Dès les 16 et 17e siècles, pas une expédition ne partait sans un botaniste à bord, qui rapportait diverses espèces de plantes. Plus tard, les cartes botaniques ont suivi le chemin de fer. Pendant des siècles des passionnés, ecclésiastiques, instituteurs ou militaires ont cherché à décrire la nature. Ils ont archivé des données sur des carnets naturalistes dont 80 % ont été perdus, mais il nous reste leurs collections.
Puis, dans les années 1950-60, l'engouement naturaliste a reculé tandis qu'émergeaient de nouvelles disciplines comme la biologie moléculaire. Le Club de Rome a exprimé des interrogations tandis que des associations de protection de la nature ont commencé à archiver des données. L'écologisme politique est apparu à ce moment-là. Rosen, biologiste de la conservation, a inventé le mot biodiversité en 1985. C'est donc une notion très jeune ; elle a le même âge que mes étudiants. En 1992, à Rio, le mot sort des laboratoires et prend une connotation politique.
Le monde participatif a ainsi contribué au regain d'intérêt pour les études sur la nature. Le citoyen lambda met des qualités ou des connaissances particulières au service d'une passion dans laquelle il est prêt à investir temps et argent, contribuant ainsi à un effort collectif. L'histoire du Muséum, ses collections, le prédisposent à mobiliser ces personnes, qui portent parfois des connaissances uniques. Nous avons cherché à les séduire et à les fidéliser en lançant des actions groupées sous le vocable de Vigie Nature et déclinées par thématiques. C'est aussi Vigie Ciel, et les deux cents caméras acquises avec l'aide des conseils généraux et des élus locaux, et grâce auxquelles nous suivons les météorites et pouvons en récupérer les morceaux. Chaque objet que vous avez vu chez nous est un sujet d'étude, qui raconte une histoire. Celle de la météorite d'Orgueil remonte à 4,6 milliards d'années ! Les participatifs nous aident à trouver les objets, à les récolter, à les archiver et à ranger les collections. Palliant parfois l'absence de spécialistes, ils nous assistent dans notre mission.
Certains s'intéressent aux grenouilles, aux chauves-souris, aux poissons, aux papillons de jardin ou aux oiseaux. Les « sauvages de ma rue » méritent qu'on y réfléchisse : arrêtez-vous pour voir ces plantes qui poussent dans une anfractuosité du béton. Au total, nous avons réuni entre 15 000 et 20 000 personnes qui récoltent de l'information, l'archivent dans des banques de données fiabilisées - nous avons besoin de votre aide pour cela - et dont on tire collectivement parti.
Ceux que nous avons réunis, nous les avons formés et ils sont devenus formateurs. Après tout, lorsque les maires ont lancé l'inventaire des communes, le monde associatif leur a apporté sa connaissance. Nous retrouvons les participatifs au plus haut niveau : un article de Nature Climate Change, en janvier 2012, utilisait 1,5 million d'heures d'observation par 10 000 personnes mobilisées de l'Ukraine à Brest, pour montrer que les oiseaux sont remontés de 33 kilomètres vers le nord et les papillons de 114 kilomètres. L'on peut commencer à légiférer sur des données aussi robustes car le but est bien de mieux gérer l'environnement que ce que l'on fait aujourd'hui.
Il est moins difficile de séduire que de fidéliser le participatif. Il y faut une restitution permanente. Tela Botanica, à Montpellier, compte 15 000 adhérents : trois personnes adhèrent chaque jour, mais deux démissionnent. Notre rôle est de susciter, d'écouter. Nous suivons deux types d'approches. La phénologie rassemble une multitude de données : quand avez-vous vendangé, quand avez-vous entendu le martinet dans votre jardin pour la première fois ? Vous voyez ainsi changer le climat, comme on l'a fait en étudiant les quipus, ces cordelettes à noeud au moyen desquelles les Incas consignaient leurs données. Ils nous renseignent sur l'évolution de la période de la récolte de la pomme de terre. Les inventaires, eux, aident à mettre en évidence ce qui vit à tel ou tel endroit. Aussi l'agriculteur peut-il devenir un remarquable participatif. Encore faut-il expliquer la raison des choses, montrer qu'on n'instrumentalise pas les données mais qu'on les restitue tout en les exploitant collectivement pour mettre en place d'autres méthodes. Le Muséum était idéalement placé pour cela.