Je ne souhaite pas rouvrir des polémiques quant à la typologie des auteurs de ces actes odieux. Toutefois, au moment où nous débattons sur ce que sont les enjeux en termes de défense et de sécurité de la France, à l’heure où nous participons à la lutte contre le terrorisme à des milliers de kilomètres de notre pays, force est de constater qu’il faut intensifier cette lutte sur le territoire national.
Selon certains analystes, nous entrons dans une nouvelle ère de terrorisme, très complexe à appréhender, qu’il s’agisse de ses acteurs nouveaux, de leurs motivations ou des filières auxquelles ils pourraient appartenir.
L’hiver dernier, une loi pour la sécurité et la lutte contre le terrorisme a été adoptée, et nous l’avons votée. Le ministre de l’intérieur avait alors déclaré vouloir poursuivre plus efficacement les personnes ayant participé à l’entraînement terroriste à l’étranger.
Mais qu’en est-il, au moment où nous savons que 200 djihadistes français – chiffre sans doute approximatif – sont partis se battre en Syrie, et ce alors même que le Président de la République se déclare favorable à la livraison d’armes aux rebelles syriens ? Plus que jamais, une extrême vigilance s’impose, en particulier sur ce dossier très complexe des armes.
C’est notamment pourquoi je souscris sans réserve à la priorité accordée par le Livre blanc au renseignement. Elle s’inscrit dans la droite ligne du concept de « sécurité nationale », qui figurait déjà dans le précédent Livre blanc.
Par ailleurs, je souhaite insister sur un problème qui, s’il n’a pas fait l’objet de nombreux commentaires, me paraît essentiel : il s’agit de l’approche relative aux ressources humaines.
Un nouveau modèle d’armée a été défini, qui prévoit 24 000 suppressions de postes. Si nous avons de bonnes raisons de penser que l’armée de terre sera la principale concernée, nous ne disposons d’aucune précision sur les régiments qui seront touchés. Et à moins d’un an des élections municipales, je doute que nous puissions disposer de détails sur les installations qui pourraient être fermées.
C’est à ce moment que les élus locaux concernés prendront la mesure du concept nouveau présenté par le Président de la République, vendredi dernier à l’Institut des hautes études de défense nationale : « le dépenser juste ».
Cependant, et là encore peu de journalistes se sont fait l’écho de cette dimension, la défense est d’abord et avant tout constituée d’hommes et de femmes dont le professionnalisme et l’engagement doivent être des exemples pour toute la société civile.
Bien que le Livre blanc fasse à de nombreuses reprises référence aux civils, je souhaite vivement que nous nous penchions également sur le devenir humain de nos militaires.
Depuis 1996, en effet, les armées ont connu des bouleversements qui les ont profondément touchés, jusqu’à atteindre leur identité.
À l’époque, nous avions pensé définir un modèle « armée 2015 » qui devait correspondre à une armée numériquement moindre, mais aux capacités techniques accrues. Ce modèle s’est révélé lourd et peu adapté, du point de vue tant des réalités géopolitiques que de la capacité de notre pays à incarner la place qui doit être la sienne sur la scène internationale.
Près de vingt ans après la suppression du service militaire, nos armées doivent résoudre un problème identitaire. La création de contrats courts implique un turn over nouveau, auquel s’ajoute celui qui est issu de la RGPP, qui sous-tend suppressions de postes et externalisation de certains services.
Mais si l’armée peut et doit externaliser certaines fonctions de support, dans un souci de rationalisation et d’optimisation, elle doit avant tout poursuivre l’objectif de recentrer la politique de ressources humaines du ministère de la défense autour du soldat.
Simultanément, la France doit faire face à de nouveaux impératifs stratégiques – menaces nouvelles, engagements sur des théâtres d’opérations d’un nouveau type –, qui impliquent le retour aux fondamentaux composant l’armée, en particulier le soldat en OPEX.
Ainsi, le ministère de la défense doit faire face à la convergence de deux phénomènes : l’arrivée à la retraite des engagés, notamment de ceux qui avaient un contrat de 5 ans à 15 ans ; le non-renouvellement des contractuels de la défense. Il s’agit donc de définir les besoins réels des armées pour les années à venir, en termes de projection des forces en OPEX et d’anticipation des menaces.
La professionnalisation de l’armée posait déjà en 1996 le défi de la reconversion des soldats et de leur réintégration dans la vie civile, et ce dans une société imprégnée d’idées pacifistes, pour laquelle les notions de pertes humaines et de sacrifice pour la nation suscitent fréquemment l’incompréhension, voire le rejet.
Le turn over des personnels impose au ministère un recrutement à un rythme très soutenu. L’enjeu n’est donc plus de susciter les vocations d’une vie, mais de donner l’envie de s’engager pour quelques années seulement, au service d’une institution qui se bat pour la nation, tout en sachant que l’on peut y perdre la vie !
Cela se révèle particulièrement difficile à l’heure où les armées sont au régime sec, même les moyens dédiés à l’entraînement étant réduits.
Aujourd’hui, l’armée doit donner envie d’elle-même alors qu’elle peut apparaître – je le regrette – comme l’école de la seconde chance pour des jeunes qui auraient échoué à l’école de la République ou comme une bouée de secours pour des jeunes connaissant des difficultés. Or nous avons besoin de tous ceux qui composent la nation, des plus ordinaires aux plus forts, aux meilleurs.
Au cours des campagnes de recrutement, le ministère de la défense a mis en valeur les multiples possibilités de formation. Si l’armée offre de nombreux métiers et spécificités, ceux-ci doivent pouvoir trouver leur transcription dans la société civile. Et cela ne peut se faire sans une véritable validation des acquis professionnels.
Le reclassement, la reconversion des soldats constitue un vrai défi, y compris pour des raisons budgétaires, car le ministère de la défense ne pourra supporter cette charge en termes d’indemnités.
Désormais, le passage dans l’armée doit être une plus-value, qui permettra une reconversion valorisante au cœur de la société civile professionnelle. Le Président de la République souhaite renforcer les liens entre les armées et la société civile. Nous le souhaitons tous, mais cela ne pourra se faire qu’au prix d’une politique volontariste de reconversion et d’une véritable mobilisation des services de l’État.
Le dernier point sur lequel je souhaite revenir concerne, je l’ai dit, la place croissante de la maritimisation dans notre stratégie.
Aujourd’hui, 90 % du trafic mondial se fait par voies maritimes. Les océans permettent d’assurer les échanges mais aussi les approvisionnements : 48 000 bateaux de commerce naviguent sur les mers et océans du monde. Les territoires ultramarins, de Mayotte à la Guadeloupe et de la Réunion à la Nouvelle-Calédonie, font de la France une des premières puissances maritimes au monde. C’est un atout formidable. Déjà en 1969, à Brest, le général de Gaulle déclarait : « L’activité des hommes se tournera de plus en plus vers la recherche de l’exploitation de la mer. Et, naturellement, les ambitions des États chercheront à dominer la mer pour en contrôler les ressources. »
Pouvait-on être plus visionnaire ? Aujourd’hui, la croissance des budgets navals de la Chine, de l’Inde, de la Russie et du Brésil est exponentielle, entre 35% et 69 % d’augmentation. Parallèlement, les États-Unis ont officiellement annoncé qu’ils redéployaient leurs priorités stratégiques sur l’Asie-Pacifique.
Face à cette nouvelle donne, je souhaite que la France ne reste pas au port. Certes, toujours sur le plan de la sécurité, nous participons – avec succès – aux opérations de lutte contre la piraterie et contre les narcotrafiquants qui sévissent en Méditerranée, au large du golfe de Guinée ou de la Somalie.
Mais, dans cet esprit, j’aurais souhaité que puissent être traités de façon plus exhaustive deux sujets majeurs liés à la mer : d’une part, la capacité de la Marine nationale à protéger tout notre outil de commerce avec les pays asiatiques, c’est-à-dire la protection par nos forces, évidemment associées à d’autres, de la libre circulation dans les détroits ; d’autre part, la protection de nos départements ultramarins et de nos ZEE – zones économiques exclusives – par des moyens appropriés et efficaces, étant précisé que je ne souhaiterais pas que soient prises des initiatives inadaptées, au premier rang desquelles je place la création de réserves marines non surveillées : même une société de pêche ne le fait plus en France. Sur ces deux points, je tiens à ce que le débat se poursuive.
Mais, surtout, je voudrais que ce Livre blanc renforce la nécessaire prise de conscience des immenses opportunités nouvelles qui résulteront de la mise en place d’une politique plus intégrée, plus globale et plus volontariste des enjeux maritimes de notre pays. §