Intervention de Gilles Boeuf

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 29 mai 2013 : 2ème réunion
Enseignement supérieur et recherche — Audition de M. Gilles Boeuf président du muséum d'histoire naturelle

Gilles Boeuf, président du Muséum d'histoire naturelle :

Ces paradoxes nous incitent à travailler au niveau local. Le rôle des collectivités locales est fondamental à cet égard. Comment passe-t-on du local au global ? Voilà une question intéressante pour le législateur. Si j'adresse un reproche au système éducatif, c'est le compartimentage entre les mathématiques, la philosophie, l'histoire... Quand a-t-on dit à un gamin que c'était bien de faire des mathématiques, mais que l'anglais était aussi utile et qu'il devait aller à son cours de langues avec le même engouement, ou encore que les sciences naturelles avaient des relations avec la physique ? Or à l'université, nous demandons de plus en plus aux étudiants de faire du transversal. Les questions que nous nous posons ne peuvent être résolues par un physicien, un écologue, un chimiste ou un sociologue seuls : c'est ensemble qu'ils doivent travailler, en apportant chacun des éléments.

Il en va de même à l'université. Tel étudiant en médecine se demande pourquoi il étudierait la systématique des coléoptères. Il n'empêche que réfléchir à une démarche intellectuelle et scientifique est fondamental. Il est important d'avoir une base commune à tous. L'université est assez mal préparée sur ces sujets longtemps considérés comme secondaires. S'il y a eu des progrès, nous les devons à quelques universitaires passionnés qui n'hésitent pas à passer leurs dimanches à montrer à des curieux pourquoi il faut protéger les grenouilles. En Martinique, où je pars bientôt, le chlordécone, ce produit horrible employé pour traiter les bananes, est maintenant présent dans l'organisme des langoustes, dans l'océan.

Bien que des universitaires jouent un grand rôle participatif, rien n'est organisé au sein de l'université. Si la loi le prévoit, le corolaire immédiat pour le chercheur que je suis, c'est que ce rôle soit reconnu dans sa carrière, que la diffusion de l'information au public soit reconnue aussi bien qu'une publication dans Nature ou Science. Ma remarque vaut aussi pour les grands instituts de recherche comme le CNRS (Centre national de la recherche scientifique). Désormais, ce qui compte pour un chercheur, c'est le nombre de citations de ses travaux. Il faut cesser de juger les gens uniquement sur le nombre de leurs publications de haut niveau et par l'impact factor. Pour cela, l'université, le CNRS, doivent reconnaître la mission de participation à la diffusion de la connaissance et d'organisation des participatifs qui apportent des données, et les traitent avec lui. Cela suppose que les mentalités changent.

Notre rôle est d'amener les gens à se poser des questions neuves. Je vous suis entièrement sur ce que la loi peut apporter, mais il faut jouer le jeu ; si on écrit quelque chose, il faut le faire : l'université doit reconnaître ces activités particulières. C'est moins une question de moyens, que de respect. Bien sûr, il faut des moyens, un noyau dur de professionnels, car s'il n'y a que des bénévoles, cela ne peut pas marcher. Reste que la question est d'abord celle des mentalités et de l'engouement à susciter et à faire partager.

L'université a aussi un rôle de formation du public en dehors de ses seuls étudiants. Le Muséum forme beaucoup de professeurs de physique, de chimie, de sciences de la vie et de la terre. Celui qui enseigne aujourd'hui la biodiversité n'a pas reçu d'enseignement. J'appartiens moi-même à la génération qui a inventé la biologie moléculaire ; j'en fais beaucoup et je l'enseigne bien, mais, par définition, on ne me l'a pas enseignée ! Comment, dans cette évolution extrêmement rapide des disciplines et des technologies, arrive-t-on à gérer cette situation ?

Science et technologie : le débat est important pour moi. À la télévision, neuf émissions scientifiques sur dix sont consacrées à la technologie, pas à la science. La science a viscéralement besoin de technologie, mais sans science, la technologie ne peut tout résoudre. Comment peut-on, dans l'état actuel des connaissances, être optimiste ? Le scientisme pur et dur, qui veut tout réinventer, est une philosophie dramatique. C'est en observant, en scrutant, en tirant parti de ce que l'on voit que l'on avance : de fabuleuses réalisations technologiques sont issues du biomimétisme ou de la bio-inspiration. Sachons réunir trois mondes : celui du scientifique, de l'ingénieur et de l'entreprise privée. Depuis sept ou huit ans, le bout des ailes des avions a été remonté. Un observateur a remarqué que les rapaces des Pyrénées volaient mieux en remontant le bout de leurs ailes. Un ingénieur a transposé cette découverte sur un avion, d'où une économie de carburant de 20 %. Bien sûr, tout le monde ne peut pas faire de la science participative, mais si les scientifiques montrent un engouement, il convient de faciliter les relations entre l'université et le grand public.

Le Muséum essaime. François Houllier, le président de l'Inra (Institut national de la recherche agronomique), enthousiasmé, m'a dit qu'il allait expérimenter la participation avec les agriculteurs. Tant mieux ! L'Ifremer (Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer) va s'y mettre pour le domaine marin, l'IRD (Institut de recherche pour le développement) peut le faire : pourquoi ne pas viser nos ex-colonies ? Un monde participatif peut parfaitement y exister : il n'a jamais aussi peu plu dans certaines régions qui n'ont jamais connu autant d'inondations parce que les sols ont été totalement transformés, et sont devenus complètement imperméables. L'AFD (Agence française de développement) consacre 20 millions d'euros à des opérations du monde associatif en Afrique, dont la muraille verte au Sénégal. Le chercheur français peut apporter beaucoup, pour peu que l'on reconnaisse que cela fait partie de sa mission.

Certains m'ont reproché de faire de la pseudo-science avec Spipoll. Un amateur reconnaît 100 oiseaux ; 600 pollinisateurs, c'est impossible. Un an après, nous avons donné un papier à PlusOne. Sans prendre les opposants à contrepied, j'ai demandé qu'on m'aide à traiter les données. Voilà ce qu'il faut faire : convaincre le chercheur !

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