Intervention de Sophie Chaillet

Commission d'enquête sur la lutte contre le dopage — Réunion du 25 avril 2013 : 1ère réunion
Audition de sophie chaillet ancien chef du bureau de la protection du public de la promotion de la santé et de la lutte contre le dopage

Sophie Chaillet, ancien chef du bureau de la protection du public, de la promotion de la santé et de la lutte contre le dopage :

Merci de m'auditionner. De 2004 à 2008, la lutte contre le dopage a enregistré des progrès très significatifs : internationalisation, extension à l'ensemble du mouvement sportif, amélioration des techniques de lutte et du ciblage des sportifs. Depuis mon départ du ministère, je n'ai plus guère de liens, qu'ils soient personnels ou professionnels, avec le monde sportif. Mieux vaut donc centrer mon propos sur les raisons qui ont conduit, à l'époque, à adopter le système qui est actuellement en vigueur.

Jusqu'à la fin du mois de décembre 2007, le champ d'intervention du bureau, extrêmement large, allait de la santé et la sécurité des sportifs, de haut niveau ou amateurs, jusqu'à la lutte contre le dopage. Ce dernier point a représenté l'essentiel de mes activités pendant quatre ans.

Durant cette période dense, nous avons engagé une lourde réforme de notre système juridique. La loi du 5 avril 2006 a créé une autorité publique indépendante, l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), qui a absorbé le Laboratoire national de lutte contre le dopage (LNDD). Elle s'est vu transférer les missions d'ordonner les contrôles antidopage et de procéder aux analyses des prélèvements effectués. Nous avons également participé à l'élaboration et à la ratification de la convention internationale contre le dopage dans le sport de l'Unesco de 2005 et à la révision du code mondial antidopage en 2007.

Auparavant, les sanctions disciplinaires relevaient des fédérations sportives françaises ; lorsque le sportif n'était pas licencié, il revenait au Conseil de prévention et de lutte contre le dopage (CPLD) de prendre des sanctions administratives. L'arsenal pénal était réservé à la lutte contre les trafics de produits dopants. Surtout, les contrôles pouvaient être effectués sur le seul territoire national, ce qui nous obligeait à passer des accords avec les autorités étrangères lorsque, par exemple, le tracé du Tour de France passait par la Belgique, l'Allemagne ou l'Italie. De plus, nous recourions uniquement aux tests urinaires. Ceux-ci, effectués par des médecins préleveurs agréés, visaient à rechercher des produits interdits dont la liste était fixée par un arrêté ministériel. Ce système était complexe à comprendre tant pour les sportifs que pour le mouvement sportif. Outre qu'il était source de confusions, il présentait le défaut de se limiter au territoire hexagonal et d'être complètement déconnecté des fédérations internationales.

Cela dit, nous avions développé une stratégie et des techniques de contrôles antidopage que l'AFLD a reprises à compter de septembre ou d'octobre 2006. D'abord, des contrôles sanguins à titre expérimental lors de l'édition 2004 du Tour de France, c'est-à-dire sitôt que l'Agence mondiale antidopage (AMA) les a validés. Ensuite, un mécanisme de localisation des sportifs pour opérer des contrôles inopinés lors des entraînements en vue des Jeux olympiques d'Athènes en 2004 et de Turin en 2006. Enfin, un dispositif d'escorte afin de limiter les risques d'échappement aux contrôles.

La période de 2004 à 2008 a été riche en événements très médiatisés sur le dopage parmi lesquels l'affaire Cofidis dans le cyclisme en 2004, l'affaire des analyses rétrospectives d'échantillons urinaires contenant des traces d'EPO prélevés durant les Tours de France 1998 et 1999 et, enfin, le contrôle positif du coureur cycliste Floyd Landis durant le Tour de France 2006.

Le système de contrôle, prévu par la loi du 23 mars 1999, reposait sur trois piliers. Le ministère et ses services déconcentrés étaient en charge des contrôles. Le LNDD, qui avait le statut d'établissement public administratif, était le seul laboratoire agréé pour réaliser les analyses. La liste des produits interdits, fixée par arrêté, était fonction des normes élaborées au sein du Conseil de l'Europe, puis de l'AMA. Résultat, il existait un décalage temporel entre les textes internationaux et leur mise en oeuvre.

Concernant les compétitions internationales se déroulant sur le sol français, les fédérations internationales signataires du code mondial antidopage de 2003 organisaient les contrôles elles-mêmes et les finançaient. Pour éviter des doublons ou, à l'inverse, l'absence de contrôles, nous concluions des protocoles d'accord avec elles. Ceux-ci pouvaient se limiter à un événement ou bien porter sur une période. Dans tous les cas, ils définissaient la liste des substances interdites et l'organisation des pouvoirs compétents à prendre des décisions disciplinaires. L'ensemble des institutions concernées côté français -le ministère, le CPLD, le LNDD et les fédérations sportives nationales- a ainsi contractualisé avec l'Union cycliste internationale (UCI), l'International Rugby Board (l'IRB), l'Union des associations européennes de football (l'UEFA), les sports de glace ou encore les sports de glisse.

Le dispositif national de lutte contre le dopage était restreint par l'impossibilité de recourir à des outils sophistiqués, entre autres sur le ciblage des sportifs, ainsi que par la capacité d'analyse du LNDD limitée à 9 000 contrôles par an. Nous devions programmer les contrôles de manière à garantir une activité régulière au laboratoire. Cela supposait de tenir compte des délais incompressibles pour réaliser certaines analyses, celles portant sur l'EPO notamment, et des contraintes de coût. De là le ciblage des recherches sur certaines substances et certaines disciplines. De surcroît, il fallait respecter les engagements pris dans les protocoles d'accord passés avec les fédérations internationales : 2 000 des 9 000 contrôles étaient réalisés lors des compétitions internationales.

La loi de 1999 conditionnant les poursuites à la présence de la substance interdite dans l'échantillon, nous ne pouvions pas recourir aux tests sanguins. Dès que l'AMA a validé ces derniers aux Jeux olympiques d'Athènes de 2004, nous les avons adoptés. Le LNDD a dû investir dans l'achat de matériels, dont des centrifugeuses, et former les médecins préleveurs. De fait, la prise de sang, qui constitue un acte invasif, doit se dérouler dans des conditions garantissant la sécurité des sportifs. Piquer certains athlètes et obtenir le nombre d'échantillons nécessaire n'est pas si évident, l'expérience l'a prouvé aux Jeux olympiques de Turin.

À l'époque, certains souhaitent développer les tests sanguins dans une optique no start : un résultat positif, et le sportif a interdiction de participer à la compétition. Or, en France, ces prélèvements entrent dans un système général de protection de la santé des sportifs. Après de nombreux débats entre les médecins des fédérations françaises et internationales, on a autorisé l'exploitation des éléments du suivi longitudinal dans la lutte contre le dopage, une disposition qui figure désormais dans le code mondial.

Nous avons expérimenté une obligation de localisation des sportifs aux Jeux olympiques d'Athènes et de Turin. La méthode, des déclarations sur papier qui passaient entre les mains des directeurs techniques, était certes artisanale. Les contrôles inopinés ont néanmoins progressé. Depuis, la technique, modernisée par l'AFLD, est devenue plus efficace !

Quoi qu'il en soit, la mise en cohérence de notre système français avec nos engagements internationaux était nécessaire tant pour combler les espaces vides laissés aux tricheurs que pour utiliser au mieux les outils disponibles. De fait, la forte mobilisation du mouvement sportif international en faveur d'un système de lutte contre le dopage renforcé et adapté au nouvel environnement sportif s'était traduite, après la création de l'AMA en 1999, par l'adoption du premier code mondial antidopage en 2003 ; un code que les États avaient reconnu par la déclaration de Copenhague la même année et auquel l'ensemble des fédérations sportives avaient adhéré aux Jeux olympiques d'Athènes en 2004. D'où le renforcement des activités antidopage et les éléments de simplification dans la loi de 2006.

Sans entrer dans le détail, insistons sur la réorganisation institutionnelle autour d'une AFLD dotée d'outils diversifiés : techniques multiples de prélèvement, possibilité de recourir à plusieurs laboratoires, formation d'escortes de contrôles antidopage, ouverture de la qualité de préleveurs à des non médecins, recours à des préleveurs femmes, conformément au souhait des sportives. Notre système respecte, depuis, les options retenues dans le code mondial antidopage en assurant l'égalité de traitement entre les sportifs de même niveau et en confiant la responsabilité des contrôles et des sanctions à l'organisateur de la compétition.

Enfin, nous avons mené une action très volontariste pour harmoniser les réglementations et l'efficacité de la lutte contre le dopage au sein de l'AMA et de l'Unesco. Une pharmacienne du bureau du ministère a même participé au comité « liste » de l'AMA.

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