Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères et de la défense, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux et honoré à mon tour de m’exprimer devant vous aujourd’hui, sous la présidence vigilante de Jean-Pierre Raffarin. Je crois qu’il est en effet essentiel que le Parlement soit pleinement associé aux évolutions que vont connaître, dans les prochaines années, la défense et la sécurité nationale.
Jean-Yves Le Drian a, comme à son habitude, parfaitement apporté à ces débats ses éclairages et son engagement que vous connaissez tous.
Je veux à mon tour saluer ici l’implication des parlementaires qui ont participé aux travaux de la commission du Livre blanc. Pour le Sénat, je pense à Jean-Louis Carrère, Daniel Reiner et Jacques Gautier.
Le ministère de l’intérieur a participé de façon importante à l’élaboration de ce Livre blanc. En effet, la pertinence du concept de « sécurité nationale », introduit lors de l’exercice de 2008, a été réaffirmée en 2013 et devra, dans l’avenir, l’être tout autant sinon d’avantage.
Ce concept vise un objectif, je ne vous apprends rien, bien plus large que la simple protection du territoire et de la population contre les agressions extérieures imputables à des acteurs étatiques. Il traduit la nécessité de gérer l’ensemble des risques et des menaces, directes ou indirectes, susceptibles d’affecter la vie de la nation et de nos compatriotes.
Aujourd’hui, ces risques ne connaissent pas de frontières, terrestres, maritimes, aériennes ou numériques. Ils comprennent, évidemment, le terrorisme, mais aussi les catastrophes naturelles ou industrielles, ainsi que les attaques informatiques.
Qu’ils se manifestent à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire, ils ont des dimensions nouvelles, évolutives et appellent une mobilisation large, cohérente et déterminée de toutes les ressources de la puissance publique.
Le Livre blanc de 2013 adopte, ainsi que M. le Premier ministre l’a rappelé, une approche globale qui repose sur la combinaison de cinq fonctions stratégiques : la connaissance et l’anticipation, la protection, la prévention, la dissuasion et l’intervention. Je m’arrêterai sur les deux premières d’entre elles – la connaissance et l’anticipation, et la protection – car elles concernent particulièrement le ministère dont j’ai la responsabilité.
Le Président de la République, cela a été rappelé, a fait du renseignement et des capacités de connaissance et d’anticipation une priorité majeure du Livre blanc.
L’affaire Merah et, plus récemment, l’assassinat d’un militaire à Londres marquent la constance de la menace terroriste sur le territoire national et européen.
Ces événements, dont nous avons eu l’occasion de traiter sous différentes formes, notamment ici même il y a quelques jours à l’occasion de questions cribles sur les défis du terrorisme, soulèvent bien sûr la question des moyens et de l’organisation des services de renseignements dans l’identification et la prévention des passages à l’acte.
L’activité du renseignement constitue donc le socle de la lutte antiterroriste. La lutte contre le terrorisme, coordonnée par l’unité de coordination de la lutte antiterroriste, l’UCLAT, participe d’une stratégie globale impliquant aussi bien les services de la défense que ceux du ministère de l’intérieur ou d’autres administrations, comme les douanes ou l’aviation civile.
Elle repose, pour faire simple, sur un dispositif administratif qui vise à prévenir, en les neutralisant, les acteurs et les réseaux de la mouvance radicale, je pense, par exemple, au processus d’expulsion d’étrangers radicaux ou du gel des avoirs.
Elle repose également sur un dispositif judiciaire qui combine l’action de la direction centrale du renseignement intérieur – la DCRI –, de la direction centrale de la police judiciaire, de la préfecture de police, de la police nationale et de la gendarmerie nationale autour d’un arsenal juridique en constante évolution.
Ainsi, récemment, l’adoption de la loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et la lutte contre le terrorisme – ce texte, qui a bénéficié d’un apport important du Sénat lors de sa discussion, a été adopté à une très large majorité, sinon à la quasi-unanimité, par le Parlement – a permis que soient désormais sanctionnés les individus engagés dans les filières djihadistes à l’étranger, qu’il s’agisse de ressortissants français ou d’étrangers résidant en France. Dans ce contexte, on peut souligner – c’est un exemple parmi d’autres – les poursuites judiciaires engagées à l’encontre du français Gilles Le Guen.
Mais, nous le savons bien, la préoccupation du gouvernement français comme des autres gouvernements européens porte désormais notamment sur les filières ou les individus qui se rendent dans un contexte bien particulier en Syrie. Nous l’évoquons bien sûr avec les ministres des affaires étrangères et de la défense. Ainsi, j’aurai pour ma part dans quelques jours une réunion avec les ministres de l’intérieur des pays européens les plus concernés par ce mouvement préoccupant, qui se développe sur un long terme, et qui doit nous mobiliser sur le plan diplomatique, sur le plan du renseignement, mais aussi sur le plan judiciaire.
Les différents audits réalisés à l’issue de l’affaire Merah ont conclu à la nécessité de réformer et de mieux encadrer nos services, nous en avons déjà parlé ici même.
L’audit réalisé par l’Inspection générale de la police nationale a notamment formulé plusieurs observations, qui ont d’ores et déjà fait l’objet d’une mise en œuvre au travers de plusieurs mesures : la création d’une inspection du renseignement intérieur, la création d’une structure en charge de la coordination sur le plan opérationnel entre services centraux et territoriaux, ainsi que la création de bureaux de liaison au niveau parisien et dans chaque zone de défense afin de renforcer l’articulation entre la DCRI et la sous-direction de l’information générale de la direction centrale de la sécurité publique.
Le renseignement intérieur doit également bénéficier désormais d’un renforcement de ses moyens et d’un renouvellement du cadre de ses interventions.
Il convient, en premier lieu, de renforcer les effectifs en assurant une diversification du recrutement, et notamment du recrutement contractuel : ingénieurs, linguistes ou analystes. Je sais que c’est une préoccupation du président Carrère, qui me l’a souvent exprimée.
Il faut, en deuxième lieu, développer les investissements techniques pour renforcer les moyens opérationnels de la DCRI en termes d’équipements et de parc roulant.
Le rapport de la mission d’information présidée par le député Jean-Jacques Urvoas, par ailleurs président de la commission des lois de l’assemblée nationale, soulève, par exemple, la question de la création d’une direction générale du renseignement intérieur, en vue de lui conférer une autonomie en matière de budget et de gestion des ressources humaines. Je ne vous cache pas mon intérêt pour cette proposition. En tout cas, le débat est ouvert ; il faudra rapidement le trancher.
En troisième et dernier lieu, il apparaît nécessaire de renforcer les bases juridiques de l’action des services de renseignement. Il s’agit d’un sujet compliqué. La plupart des grandes démocraties ont cependant engagé de telles démarches en mettant en place les outils protecteurs. Il faut reconnaître que, pour différentes raisons, bonnes ou mauvaises, notre pays a encore du mal à le concevoir.
Le contrôle des services de renseignements par les représentants du peuple est un impératif démocratique ; c’est déjà le cas. Je le sais, la délégation parlementaire au renseignement accomplit d’ores et déjà un travail important, comme l’a démontré la qualité de son dernier rapport remis au Président de la République, qui le prend en considération. Je voudrais d’ailleurs saluer l’implication, au sein de cette délégation, des présidents des commissions des lois et de la défense de votre assemblée, Jean-Louis Carrère et Jean-Pierre Sueur.
En matière de contrôle, les conclusions de la délégation du Parlement ou de la mission Urvoas sont ambitieuses et bienvenues. Si elles ne concluent pas forcément aux mêmes propositions, elles posent les jalons d’une réflexion qui doit être menée, avec discernement, de manière intelligence, dans les mois et les années à venir.
C’est d’ailleurs ce que nous avons commencé à faire dans le cadre de la loi antiterroriste du 21 décembre 2012 que j’ai évoquée il y a un instant. Nous avons aussi des rendez-vous, comme je m’y étais engagé, dans ce domaine-là.
S’agissant de la seconde fonction stratégique, la protection du territoire national et de nos concitoyens associée à la préservation de la continuité des fonctions essentielles de la nation, celles-ci sont au cœur de notre stratégie de défense et de sécurité nationale.
Ainsi, en matière de lutte contre le terrorisme, le dispositif de l’État sera maintenu à un haut niveau de vigilance, et ce dans une approche globale, face à une menace qui reste majeure et persistante. J’ai eu souvent l’occasion de décrire cette menace. Nous avons un ennemi extérieur : des États ainsi que des organisations terroristes particulièrement organisées. Nous avons également un ennemi intérieur, et c’est ce que nous avons vécu au cours de la dernière année, depuis l’affaire Merah. Cela s’est aussi traduit par le démantèlement de filières ou de groupes et l’arrestation d’individus qui voulaient passer à l’acte dans notre pays ou se rendre sur des théâtres de guerre, au Sahel ou en Syrie.
Et il y a ces phénomènes, liés, d’auto-radicalisation, que nous ne découvrons pas. Voilà encore quelques mois, un français s’est rendu en Belgique pour poignarder deux policiers belges. Mais ce qui vient de se passer à Londres et les interrogations sur ce qui s’est passé à La Défense samedi dernier nous poussent à une très grande vigilance.
Le plan gouvernemental Vigipirate assure la mobilisation des différents ministères, des collectivités territoriales, des opérateurs d’importance vitale et des citoyens pour renforcer nos niveaux de protection, sans jamais sombrer dans la routine, ni céder à la communication. Ainsi, chaque fois qu’il y a un événement, une menace, on nous demande, à M. Jean-Yves Le Drian et à moi-même, si nous allons rehausser le niveau du plan Vigipirate. Il n’y aura bientôt plus de couleurs ! Il faut faire preuve de prudence pour être capable d’apporter à cette menace une réponse adéquate.
Ce plan repose, vous le savez, sur quatre grands principes : une posture de vigilance qui s’appuie sur l’analyse permanente de l’évolution de la menace – il faut aller vite, il faut être capable d’y répondre, et notamment à celle que nous connaissons sur internet – ; une approche globale qui permet d’exercer cette vigilance dans tous les secteurs de la société, celle-ci devant être sans cesse mobilisée ; un principe de responsabilité partagée entre autorités publiques, opérateurs et, donc, citoyens ; une gradation de la réponse de l’État, qui peut notamment comporter des mesures contraignantes.
Ce plan comprend enfin quatre niveaux d’alerte rendus publics et matérialisés par une couleur : jaune, orange, rouge – qui peut être renforcé – et écarlate. Ce dernier niveau d’alerte a été mis en œuvre après les assassinats perpétrés par Merah dans la région Midi-Pyrénées.
Compte tenu du caractère structurellement élevé de la menace terroriste, le plan Vigipirate est au niveau rouge depuis 2005. Ce niveau rouge est renforcé, ou rappelé, quand il s’agit de faire face à des menaces évidentes, comme celles qui pèsent sur notre pays après l’intervention juste et légitime de la France au Mali.
Conformément au mandat confié par le Premier ministre au secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, le dispositif sera modernisé afin d’en renforcer l’efficacité.
Ce principe a été confirmé par le Livre blanc. Le ministère de l’intérieur est naturellement associé aux travaux de révision aujourd’hui engagés.
Le Livre blanc marque également une étape nouvelle et déterminante dans la prise en compte de la menace informatique et le développement des capacités de cyberdéfense. Il décrit aussi la vulnérabilité croissante de l’État et de la société face à des attaques de plus en plus dangereuses, rappelées tout à l’heure par M. Berthou : prise de contrôle à distance, paralysie ou destruction d’infrastructures d’importance vitale, voire tentative de pénétration de réseaux à des fins d’espionnage militaire, économique ou industriel.
Si le ministère de l’intérieur est déjà l’une des trois entités gouvernementales à disposer d’un centre de cyberdéfense, il participera aux côtés des autres ministères à l’amélioration de la fiabilité des systèmes d’information de l’État et des grands opérateurs.
S’agissant plus particulièrement de la lutte contre l’espionnage, il nous faut renforcer la préparation des acteurs économiques et industriels. Aussi, afin d’optimiser la réponse interministérielle, j’ai souhaité que les services de police et de gendarmerie contribuent, au sein de chaque territoire, dans le cadre de leurs actions d’intelligence économique, à la diffusion du guide d’hygiène informatique conçu par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information.
Dans le Livre blanc est aussi fixé l’objectif d’établir dès 2013 un contrat général interministériel, qui décrira les capacités civiles nécessaires aux missions relatives à la sécurité nationale. En effet, mesdames, messieurs les sénateurs, l’exercice de certaines missions en situation de crise suppose la disponibilité de capacités spécifiques bien identifiées.
Certains partenaires jouent un rôle essentiel dans la capacité de résilience de notre pays face à des crises souvent multiformes. L’enjeu est donc de mobiliser et d’identifier les savoir-faire présents dans l’ensemble des services publics, notamment au sein des collectivités territoriales et chez de nombreux opérateurs privés.
Le Livre blanc de 2013 confirme aussi les orientations de 2008, à savoir la montée en puissance des capacités civiles, et demande aux ministères concernés de faire les efforts d’équipement nécessaires. De ce point de vue, nous devons préserver les capacités d’intervention de présence en temps de crise sur nos territoires ultramarins. Le ministre de la défense était encore il y a peu de temps aux Antilles pour constater ce défi. Le ministère de l’intérieur participe également à la réflexion engagée avec les ministères les plus concernés.
Enfin, le ministère de l’intérieur est chargé des modalités de la déclinaison territoriale de la planification de crise. Celle-ci est mise en œuvre par les préfectures de zones de défense et de sécurité puis des départements. Il s’agit d’une démarche capacitaire que l’État mènera dans les zones de défense et de sécurité par grands bassins de risques, afin de mieux mobiliser, au-delà des ministères concernés, les différentes collectivités compétentes, acteurs clés de la gestion de crise.
Mesdames, messieurs les sénateurs, sur la base d’une analyse ciblée des risques et des menaces, la stratégie de sécurité nationale doit organiser des réponses diversifiées mobilisant une multitude d’acteurs pour prévenir et gérer les crises majeures sur notre territoire.
Au plan international, nous vivons dans un monde où le développement des réseaux et la circulation toujours plus intense des personnes, des marchandises, des capitaux et des informations relativisent la notion de frontière et multiplient en tout cas les interdépendances. Si ces évolutions peuvent être un facteur de vulnérabilité, dans la mesure où elles facilitent la propagation des crises, elles peuvent aussi devenir un atout, dès lors que, tirant toutes les conséquences du fait que notre sécurité ne commence pas à nos frontières, nous serons assurés de la promotion d’un projet, notamment européen, de sécurité, mais aussi, évidemment, d’un partenariat nous liant à des pays amis un peu partout dans le monde.
Un tel projet peut être réalisé, pour ce qui concerne l’Europe, dans les cadres juridiques actuels de l’Union et serait de nature à renforcer l’efficacité des politiques nationales, qui revêtent une importance particulière pour les peuples européens.
Ce sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les défis qui nous attendent et auxquels, bien évidemment, le ministère de l’intérieur apporte sa contribution et son action. §