Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser mon départ à l’issue de mon intervention, puisque je dois me rendre, comme le ministre de l’intérieur, à l’Assemblée nationale, pour assister à la séance de questions d’actualité au Gouvernement.
Le nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale fait œuvre de vérité et d’ambition. Nous le devions à la France, dont la sécurité est notre priorité absolue. Nous le devions aux Français, unis dans le soutien à ceux qui ont fait le choix de défendre notre pays. Nous le devions à nos armées, à nos soldats, dont l’engagement remarquable doit être accompagné de perspectives claires et confiantes dans l’avenir.
Je l’ai déjà dit à cette tribune, au Mali aujourd’hui, comme hier sur d’autres théâtres, notre armée est l’honneur de la France. Grâce à la valeur de ses officiers et à la qualité de ses soldats, la défense de notre pays est assurée, permettant à celui-ci d’être respecté partout dans le monde. C’est un héritage, et c’est une garantie pour l’avenir. Cet avenir doit se bâtir de manière lucide et responsable.
Il faut d’abord tenir compte de l’évolution du paysage stratégique depuis le Livre blanc de 2008 : la crise économique et financière, les révolutions arabes, l’évolution de la posture des États-Unis, les difficultés que traverse l’Europe, pour ne citer que l’essentiel. Mais il faut également rétablir une véritable cohérence, dans la durée, entre l’analyse des défis auxquels est confrontée notre sécurité et les moyens dont notre pays se dote pour y faire face.
Le modèle dessiné par le précédent Livre blanc nous avait conduits à une impasse. Dès 2011, les plus hauts responsables militaires avertissaient que certains des contrats opérationnels qu’il définissait étaient en pratique inaccessibles. Sur le plan budgétaire, au mois de juillet 2012, la Cour des comptes relevait un écart d’au moins 3 milliards d’euros entre les prévisions et les réalisations et elle soulignait que cet écart ne pouvait que s’accroître de façon vertigineuse, si de nouvelles orientations n’étaient pas prises.
Parce qu’il est de notre responsabilité que la France conserve la maîtrise de son destin, notre devoir impérieux était de définir ces nouvelles orientations. Tel est l’objet du nouveau Livre blanc : il dessine une véritable ambition pour la défense et la sécurité nationale, tout en intégrant pleinement la nécessité d’un redressement des comptes publics, car ce redressement est également une condition essentielle de notre souveraineté.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, notre projet s’appuie sur une analyse sans complaisance des risques et des menaces auxquels la France est confrontée.
Ce sont les menaces de la force, qu’il s’agisse de conflits entre États, dont beaucoup affectent la sécurité de l’Europe, de la prolifération des armes de destruction massive, ou encore du développement par certaines puissances de capacités informatiques offensives.
Ce sont les risques de la faiblesse, conséquences de la défaillance de certains États dans l’exercice des fonctions de base de la souveraineté. Essor des trafics, de la piraterie ou du terrorisme, voire chaos de la guerre civile : dans bien des cas, la sécurité de l’Europe, et donc de la France, est mise en cause.
C’est enfin l’amplification de certaines menaces : la mondialisation facilite l’action des réseaux terroristes ou la prolifération des armes de destruction massive, aggrave la vulnérabilité des systèmes d’information et multiplie les risques naturels, sanitaires ou technologiques susceptibles de désorganiser profondément nos sociétés.
La vérité, c’est que les menaces qui pèsent sur la France et sur l’Europe sont loin d’avoir diminué depuis 2008. Nous apportons à ce constat une réponse non seulement conforme aux exigences de défense et de sécurité de la France, mais aussi à la mesure de nos engagements et de notre place dans le monde.
Nous le faisons en partant d’une définition claire et hiérarchisée de nos priorités. Outre la protection de notre territoire, de nos ressortissants et la continuité des fonctions essentielles de la Nation, celles-ci portent d’abord sur l’environnement de l’Europe, l’Afrique, le Golfe arabo-persique et jusque dans l’océan Indien. Sur tous ces théâtres, la France doit être en mesure, seule ou au sein d’une coalition, de s’engager de manière déterminante, tout en gardant la capacité de contribuer à la paix et à la sécurité internationale partout ailleurs dans le monde.
Le nouveau modèle d’armée que définit le Livre blanc et les missions qu’il permet de remplir répondent en tout point à ces priorités.
Il s’agit, tout d’abord, de garantir la protection permanente du territoire et de la population française, avec les moyens de surveillance aérienne et maritime appropriés et des capacités d’intervention sur le territoire : en cas de crise majeure, les forces terrestres pourront fournir jusqu’à 10 000 hommes en renfort des forces de sécurité intérieure et de sécurité civile.
Il s’agit, ensuite, d’assurer la permanence de la mission de dissuasion. Garantie ultime contre les menaces d’agression qui cibleraient nos intérêts vitaux, elle nous prémunit de tout chantage qui paralyserait notre liberté de décision et d’action. Ses deux composantes, océanique et aéroportée, confortées par le programme de simulation, seront maintenues, dans le respect du principe de stricte suffisance.
À ceux qui en critiquent la pertinence ou même le coût, le Gouvernement répond, comme l’a fait le Président de la République vendredi dernier dans son discours à l’Institut des hautes études de défense nationale, que cette garantie est plus que jamais indispensable dans le contexte stratégique actuel et qu’il n’est pas excessif d’y consacrer un peu plus de 10 % du budget de la défense.
Il s’agit, enfin, de conforter nos capacités d’intervention extérieure. Outre une force de réaction immédiate de 2 300 hommes, les armées, à hauteur de 7 000 hommes, pourront être engagées dans des opérations de gestion de crise internationale sur trois théâtres distincts. À titre de comparaison, c’est plus que les forces que nous avons mobilisées pour le Mali. Nos armées pourront aussi être engagées dans une opération de guerre contre des adversaires dotés de capacités étatiques, à hauteur de 15 000 hommes des forces terrestres, avec les composantes maritimes et aériennes appropriées. Nos forces restent dotées d’une capacité d’entrée en premier dans tous les milieux et d’une capacité à planifier et à conduire ces opérations seules ou au sein d’une coalition.
Le modèle d’armée défini par le Livre blanc est donc cohérent avec la nature et la diversité de ces missions.
Il répond, d’abord, à un principe d’autonomie stratégique. La France doit disposer à tout moment de sa liberté d’appréciation, de décision et d’action pour prendre l’initiative d’opérations qu’elle estimerait nécessaires, comme elle l’a fait en réponse à l’appel à l’aide lancé par le Mali. Elle doit aussi pouvoir assumer son rôle en toute souveraineté, au sein d’une alliance ou d’une coalition. Par ailleurs, ce modèle d’armée repose sur le choix de différencier l’équipement des forces en fonction des exigences propres à chaque type de mission et sur celui de pousser plus loin la mutualisation de capacités polyvalentes et rares.
Le format de nos armées permet de remplir entièrement les missions que je viens d’évoquer. Il porte haut les ambitions de la France dans le monde. Nos alliés ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, saluant le projet que dessine ce nouveau Livre blanc.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne méconnais pas pour autant l’ampleur de l’ajustement que ce nouveau modèle va imposer à l’ensemble du ministère de la défense. Il entraîne une réduction de 24 000 postes par rapport au modèle défini en 2008, diminution qu’il faut mettre en perspective avec les 54 000 suppressions décidées à l’époque. Cette réduction devra préserver au mieux les unités opérationnelles, ce qui exigera une évolution non seulement de l’organisation des forces, mais aussi du ministère lui-même. Je fais toute confiance au ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, qui mène sa mission avec beaucoup de sang-froid et de compétence, pour conduire avec détermination et discernement cette nouvelle étape de la réforme, en cohérence avec le nouveau Livre blanc.
Nous nous attacherons à limiter autant que possible les conséquences de ces évolutions pour les territoires. La plus grande attention sera portée – j’y veillerai personnellement – à la situation concrète de chacun d’entre eux, au dialogue avec les élus et à l’accompagnement des mutations nécessaires.
Nous prenons aussi toute la mesure des efforts exigés des personnels de la défense. La précipitation qui a marqué les années passées a provoqué des désordres inacceptables, qu’illustrent les dérives du système de paie Louvois.