec ce produit.
La responsabilité à ce sujet est collective et nous engage autant par les effets de l’exposition à l’amiante sur la santé publique que par ses effets sur la durée de vie même de milliers d’ouvriers et de salariés.
La nocivité de l’amiante était pourtant connue de longue date puisqu’il en était fait mention dès les années soixante. Malgré cela, rien n’a été fait et, selon les estimations, 35 000 décès sont imputables à l’amiante entre 1965 et 1995.
À titre d’exemple, dans mon département, les Côtes d’Armor, région peu industrielle, 82 salariés de l’ancienne usine Chaffoteaux sont touchés. Je comprends leur colère, légitime : pour eux, ce drame aurait pu être évité, leur santé ne pas être exposée et leur vie ne pas être mise en danger.
La prise en considération de la nocivité de l’amiante a été beaucoup trop tardive puisqu’elle n’est advenue qu’en 1997. À titre de comparaison, l’interdiction de l’amiante en Grande-Bretagne date des années 1930 et le caractère cancérigène de l’amiante a été reconnu par une résolution du Parlement européen de 1978.
Aveuglement ou désintérêt caractérisé ? Quoi qu’il en soit, les risques étaient connus depuis quarante ans. Les pouvoirs publics, les industriels savaient. Le monde ouvrier était majoritairement concerné. Cela a-t-il été vécu comme une sorte de fatalité à laquelle les ouvriers ne pouvaient pas échapper ? Je souhaiterais pouvoir écarter avec certitude cette hypothèse.
Le Conseil d’État, par quatre décisions du 3 mars 2004, a confirmé la responsabilité de l’État pour défaut de règlementation spécifique à l’amiante avant 1977 et pour le caractère tardif et insuffisant de la réglementation après cette date. Cela a été évoqué, la responsabilité civile des employeurs pour faute inexcusable est fréquemment reconnue par les tribunaux, même si c’est avec lenteur.
La réparation du préjudice subi par les victimes de l’amiante apparaît plus que jamais comme une exigence morale et légale. En effet, 10 % des cancers du poumon sont dus chaque année à l’amiante. Les victimes meurent en moyenne à 64 ans, mais souvent avant 60 ans. Elles ne survivent généralement que 18 mois aux premiers symptômes du cancer. Et il faut encore s’attendre, comme cela a déjà été rappelé, à 60 000 à 100 000 décès dans les vingt prochaines années, en raison du temps de latence de la maladie.
La cessation d’activité plus précoce que celle des autres travailleurs, que nous avons obtenue lors du débat sur le projet de loi portant réforme des retraites, ne fait que prolonger la situation existante, c'est-à-dire la possibilité de partir dès 50 ans pour des personnes potentiellement condamnées à mourir plus jeunes.
À cet égard, le FCAATA et le FIVA doivent permettre aux salariés de prendre leur préretraite et de vivre décemment les dernières années de leur vie, en étant correctement indemnisés et pris en charge.
Pourtant, des craintes subsistent, chaque année, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, lorsqu’on tente de rogner sur les moyens alloués à ces fonds. Il serait plus pertinent et surtout plus équitable de rechercher ailleurs les moyens de faire des économies !
Le débat sur les retraites n’a d’ailleurs représenté qu’un épisode supplémentaire. Il faut cependant saluer la sagesse collective de notre assemblée et votre engagement, monsieur le ministre : nous avons collectivement reconnu qu’il n’était pas possible de laisser partir à la retraite ces salariés à 62 ans, alors qu’il s’agit presque de l’âge moyen de décès des victimes de l’amiante.
Mais cela ne constitue pas une avancée à proprement parler. Prendre en compte la situation des victimes de l’amiante est d’abord une question de justice sociale et de réparation envers ceux dont l’existence est amoindrie et va s’en trouver écourtée. Il ne faut en aucun cas ajouter à l’angoisse des victimes une incertitude quant à leur avenir et une situation matérielle précaire.
L’amiante n’est pas un problème dépassé, bien au contraire ! Nous devons tirer les leçons de ce drame pour ne pas faire subir à d’autres travailleurs ce dont, par manque de vision prospective ou de lucidité collective, nous nous sommes rendus responsables dans un passé récent.
L’amiante a constitué un précédent, ô combien douloureux, et il faudra le garder présent à l’esprit dans les années futures. Le remplacement de l’amiante par d’autres produits potentiellement aussi dangereux représente un risque pour la santé humaine comme pour l’environnement. Je pense en particulier aux fibres céramiques réfractaires. L’information et la prévention devront être, à l’égard des travailleurs, la règle absolue.
Oui, ce précédent doit servir de leçon. Il faut veiller à ce que l’expérience douloureuse de l’amiante nous permette à l’avenir d’établir et de faire observer de bonnes pratiques d’utilisation.
Devant ces constats, il apparaît nécessaire de garantir les droits des victimes de l’amiante, qui ne doivent pas être remis en cause d’année en année, au moment de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Les disparités des règles des différents régimes d’assurance maladie, qui ont été évoquées par plusieurs de mes collègues, et le manque de coordination conduisent à un traitement inégal et inéquitable des salariés victimes de l’amiante, voire à priver certains d’entre eux d’indemnisation au motif que leur régime ne prévoit pas cette allocation. Une prise en charge des frais de santé à 100 %, à titre de juste réparation, doit être envisagée afin de créer les conditions de l’équité et de la justice sociale.
Toutes les entreprises n’endossent pas forcément leur responsabilité. Trente ans après une contamination, il est parfois difficile de retrouver une entreprise qui a changé de nom ou de localisation, qui a connu de grandes mutations ou qui, parfois même, n’existe plus. Si les grandes entreprises ont reconnu leur responsabilité, les salariés des plus petites ne peuvent en général faire valoir leurs droits, que ce soit parce qu’ils ont travaillé en intérim ou pour un sous-traitant ou parce que la société a disparu. Or ces travailleurs doivent, eux aussi, pouvoir faire état de leur exposition aux fibres d’amiante et être pris en charge.
Les victimes de l’amiante doivent continuer à bénéficier des régimes de préretraite qui ont été négociés. Il ne s’agit là que d’une juste réparation par rapport à une espérance de vie dégradée. C’est en outre nécessaire pour que leur pathologie soit prise en charge.
Monsieur le ministre, comment envisagez-vous de prendre en compte la situation des salariés des entreprises d’intérim ou sous-traitantes, qui, actuellement, ne sont pas reconnus en tant que victimes de l’amiante ? Comment les pouvoirs publics comptent-ils protéger les salariés de l’exposition à des matériaux de substitution potentiellement cancérigènes ? Enfin, quelle est votre position vis-à-vis de la prise en charge à 100 % des frais de santé des victimes de l’amiante ?
Sur le sujet de la contamination des travailleurs par l’amiante, il existe des points de vue convergents entre les groupes de notre assemblée. Je crois que vous ne pouvez pas ne pas y être sensible et attentif.