Intervention de Didier Migaud

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 29 mai 2013 : 1ère réunion
Certification des comptes de l'etat et exécution budgétaire de 2012 — Audition de M. Didier Migaud premier président de la cour des comptes

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Je suis heureux d'être auditionné par votre commission, accompagné par les magistrats qui m'entourent, sur les travaux que la Cour produit chaque année pour le Parlement, en application de la LOLF, à l'occasion de la discussion du projet de loi de règlement. Il me revient de vous présenter, d'une part, l'acte de certification des comptes de l'Etat, d'autre part, le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire pour l'exercice 2012.

Ces deux documents ont été préparés par la formation interchambres que préside Raoul Briet, qui a présenté une enquête sur le hors bilan demandée à la Cour des comptes par la commission des finances, et qui siège à mes côtés. Nous y avons par exemple approfondi nos réflexions sur le démantèlement des matériels nucléaires et veillons à identifier chaque année des sujets nouveaux de contrôle. Nous y reviendrons plus loin.

Depuis sept ans maintenant, la Cour transmet au Parlement son opinion sur les comptes 2012 de l'Etat, tels qu'ils sont arrêtés par le ministre de l'économie et des finances pour être intégrés dans le projet de loi de règlement qui vous sera soumis dans quelques jours.

La certification a pour objet d'apporter une assurance raisonnable sur la régularité, l'image fidèle et la sincérité des états financiers formant le compte général de l'Etat. Cette comptabilité de l'Etat a été mise en place depuis 2006, en application de la LOLF. Elle s'inspire, autant que possible, des principes de la comptabilité privée, tout en s'adaptant aux spécificités de l'action publique. Elle livre des informations très riches que la comptabilité budgétaire, créée il y a plus de deux siècles pour suivre le respect de l'autorisation parlementaire, n'apporte pas.

En particulier, cette comptabilité fournit une visibilité sur les dépenses de demain qu'entraîneront les engagements pris hier et aujourd'hui, ce que ne permet pas toujours la comptabilité budgétaire.

Quant à la certification, elle est l'instrument permettant d'assurer la transparence et l'image fidèle des comptes publics qui est due aux parlementaires, aux citoyens, et aux investisseurs en titres de dette. Ceux-ci souhaitent légitimement disposer d'une information détaillée et fiable sur les actifs de l'Etat, c'est-à-dire son patrimoine et ses créances, ainsi que sur ses passifs, notamment ses dettes, financières ou non financières. Cette transparence conduit aussi à recenser les engagements hors bilan de l'Etat. Je donnerai deux exemples illustrant l'utilité de cette comptabilité certifiée.

Elle présente, dans ce que l'on appelle le « hors bilan », les engagements donnés par l'Etat à des tiers. Nous avons adressé au début du mois à la commission des finances du Sénat un rapport sur ce sujet. Ce rapport est riche d'informations, sur un sujet jusqu'ici cantonné à quelques initiés. J'en retirerai deux constats.

Au 31 décembre 2012, l'agrégat total des engagements hors bilan de l'Etat excédait 3 000 milliards d'euros, soit une fois et demi le montant du produit intérieur brut (PIB). Il dépasse largement le passif total de l'Etat (1 859 milliards d'euros) et encore plus le montant de sa dette financière (1 412 milliards d'euros). Ce montant recouvre des obligations éventuelles dont les horizons temporels et les risques de réalisation sont très variables, mais l'ordre de grandeur, et surtout son évolution dans le temps, sont significatifs.

Parmi ces engagements, les garanties accordées par l'Etat à des emprunts de tiers représentent un encours de 163 milliards d'euros, qui a triplé depuis 2006. Cette forte augmentation résulte certes d'un effort de recensement de ces engagements, grâce en particulier à l'action de la Cour en tant que certificateur. Elle résulte également de la participation de la France aux mécanismes de soutien aux Etats en difficulté de la zone euro. Dans son rapport, la Cour a souligné la vigilance qui doit être exercée face à ces risques, afin de préserver la crédibilité de la signature de l'Etat. Je signale au passage que s'agissant du prêt bilatéral consenti à la Grèce (11,3 milliards d'euros), nous avons reçu du directeur général du Trésor une lettre d'affirmation expliquant les raisons pour lesquelles ce prêt n'est pas déprécié au 31 décembre 2012, à l'exception d'un montant limité à 231 millions d'euros. Ce montant correspond au coût de sa bonification, suite à l'assouplissement des conditions de remboursement décidé par l'Eurogroupe le 26 novembre 2012.

Le second exemple porte sur un sujet donnant lieu à une réserve substantielle de la Cour des comptes comme certificateur : les actifs et passifs du ministère de la défense. Nous avons, cette année, approfondi nos vérifications sur un sujet majeur : le démantèlement des matériels nucléaires. A la lecture de l'acte de certification, vous verrez que le démantèlement des chaufferies nucléaires du porte-avions Charles de Gaulle n'a pas été provisionné, et que celui des réacteurs des sous-marins nucléaires l'a été sur une base incomplète. Par ailleurs, sur un autre sujet, celui des charges de personnel, ce ministère est confronté à des dysfonctionnements graves du calculateur de solde « Louvois ». Ces dysfonctionnements ont des répercussions directes dans un sens comme dans l'autre sur la solde de certains personnels de ce ministère. Nous les avions déjà identifiés dans la certification de l'an dernier, et nous les précisons cette année. S'il fallait se convaincre que la certification n'est pas qu'un acte de pure technique comptable, mais qu'elle permet d'identifier chaque année des sujets relatifs à la gestion de l'Etat, voilà des exemples qui me semblent parlants.

J'en viens maintenant à la position de la Cour sur les comptes de l'exercice 2012.

La Cour certifie qu'au regard des règles et principes comptables qui lui sont applicables, le compte général de l'Etat de l'exercice 2012 est régulier, sincère et donne une image fidèle de la situation financière et du patrimoine de l'Etat. Elle le fait sous sept réserves, dont les champs sont identiques à ceux de l'exercice précédent.

Nous avons constaté cette année une amélioration d'ensemble, qui affecte toutefois de manière très variable ces sept réserves, qui étaient toutes qualifiées par la Cour de substantielles l'an dernier. Nous pouvons lever cette année seize parties de réserves, contre huit l'année dernière. Des progrès significatifs ont notamment été constatés sur deux réserves, conduisant la Cour à ne plus les qualifier de substantielles. Il s'agit :

- d'une part, de la réserve sur le patrimoine immobilier de l'Etat. Celui-ci est désormais mieux recensé et évalué, tant pour les immeubles situés sur le territoire national que ceux situés à l'étranger. Pour lever la réserve qui demeure, les progrès observés en 2012 doivent être poursuivis en 2013. Un tel effort permettra à l'Etat de pouvoir utiliser davantage la comptabilité générale dans la gestion active de son patrimoine immobilier. A titre d'exemple, les actions de l'administration en 2012 sur le parc immobilier à l'étranger ont permis de le réévaluer de 500 millions d'euros à l'actif du bilan de l'Etat. Voilà un exemple d'une recommandation du certificateur qui a été suivie d'effets ;

- d'autre part, la Cour a constaté des progrès concernant la réserve sur les passifs non financiers, qui sont notamment composés des engagements de l'Etat pris à l'égard des ménages, des entreprises, des organismes de sécurité sociale et des collectivités territoriales, au travers de plus de 1 300 dispositifs d'aide distincts. La valeur de ces passifs s'élève à 274 milliards d'euros. Les normes comptables qui leur sont applicables ont été modifiées début 2012, ce qui a conduit à la résolution d'un certain nombre de désaccords entre la Cour et le producteur des comptes quant à leur interprétation. Malgré le changement de norme comptable, l'administration s'est assurée du maintien du niveau de l'information donnée dans l'annexe des comptes de 2012 sur ces passifs et ces engagements hors bilan. Il s'agit là, en effet, d'enjeux financiers majeurs : à titre d'illustration, l'Etat comptabilise un engagement hors bilan de 106 milliards d'euros pour les aides au logement et de 24 milliards d'euros pour l'allocation aux adultes handicapés ; ces montants pèseront très probablement sur les budgets futurs.

Les cinq autres réserves que la Cour avait formulées sur les comptes de 2011 conservent leur caractère substantiel en 2012.

Je ne vais pas détailler chacune de ces cinq réserves substantielles. Vous les trouverez présentées dans l'acte de certification lui-même et dans la synthèse qui l'accompagne. Elles portent respectivement sur le système d'information financière, les dispositifs de contrôle interne et d'audit interne, les produits régaliens, les actifs et passifs du ministère de la défense, et les participations et autres immobilisations financières.

Je souhaite insister particulièrement sur trois points.

D'abord, sur le contrôle interne et l'audit interne, car la Cour lève, pour la première fois depuis 2006, une partie de cette réserve, sur un processus majeur : celui de la dette financière. Cette évolution montre que des progrès sont possibles en la matière. La Cour poursuit par ailleurs sa démarche de contractualisation de ses relations avec les auditeurs internes des ministères, afin de travailler de manière pleinement coordonnée avec eux, au bénéfice de la collectivité. Le contrôle interne et l'audit interne sont des instruments très efficaces pour les gestionnaires, pour identifier et analyser les principaux risques pesant sur la fiabilité de leurs processus.

Ensuite, nous avons relevé en 2012 des progrès insuffisants sur le sujet des produits régaliens, c'est-à-dire du produit des impôts. Le système de gestion fiscal français a été conçu à une époque où la comptabilité générale n'était pas une préoccupation. La conséquence en est une incertitude, non pas sur les montants réellement encaissés par l'Etat, qui sont rigoureusement suivis, mais sur les droits et les obligations qui leur sont associés. Il faut entendre par là, par exemple, le montant des créances fiscales enregistré dans les comptes (56 milliards d'euros en valeur nette). Nous ne voyons pas de perspective de levée de cette réserve à court ou moyen terme. Pourtant, il nous semble que de premières avancées peuvent être accomplies, sans investissement financier lourd. Par exemple, les contrôles internes à l'administration sur la comptabilisation des recettes peuvent être améliorés avec les moyens humains ou informatiques en place. L'administration fiscale s'est engagée à étudier ce qu'il est possible de faire, mais le rythme adopté est lent.

Enfin, c'est le troisième point, nous avons constaté des améliorations certaines concernant les participations financières de l'Etat. Conformément à notre recommandation, l'administration a revu la méthode d'évaluation de la participation que détient l'Etat dans la section générale de la Caisse des dépôts, ce qui est positif. La dynamique de la certification des comptes des entités publiques contrôlées par l'Etat s'est poursuivie cette année : 221 d'entre elles (contre 132 fin 2009) ont vu leurs comptes de 2012 soumis à une certification externe. La Cour aura l'occasion d'y revenir au second semestre avec la présentation du premier rapport de synthèse sur la qualité des comptes des entités publiques dont elle n'assure pas elle-même la certification, conformément à l'article 63 de la loi de finances rectificative du 29 juillet 2011.

L'an dernier, la Cour avait alerté le Parlement et l'administration car elle avait constaté, pour l'exercice 2011, un net essoufflement de la trajectoire d'amélioration de la qualité des comptes entamée en 2007. Un véritable redémarrage des chantiers a été observé en 2012. La Cour a reconnu cet effort dans l'expression de sa position en ne qualifiant plus de substantielles deux des sept réserves qu'elle continue de formuler. Elle met ainsi en valeur les effets positifs d'une implication accrue de l'administration en la matière.

Ce résultat a été obtenu dans un contexte marqué par d'importants changements sur le plan informatique avec la mise en place du progiciel de gestion budgétaire et comptable Chorus, qui a constitué une étape majeure franchie avec succès. Reste aujourd'hui l'essentiel : utiliser le potentiel de Chorus, afin d'améliorer tant la fiabilité des comptes que la qualité de la gestion publique. Cela nécessitera encore des efforts des ordonnateurs comme des comptables, pour que la gestion financière s'adapte à ce nouvel outil, de manière à gagner en productivité.

La dynamique d'amélioration des comptes doit être préservée et amplifiée en 2013, sur toutes les réserves que formule la Cour. Nous estimons que l'administration a tout à y gagner, car la qualité des comptes est un facteur de modernisation de l'action publique : elle conduit l'Etat et les entités qu'il contrôle à mieux évaluer et suivre tant leur patrimoine que leurs risques. Dans le contexte actuel, le jugement des observateurs sur la soutenabilité des finances publiques françaises est influencé par la qualité des comptes qui leur sont présentés.

Je voudrais compléter ce propos sur la certification par quelques mots sur un sujet important dont les autorités ne se préoccupent pas suffisamment, celui des normes comptables applicables aux administrations publiques.

Le législateur européen a engagé une démarche d'adoption de normes comptables au niveau européen. La Commission européenne doit évaluer l'adéquation des normes comptables internationales du secteur public, dites International Public Sector Accounting Standards (IPSAS), aux comptes des Etats membres. La Cour, avec d'autres institutions supérieures de contrôle européennes, a mis en évidence les difficultés que poserait une reprise trop large et systématique de ces normes, compte tenu de leur complexité, de leur instabilité, de leur caractère en grande partie inadapté aux spécificités du secteur public. Elles sont par ailleurs établies par un organisme dont la légitimité démocratique est contestable, dès lors qu'y siègent essentiellement des experts privés et que les pouvoirs publics ne sont pas représentés de façon institutionnelle, et encore moins écoutés.

Ce sujet est important, car ces normes doivent permettre d'apprécier de façon homogène et sincère la situation financière des administrations publiques dans les différents Etats, d'éclairer la prise de décision politique et de faciliter la surveillance des finances publiques. L'adoption d'un référentiel comptable européen adapté aux objectifs des comptes publics, dans le cadre d'une gouvernance légitime et crédible, est un sujet majeur, dont il convient de se saisir avant qu'il ne soit trop tard.

J'en viens maintenant au rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de 2012. Celui-ci analyse l'exécution budgétaire par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale, à celles des trois lois de finances rectificatives de l'année et aux dispositions de la loi de programmation des finances publiques pour 2011-2014 : son ambition est d'éclairer le débat sur le projet de loi de règlement et d'aider à préparer le débat sur la prochaine loi de finances. Un effort nouveau a été fait cette année pour améliorer le rapport qui vous est présenté : une synthèse, le rapport proprement dit, et des fiches nouvelles vous sont livrées.

Le contenu du rapport de synthèse sur les résultats et la gestion budgétaire peut vous être résumé en cinq messages :

- le premier est que le déficit budgétaire s'est réduit, mais à un rythme sensiblement ralenti par rapport à 2011, dans un contexte de dégradation de la situation économique. Cette réduction du déficit est insuffisante pour enrayer la progression de la dette et sortir l'Etat de la zone dangereuse dans laquelle il se trouve ;

- le deuxième est que malgré les nombreuses mesures fiscales nouvelles adoptées en 2011 et en 2012, le ralentissement de la croissance économique a réduit le rendement des principales recettes, notamment de la TVA et de l'impôt sur les sociétés, et a fragilisé l'exécution budgétaire ;

- le troisième concerne l'effort de maîtrise des dépenses en 2012 : les normes de dépenses, plus strictes que l'année précédente, ont été tenues. Mais d'importantes dépenses non prévues ont été prises en charge en dehors de ces normes. Les dépenses, dans leur ensemble, ont augmenté ;

- le quatrième message est que la tenue des dépenses figurant dans le périmètre des normes résulte bien davantage des effets de la régulation budgétaire - c'est-à-dire des annulations de crédits ayant fait l'objet d'une mesure de gel, voire de surgel - que de la mise en oeuvre de réformes structurelles ciblant les politiques publiques les moins efficaces. Dès lors, l'amplification prévue et nécessaire de l'effort sur la dépense doit reposer sur la mise en oeuvre de telles mesures, dans une perspective pluriannuelle, sauf à dégrader la qualité de l'ensemble des politiques publiques par l'application de gels indifférenciés ;

- le cinquième et dernier message est que certaines irrégularités, parfois récurrentes, demeurent dans la gestion budgétaire.

Je reviens au premier message. Le déficit budgétaire s'est réduit de 3,57 milliards d'euros par rapport à 2011. Ce résultat positif doit être tempéré de deux façons. D'abord, le niveau du déficit demeure très élevé. Avec 87,15 milliards d'euros, il représente plus de trois mois de dépenses de l'Etat et autant que les dépenses de l'enseignement scolaire et de l'enseignement supérieur cumulées. Il nourrit l'accroissement de la dette de l'Etat : son encours est passé de 1 313 milliards d'euros à 1 386 milliards d'euros en un an. La baisse des taux d'intérêt a néanmoins permis de stabiliser la charge d'intérêts payée. A 46,3 milliards d'euros, celle-ci représente le deuxième poste de dépenses de l'Etat et prive celui-ci de marges de manoeuvre. Surtout, compte tenu du montant atteint par la dette et de l'inévitable remontée, à terme, des taux d'intérêt, l'Etat est toujours exposé au risque d'une augmentation sensible de sa charge d'intérêts. Vous le constatez, en dépit d'une légère amélioration du solde, celui-ci reste tel que la dette poursuit son augmentation rapide. Notre pays ne s'éloigne donc pas de la zone dangereuse dans laquelle il est entré en raison de son endettement. Sur ce point, je parle seulement de l'Etat, et pas des administrations publiques dans leur ensemble. Il voit ses marges de manoeuvre restreintes puisqu'il consacre une part substantielle de l'impôt qu'il collecte à « réparer le passé » plutôt qu'à préparer l'avenir. Seule une action amplifiée et continue sur la dépense - celle de l'Etat mais aussi des administrations de sécurité sociale et des collectivités territoriales - est de nature à lui permettre de retrouver les marges de manoeuvre nécessaires. J'aurai l'occasion d'y revenir dans le prochain rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques qui traitera de l'ensemble des administrations publiques.

Un deuxième tempérament est que l'amélioration du solde, de 3,57 milliards d'euros, est sensiblement plus faible qu'en 2011 où la réduction du déficit avait été d'environ 14 milliards d'euros. Ce ralentissement résulte pour l'essentiel d'une conjoncture économique dégradée en 2012, avec une croissance nulle alors qu'elle s'élevait à 2 % en 2011. La loi de finances initiale avait été construite sur une hypothèse de croissance de 1 %, hypothèse révisée à la baisse à deux reprises dans les lois de finances rectificatives de mars et août. Les prévisions de recettes fiscales ont été révisées en conséquence.

Ceci m'amène à mon second message : le rôle prépondérant joué par l'apport de nouvelles recettes fiscales dans l'amélioration du solde. Les nombreuses mesures fiscales nouvelles, certaines prises en 2011, d'autres au cours de l'année 2012, ont permis aux recettes fiscales de progresser de 10,2 milliards d'euros au lieu de stagner.

Mais elles ne leur ont pas permis d'atteindre le niveau prévu par la loi de finances initiale, l'écart entre prévision initiale et réalisation s'établissant à 6,5 milliards d'euros, compte tenu de la dégradation de la conjoncture. Cet écart porte essentiellement sur l'impôt sur les sociétés, pour 3,6 milliards d'euros et, surtout, sur la TVA, pour 5,7 milliards d'euros. Le produit des recettes de TVA a été surestimé, surtout par la dernière loi de finances rectificative du 29 décembre qui prévoyait encore une hausse du produit de la TVA de 2,8 % par rapport à 2011, alors qu'en réalité, cette augmentation n'a été que de 0,2 %. Or, à cette époque, les informations sur les encaissements montraient une stagnation du produit de la TVA sur les dix premiers mois de l'année, ce qui aurait dû conduire à retenir des prévisions plus prudentes. Au-delà même de cet aspect, il est préoccupant qu'aujourd'hui, les services de l'Etat ne soient pas en mesure d'expliquer complètement, a posteriori, cet écart massif. Certains facteurs explicatifs ont été avancés, comme une déformation de la structure de consommation au profit des produits soumis à un taux réduit de TVA, ou l'accélération des demandes par les entreprises de leur remboursement de crédit de TVA. Mais une partie non négligeable de ce phénomène de stagnation (de l'ordre de 1,3 milliard d'euros) demeure inexpliquée et appelle des analyses complémentaires. Cette situation peut faire redouter qu'au-delà même de l'effet base sur les recettes de 2013, ce phénomène d'attrition se reproduise en 2013.

La produit des recettes non fiscales a été réduit par rapport aux prévisions, à la fois par la conjoncture économique, entraînant un moindre versement par la Caisse des dépôts et des consignations, et par la décision de l'Etat de percevoir une partie de ses dividendes en titres et non en numéraire, pour 1,4 milliard d'euros, impactant d'autant les recettes de l'Etat déjà affectées par le moindre rendement des recettes fiscales et alourdissant la dette. Le choix d'un versement, en nature plutôt qu'en espèces, du dividende est neutre en termes de solde en comptabilité nationale, mais il a alourdi la dette de l'Etat.

Ces exemples montrent qu'en période de conjoncture économique dégradée, l'ajustement du solde par des mesures nouvelles en recettes n'offre pas toujours le rendement attendu et fait peser un aléa sur l'évolution du solde budgétaire. Dès lors, dans un tel contexte, l'effort fiscal ne peut suffire pour réduire le déficit budgétaire. L'effort sur la dépense doit jouer un rôle beaucoup plus marqué. Si l'on souhaite sécuriser au mieux un objectif de solde effectif, mieux vaut se montrer plus prudent dans l'estimation des recettes et plus déterminé dans l'action sur la dépense.

Sur ce sujet, le troisième message de la Cour est que l'année 2012 a vu un effort accru de maîtrise des dépenses. Cependant, la possibilité de prolonger cet effort n'est pas garantie, aussi longtemps que des réformes structurelles ne seront pas mises en place.

Deux normes de dépenses s'appliquent principalement au budget de l'Etat :

- la première concerne les dépenses du budget dans son ensemble ainsi que les prélèvements sur recettes, leur imposant de ne pas progresser plus vite que l'inflation : il s'agit de la norme dite « zéro volume » ;

- et la seconde, plus stricte, et qui s'applique au même périmètre hors charge de la dette et pensions, leur impose de ne pas augmenter en euros : il s'agit de la norme dite « zéro valeur ».

Sur ce second périmètre, la norme a été plus que tenue, puisque les dépenses se sont réduites de 1,5 milliard d'euros par rapport à la loi de finances initiale et de 3 milliards d'euros par rapport à l'exécution de l'année précédente. La norme « zéro volume » a également été tenue, en particulier grâce à des économies constatées sur la charge d'intérêts de la dette, dont le coût a été de 2,5 milliards d'euros inférieur aux prévisions.

Cependant, des dépenses non prévues ont dû être prises en charge et l'ont été en dehors du périmètre de ces normes. Il s'agit des dépenses de soutien à la zone euro, qui se sont maintenues à leur niveau de 2011 et ont été supérieures de 2,5 milliards d'euros aux prévisions, ainsi que de la dotation au capital de la banque Dexia à hauteur de 2,6 milliards d'euros. Dès lors, les dépenses du budget général, auxquelles il faut ajouter, pour pouvoir mieux comparer l'exercice avec les précédents, les aides à la Grèce, ont augmenté de 1,5 milliard d'euros par rapport à l'exécution de l'année précédente. Cette hausse est du même ordre que celle constatée entre 2010 et 2011.

Certains résultats significatifs ont été atteints. Ainsi, les dépenses d'intervention ont été réduites de 2,5 %. De même, les dépenses de masse salariale ont été quasiment stabilisées en valeur (+ 0,1 %). Sur la période récente, la décélération est manifeste, mais sa poursuite n'ira pas de soi compte tenu d'un choix qui a été fait d'interrompre la réduction des effectifs.

La réduction des dépenses dans le périmètre de la norme « zéro valeur » a été, pour une large part, réalisée par des annulations de crédits en cours de gestion, d'un montant sans précédent de 2,7 milliards d'euros, contre 1,2 milliard d'euros en 2011. La régulation budgétaire a été efficace. Mais il est à craindre qu'un recours aussi massif et constant à celle-ci ne puisse produire, au cours des prochaines années, des effets à la hauteur de la maîtrise attendue des dépenses, c'est mon quatrième message. Surtout, elle fait courir le risque que l'effort porte sur toutes les dépenses, indépendamment de leur efficacité et de leur efficience. La Cour appelle au contraire à se saisir des outils de mesure de la performance, parmi lesquels figurent les rapports annuels de performances livrés avec le projet de loi de règlement, mais aussi les travaux d'audit et d'évaluation qui sont régulièrement livrés par la Cour et par d'autres acteurs pour faire reposer la réduction de la dépense sur des choix explicites de priorisation et de ciblage plutôt que sur l'application indifférenciée de normes.

Bien évidemment, des progrès peuvent et doivent encore être faits pour améliorer le volet performance des lois de finances. Même si des améliorations sont apportées chaque année aux outils de la gestion par la performance, la Cour constate que l'articulation entre la démarche de performance et la gestion budgétaire n'est pas pleinement établie. Pour mieux responsabiliser les gestionnaires sur leurs résultats, le recours à la contractualisation et à la comptabilité analytique doit être accru.

L'exploitation de toute la richesse des données livrées par les rapports annuels de performances, qui comparent les objectifs fixés et les résultats atteints par les différentes politiques publiques, pourrait contribuer à faire porter l'effort avant tout sur les dépenses budgétaires ou fiscales qui n'atteignent pas leurs objectifs ou qui le font à un coût excessif par rapport aux résultats obtenus. Le débat sur la loi de règlement est une occasion privilégiée de tirer les conséquences de cette mesure de la performance.

Enfin, la Cour a constaté - c'est mon dernier message - que des irrégularités entachent la gestion des comptes spéciaux, notamment certains comptes de concours financiers qui ne retracent pas de véritables avances, des comptes d'affectation spéciale sur lesquels sont imputées des dépenses relevant du budget général, ou encore des comptes de commerce ne correspondant pas à la définition de la LOLF.

Des rétablissements de crédits, en provenance du programme des investissements d'avenir, à hauteur d'1 milliard d'euros, ont été effectués pour doter la Banque publique d'investissement (BPI). Mais une partie de ces crédits a finalement contribué au financement du plan automobile, et une autre partie, représentant 465 millions d'euros, n'a pas été consommée en 2012, améliorant d'autant le solde budgétaire. Cette procédure n'est pas conforme à l'article 17 alinéa IV de la LOLF et s'est effectuée dans un vide juridique, l'arrêté de 1986 encadrant la procédure n'étant plus applicable. Les redéploiements de crédits devraient être plus rigoureusement encadrés à l'avenir pour s'assurer que leur réemploi corresponde bien à l'objet du programme des investissements d'avenir.

Les constats que dresse la Cour dans le rapport, et plus particulièrement sur les grandes composantes de la dépense de l'Etat, s'appuient sur 63 analyses détaillées de l'exécution budgétaire par mission et par programme. Ces analyses, instruites, contredites et délibérées par les sept chambres de la Cour, sont mises en ligne sur le site Internet de la Cour. Tout autant que le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire lui-même, elles ont vocation à aider le Parlement dans sa mission de contrôle. Je souhaiterais brièvement illustrer ce propos par trois illustrations concrètes.

L'analyse de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » souligne que les indicateurs de la performance ne permettent pas d'apprécier, à eux seuls, le correct calibrage des crédits destinés à l'allocation aux adultes handicapés ni de porter une appréciation sur la répartition de la distribution de l'aide sur le territoire national ; de même, le contrôle du Parlement pourrait trouver à s'appliquer sur les 32 mesures de dépenses fiscales rattachées à cette mission, dont neuf représentant un coût de 6,3 milliards d'euros, ont été jugées « inefficaces » dans le rapport du comité d'évaluation de juin 2011.

Autre exemple, l'analyse relative à la mission « Défense » met en évidence la sous-budgétisation récurrente de la provision pour surcoût des opérations extérieures ainsi que les failles du pilotage de la masse salariale. Le quatrième Livre blanc de la défense a été publié le mois dernier et le projet de nouvelle loi de programmation militaire sera déposé au Parlement au cours de l'automne prochain. Dans ce contexte, l'analyse montre que les objectifs budgétaires et capacitaires de la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2009 à 2014 n'étaient pas soutenables (5,5 milliards d'euros de commandes de matériels prévues en 2012 et en 2013 ont été reportées) et que certains crédits ont dû être utilisés pour pallier les dérapages de la masse salariale, qui fait d'ailleurs l'objet d'une enquête de la Cour à la demande de votre commission des finances.

Dernier exemple : l'analyse de la mission interministérielle « Enseignement scolaire » met en relief le manque de cohérence entre gestion budgétaire et gestion des personnels, en écho aux constats et recommandations formulés par la Cour dans son dernier rapport thématique « Gérer les enseignants autrement ».

La Cour vous livrera, au mois de juin, deux autres rapports. Le premier sur la certification des comptes du régime général de la sécurité sociale, et le second sur la situation et les perspectives des finances publiques. En juin, nous analyserons davantage le présent et l'avenir des finances publiques. Je vous remercie de votre attention.

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