Intervention de Didier Houssin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 29 mai 2013 : 2ème réunion
Enseignement supérieur et recherche — Audition de M. Didier Houssin président de l'agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur aeres et M. Emmanuel Saint-james président de l'association « sauvons la recherche »

Didier Houssin, président de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) :

Mme Laurence Pinson, secrétaire générale de l'AERES, m'accompagne.

Le 28 mai 2013, l'Assemblée nationale a amendé le projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche. Je remercie la commission et sa présidente d'avoir souhaité m'entendre en vue de l'examen de ce projet de loi par le Sénat. Vous comprendrez que je centre mon propos sur l'évaluation, sur l'AERES et son action. S'agissant de l'évaluation, je vois, dans ce texte, quatre points critiques. Pour être bref, je limiterai mon intervention aux deux plus importants, qui concernent les articles 48 et 49 du projet de loi.

Dans son article 48, le texte prévoit en effet qu'un Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur remplace l'AERES.

Trois arguments plaident pour le maintien de l'AERES :

En premier lieu, l'AERES est loin de faire l'unanimité contre elle.

L'évaluation des activités de recherche constitue un tiers seulement des activités de l'AERES, à côté de l'évaluation des activités de formation et de l'évaluation des établissements (universités, organismes de recherche, notamment) qui constituent les deux autres tiers.

Si l'évaluation des activités de formation et des établissements a soulevé peu de critiques, l'évaluation des activités de recherche en a, cela est vrai, soulevées, notamment dans le cadre des Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Il est faux cependant d'affirmer que l'AERES fait l'unanimité contre elle.

Ainsi :

- dans le cadre d'une étude scientifique de sociologie conduite par Mme Musselin, nouvelle directrice scientifique de Sciences-Po, publiée en 2012 à propos de l'évolution récente des universités en France, une enquête faite en 2011 auprès de presque deux mille responsables appartenant à toutes les universités françaises a montré que les évaluations menées par l'AERES sont jugées comme « une bonne chose », dans 48 % des cas, et comme « une mauvaise chose », dans 34 % des cas ;

- parmi les quatre-vingt-huit contributions déposées sur le site Internet des Assises par des organisations nationales à la date du 8 octobre 2012, l'AERES est évoquée dans 33 % des cas. Parmi ces 29 contributions, 21 (72 % des cas) le font dans une tonalité neutre ou favorable.

Dans le cadre de sa procédure de retour d'expérience après évaluation des unités de recherche, l'AERES a récemment effectué deux enquêtes auprès des directeurs d'unité de recherche :

- la première, fin 2012, a porté sur 378 directeurs d'unité de recherche en sciences et techniques ayant été évaluées lors des vagues A, B et C. Le taux de réponse a été supérieur à 50 %. Les trois quart des répondants ont estimé que le processus d'évaluation avait été transparent et 65 % ont jugé que les recommandations formulées par le comité d'évaluation leur avaient été utiles ;

- la seconde enquête, toute récente, a porté sur l'ensemble des 525 directeurs des unités de recherche de tous domaines évaluées durant la vague D, donc durant l'hiver passé. Le taux de réponse a été de 45 %. 83 % des directeurs ayant répondu ont jugé que l'évaluation de leur unité avait été utile et 61 % ont estimé que les recommandations formulées par le comité d'experts leur avaient été utiles.

Donc, il me faut souligner que les critiques de l'AERES ne portent que sur un champ limité de son activité et qu'elles sont loin de faire l'unanimité. Je tiens à la disposition de la commission les résultats détaillés de cette dernière enquête. Je tiens aussi à saluer l'engagement et la sérénité, en particulier durant l'année écoulée, des dizaines de délégués scientifiques de l'AERES et des milliers d'experts, enseignant-chercheurs ou chercheurs, qu'elle a mobilisés. Grâce à eux, non seulement les évaluations ont été poursuivies, mais l'AERES a su faire évoluer ses procédures et ses méthodes.

En second lieu, l'AERES est réformable, car elle a démontré sa capacité à évoluer.

Depuis deux ans, l'AERES a été capable de faire évoluer ses méthodes et ses procédures d'évaluation, grâce à la pratique des retours d'expérience et en étant attentive aux critiques exprimées, notamment dans le domaine de l'évaluation des activités de recherche. Elle a su aussi améliorer les relations avec son environnement.

Elle a su le faire bien avant les Assises, donc bien avant que plane sur elle une menace de suppression.

Ainsi, dès décembre 2011, le Conseil de l'AERES a décidé de renoncer à la note globale pour l'évaluation des unités de recherche et retenu un nouveau référentiel d'évaluation de ces unités faisant place à une meilleure appréciation des résultats de la recherche finalisée.

L'AERES a aussi lancé, début 2012, une simplification très importante de son dossier d'évaluation, répondant en cela à une attente qui était largement exprimée au sein de la communauté scientifique, pas seulement concernant les unités de recherche. Cette attente était tout à fait fondée.

Durant les mois récents et pour tenir compte aussi de ce qui avait été exprimé dans le cadre des Assises, l'AERES a supprimé le calcul du taux de produisant dans le cadre de l'évaluation des unités de recherche et la note globale concernant l'évaluation des formations.

Elle a aussi amélioré ses relations avec les institutions concernées par l'évaluation, grâce à la mise en place du groupe de concertation Mikado qui rassemble des représentants de toutes les institutions concernées par l'évaluation. Au sein du groupe Mikado, ont notamment été étudiées la possibilité de passer d'une évaluation directe des entités de recherche par l'AERES à une évaluation indirecte dans laquelle l'AERES validerait les procédures d'une évaluation conduite par d'autres instances et la question de la publicité des rapports d'évaluation.

Des évolutions importantes se profilent enfin concernant l'évaluation des formations et des établissements, compte tenu de ce qui est prévu dans le cadre du projet de loi concernant l'accréditation des formations et les groupements d'établissements. L'AERES a anticipé tout cela, Dans le cadre de la vague D d'évaluation en cours, s'agissant des établissements, et dans celui de la vague E en préparation, s'agissant des formations.

L'AERES a fait la preuve qu'elle est capable de faire évoluer ses méthodes et ses procédures, et de s'adapter à de nouvelles missions. Il est donc inutile qu'elle soit remplacée. Ce remplacement serait de plus très dommageable.

Enfin, la perte du nom AERES serait dommageable pour notre pays, en particulier sur la scène européenne et internationale.

L'AERES est une institution jeune mais, conformément à ses missions, elle s'est efforcée d'obtenir une reconnaissance sur la scène européenne et de renforcer sa notoriété au niveau international.

En 2010, l'AERES a été évaluée au niveau européen et elle a ensuite été jugée apte à être inscrite sur le registre européen des agences d'assurance qualité dans le champ de l'enseignement supérieur et de la recherche. Cette reconnaissance est importante, car elle conforte la confiance que les étudiants étrangers peuvent mettre dans le système français d'enseignement supérieur et de recherche. Pourquoi renoncer à cet acquis et repartir de zéro ? La Commission du titre d'ingénieur, la CTI, créée en 1934, bien connue à l'étranger, a su faire évoluer ses procédures sans changer de nom.

L'AERES jouit aujourd'hui d'une bonne notoriété sur la scène internationale. Elle est sollicitée pour évaluer des formations ou des institutions à l'étranger, dans des pays en développement mais aussi dans des pays émergents. Le ministère des affaires étrangères ne s'y est pas trompé qui, dans sa contribution aux Assises, avait écrit : « l'AERES est un des vecteurs essentiels de notre compétitivité », et « grâce à sa dynamique d'internationalisation, l'AERES illustre notre capacité d'expertise et renforce notre image d'excellence ».

Enfin, au fil des années, l'AERES a vu se construire sur le web un puissant référencement du nom AERES. Ce niveau de référencement est très élevé pour une institution de cette nature. Pourquoi se priver de cet acquis ? Pourquoi perdre des années et gaspiller les deniers publics à reconstruire ce qui a ainsi été bâti en six ans ?

J'espère avoir convaincu la commission que le remplacement de l'AERES est infondé, inutile et dommageable pour notre pays.

S'agissant de l'évaluation des unités de recherche, la rédaction présente de l'article 49 expose à deux risques : l'inégalité de traitement entre les unités de recherche et le blocage du processus d'évaluation.

Le début de l'article 49 semble, à juste titre, vouloir avant tout éviter l'inégalité de traitement entre les entités évaluées : le Haut Conseil « fonde son action, en ce qui concerne les critères d'évaluation, sur les principes d'objectivité et d'égalité de traitement entre les structures examinées... ».

Cependant, lorsqu'il est question de l'évaluation des unités de recherche, l'inégalité de traitement apparaît comme inscrite dans le texte de l'article 49. En effet, il établit une différence dans les modalités d'évaluation selon qu'il s'agit d'une unité propre de recherche (principalement des unités de recherche universitaires) ou d'une unité mixte de recherche ayant deux tutelles, et souvent plus, relevant d'organismes de recherche, d'université ou d'écoles. Le Haut Conseil est en effet chargé :

« 2° D'évaluer les unités de recherche à la demande de l'établissement dont elles relèvent, en l'absence de validation des procédures d'évaluation ou en l'absence de décision de l'établissement dont relèvent ces unités de recourir à une autre instance ou, le cas échéant, de valider les procédures d'évaluation des unités de recherche par d'autres instances.

Lorsqu'une unité relève de plusieurs établissements, il n'est procédé qu'à une seule évaluation. Le Haut Conseil valide les procédures d'évaluation des unités de recherche par d'autres instances. Il peut évaluer l'unité à la demande conjointe des établissements dont elle relève, en l'absence de validation des procédures d'évaluation, ou en l'absence de décision des établissements dont relève cette unité de recourir à une autre instance. »

Cette disposition est tout sauf propice à l'égalité de traitement que l'AERES défend mordicus et que le législateur semble souhaiter.

Souvenons-nous de ce qu'avait écrit le rapporteur des Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche, Vincent Berger, dans son rapport du 17 décembre 2012 : « l'évaluation est un sujet sur lequel il faut... prendre garde à ne pas réveiller des conflits entre universités et organismes de recherche, conflits qui appartiennent désormais au passé » !

Un conflit ouvert, à nouveau, voilà ce qui est inscrit dans l'article 49, dans la rédaction actuelle du texte concernant les unités de recherche !

Un blocage du processus d'évaluation des unités de recherche relevant de plusieurs établissements, y est aussi inscrit, dans le cas où les établissements de tutelle, qui peuvent être jusqu'à huit, ne s'entendraient pas sur le rôle qu'ils souhaitent voir jouer par l'autorité administrative indépendante ou sur le choix d'une instance d'évaluation, et où une demande conjointe ne pourrait dès lors pas être formulée.

S'agissant de l'évaluation des unités de recherche et tout en souhaitant que l'initiative revienne bien aux établissements, l'AERES forme donc le voeu que la rédaction de l'article 49 préserve l'égalité de traitement entre les unités de recherche au regard de l'évaluation et évite de mener à un blocage du processus d'évaluation.

Je ne développerai pas maintenant les deux autres points critiques concernant l'évaluation dans ce projet de loi, qui touchent l'évaluation des personnels (article 49, alinéas 10 et 11) et la gouvernance de l'autorité administrative indépendante avec la création d'un comité d'orientation scientifique (article 50), mais je serai prêt à le faire dans la discussion.

L'AERES est tout à fait prête à accompagner les évolutions portées par ce projet de loi en vue d'une meilleure lisibilité de l'offre de formation, d'une attention soutenue au lien entre formation et recherche et à la place du doctorat, d'une confiance renforcée avec la communauté scientifique, et d'un décloisonnement des institutions françaises d'enseignement supérieur et de recherche.

Je vous remercie de votre attention et suis prêt à répondre à vos questions.

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