Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous étions convenus l’hiver dernier de nous revoir à l’automne prochain pour examiner une loi relative à l’urbanisme et au logement qui serait déposée à l’été. Ce rendez-vous aura bien lieu. En attendant, nous voilà réunis aujourd’hui afin d’habiliter le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnances des dispositions qui, dans une période difficile, permettront d’accélérer les projets de construction.
Je n’ignore pas, mesdames, messieurs les sénateurs, que le terme « ordonnances » n’a pas tout à fait sa place au panthéon sémantique des parlementaires ! §J’appartiens, vous le savez, à une tradition politique extrêmement attachée au respect des droits et de l’indépendance du Parlement. Et pourtant, parce que la situation l’exige, mais aussi parce que nous avons travaillé longuement sur le projet de loi relatif au logement et à l’urbanisme que je vous présenterai bientôt, c’est aujourd’hui sans aucune hésitation et avec une détermination sans faille que je vous soumets, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi d’habilitation, afin que vous autorisiez le Gouvernement à légiférer par ordonnances.
Nous devons collectivement prendre nos responsabilités face à l’urgence et à la violence de la crise touchant le secteur de la construction. De la manière la plus rapide et la plus volontaire qui soit, nous devons lever les obstacles qui obèrent les chances de notre pays de répondre aux besoins qui sont les siens. J’ai pu constater la semaine passée à l’Assemblée nationale qu’une telle volonté n’est pas sans bousculer les convictions et les certitudes. Je n’ignore pas non plus qu’elle suscite également des inquiétudes sur les travées de la Haute Assemblée. Il appartient au Gouvernement de les entendre et d’y répondre. Mais si j’ai accepté de relever ce défi devant et avec vous, c’est aussi parce que je crois à notre capacité collective à dégager un accord solide et pérenne qui nous permette de répondre à l’impérieuse obligation de construire des logements. C’est ainsi que nous ferons face à un triple enjeu social, économique et environnemental.
Le premier enjeu est d’ordre social, car, comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner à de nombreuses reprises devant vous, la pénurie de logements est une menace pour notre cohésion sociale. Il est insupportable que 3, 5 millions de personnes soient mal logées en 2013 dans notre pays.
Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous êtes également confrontés à cette insupportable réalité en tant qu’élus locaux : dans les faits, le droit au logement n’est pas garanti dans notre pays, alors que ce droit devrait être inaliénable. Pour notre part, nous nous employons à le défendre depuis les premières minutes ayant suivi notre arrivée aux responsabilités. Nous entendons la demande, l’impatience et parfois la colère qui montent du pays. L’inaction ou l’attentisme ne sont pas des luxes que nous pouvons nous offrir ; ce serait une faute.
Le deuxième enjeu est d’ordre économique, car faciliter et encourager la construction est au cœur de notre bataille en faveur de l’emploi et de notre action pour faire face à la crise. Le secteur de la construction a besoin de notre mobilisation, maintenant et rapidement.
Le troisième enjeu est, vous le savez, de nature environnementale. Nous devons défendre la ville dense afin de lutter contre l’étalement urbain et l’artificialisation des sols, et donc contre la destruction et la disparition des terres agricoles.
La construction urgente de logements est compatible avec la protection de l’environnement. Il faut de la nature en ville pour préserver la biodiversité et rendre la densité non seulement acceptable, mais également souhaitable. C’est la densité urbaine qui permet les services, les équipements et les réseaux. C’est la nature en ville qui préserve les respirations et la qualité du cadre de vie. Il faut à la fois plus de logements, et plus de logements de qualité. Tel est d’ailleurs le sens des politiques que nous aurons à conduire au service de la rénovation énergétique.
Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, si le Président de la République a souhaité que nous légiférions par ordonnances, c’est pour nous permettre d’utiliser toutes les possibilités d’accélération que le droit nous offre. Le projet de loi que je présente aujourd'hui devant vous est l’un des fruits du plan d’investissement pour le logement annoncé le 21 mars dernier. Son objectif, très simple, est de lever aussi vite que possible les principaux freins à la construction de logements identifiés.
Financiers, parfois techniques, ces freins sont essentiellement dus à l’empilement des procédures, à la complexité des dispositifs et à l’absence de lisibilité d’ensemble du droit de l’urbanisme. En adoptant ce projet de loi d’habilitation, vous permettrez d’avancer l’application de certaines dispositions de plus d’un an, ce qui, dans la situation dans laquelle nous nous trouvons, sera décisif pour les professionnels et pour les Français.
L’habilitation que je vous demande aujourd’hui cible une série de sujets identifiés lors des vastes concertations menées dans le cadre de l’élaboration du projet de loi sur le logement et l’urbanisme que je déposerai bientôt au Parlement. Je vous présenterai chacune des mesures en détail lorsqu’elles seront débattues tout à l’heure, mais je souhaite à ce stade vous dire un mot rapide de chacune d’elles.
Il vous est d’abord proposé une mesure de cohérence. Les professionnels, les élus, mais aussi les citoyens, se plaignent de l’empilement dans le temps des procédures pour construire des logements. Le Gouvernement vous propose donc de l’habiliter à bâtir une procédure intégrée pour le logement, qui fusionne et « parallélise » les délais au lieu de les compiler les uns à la suite des autres. Il s’agit d’accélérer les procédures, sans y déroger. Vos collègues députés ont souhaité préciser que cette nouvelle procédure devait obéir à un objectif de mixité sociale et fonctionnelle des projets.
Il vous est ensuite proposé – c’est une mesure de transparence – d’améliorer l’accès aux documents d’urbanisme grâce à la création d’un portail national de l’urbanisme, où les professionnels comme les particuliers pourront trouver les renseignements utiles leur permettant de déterminer plus aisément la constructibilité d’un terrain et donc d’envisager plus facilement les projets aux endroits les plus opportuns.
J’ai déjà eu l’occasion, lors de mon audition devant la commission des affaires économiques, monsieur le président, de rassurer celles et ceux d’entre vous qui redoutaient un surcoût pour les petites collectivités : il appartiendra à l’État d’être l’initiateur et le garant de ce guichet unique d’information sur l’urbanisme en France. L’État en assumera les coûts de développement et de déploiement, en lien avec l’IGN, l’Institut géographique national. Le budget prévisionnel est de 3, 5 millions d’euros sur trois ans. Par ailleurs, certains territoires ont déjà mis en place un portail local de l’urbanisme. Leur expérience permettra d’alimenter les modalités de portage et d’accompagnement, en particulier à l’égard des petites collectivités.
Il vous est par ailleurs proposé une mesure destinée à mobiliser tous les acteurs. Afin de faciliter le financement de projets d’aménagement, nous envisageons de permettre aux collectivités d’augmenter le taux maximal de garantie d’emprunt qu’elles peuvent consentir. Je tiens à préciser qu’il s’agira pour les collectivités d’une possibilité, en aucun cas d’une obligation. Les élus qui considéreraient que cette possibilité ferait peser un risque trop élevé sur leur collectivité ne seront en aucun cas forcés d’y recourir. En revanche, ceux qui souhaitent faciliter l’aboutissement de projets rendus plus difficiles du fait du renchérissement des garanties bancaires auront la possibilité d’augmenter leur taux maximal de garantie d’emprunt, ce que la loi leur interdit aujourd'hui.
Enfin, nous proposons une mesure démocratique. En tant qu’élus locaux, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez été confrontés à des recours qu’il n’est pas abusif, sans faire de mauvais jeu de mot, de qualifier de mafieux. Tout le monde s’accorde à dire aujourd’hui qu’il est urgent de réduire le délai de traitement des recours contentieux et de lutter contre les recours de type mafieux qui se multiplient, notamment dans certains territoires de notre République, contre les permis de construire. Une ordonnance sera prise dans cet objectif. Elle se fondera sur les conclusions du rapport que m’a remis le président Labetoulle, juriste et grand spécialiste de ces questions.
Je souhaite vous en dire précisément quelques mots.
Pour lutter contre les recours considérés comme abusifs, je proposerai que soit précisé l’intérêt pour agir des personnes afin que les recours soient bien motivés par des motifs liés à l’urbanisme.
J’envisage également d’ouvrir au titulaire du permis de construire une action en dommages et intérêts contre l’auteur du recours en cas de préjudice anormal lié à l’introduction de ce dernier. Ce serait là un moyen de dissuasion très fort. Pour être juste, il faut évidemment qu’une telle action vise exclusivement les recours malveillants, sans fondement autre qu’un intérêt financier.
Je proposerai ensuite – c’est une disposition très forte – de rendre obligatoire la déclaration, auprès de l’administration des impôts, des transactions aboutissant à un désistement monnayé du recours contre un permis de construire, sous peine de nullité de la transaction. Le pouvoir dissuasif de l’administration fiscale freinera ceux qui aujourd'hui font profession, si on peut employer ce terme, des recours contre les permis de construire.
Afin de raccourcir les délais de traitement des recours, j’envisage – c’est sans doute la proposition la plus puissante – de donner la possibilité au juge de fixer une date au-delà de laquelle de nouveaux moyens d’annulation du permis ne pourront plus être invoqués. On ne pourra plus égrener les moyens, en gardant les « meilleurs » pour la fin, dans le seul but de ralentir sans fin la durée de la procédure, comme c’est le cas aujourd'hui.
Toujours dans le but d’accélérer le traitement des recours, je proposerai de donner aux cours administratives d’appel une compétence de premier et dernier ressort afin d’accélérer les procédures pour les projets de taille importante, notamment ceux d’une surface supérieure à 1 500 mètres carrés situés dans des communes où le déséquilibre entre l’offre et la demande est marqué, soit les agglomérations de plus de 50 000 habitants soumises à la taxe sur les logements vacants. Grâce à cette procédure, il sera possible de diviser par trois les durées de traitement des contentieux les plus lourds.
Telles sont les dispositions précises que le Gouvernement envisage de prendre par ordonnances. Je le redis devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs : ce travail se poursuivra en concertation avec les parlementaires, afin d’avancer sur ce dossier très compliqué. Mon prédécesseur s’était engagé devant vous à publier un décret, ce qu’il n’a évidemment pas eu la possibilité de faire. Je pense que ces avancées doivent être décidées en concertation, afin que ceux qui en ont besoin puissent se les approprier et raccourcir les délais de recours. Ces délais figent parfois des parties de ville dans des situations très inconfortables, les travaux étant interrompus au début du chantier ou certains terrains restant vides et inutilisés durant des années.
Pour construire davantage en zone tendue, il faut se donner les moyens de densifier la ville. Ce débat avait déjà eu lieu lors de l’abrogation de la disposition univoque permettant d’augmenter de 30 % les droits à construire. J’avais alors indiqué que nous reviendrions sur cette question à l’issue d’une concertation menée notamment par les professionnels et qu’il faudrait mettre en œuvre des dispositions permettant aux élus de faire de la dentelle, car il n’est pas question d’imposer une densification univoque sur l’ensemble du territoire français.
Les mesures que nous proposons permettront de lever rapidement les obstacles à la densification et de lutter contre l’étalement urbain, en favorisant la transformation des bureaux en logements, en limitant les obligations en matière de places de stationnement, en autorisant un alignement au faîtage ou la surélévation d’immeubles pour la création de logements.
L’Assemblée nationale a souhaité que les mesures de densification puissent être prises en fonction de la zone concernée et du bâti existant et qu’elles s’inscrivent dans un objectif de mixité sociale. La commission des affaires économiques du Sénat, sur proposition du rapporteur Claude Bérit-Débat, a précisé la rédaction de la disposition de façon à préserver le pouvoir des maires. C’est effectivement aux élus de proximité qu’il revient de dessiner l’avenir de leurs territoires, mais nous souhaitons leur en donner les moyens et les outils. Tel est l’esprit des propositions que nous vous soumettons, propositions qui seront appliquées à la lettre.
Il vous est en outre proposé d’encourager le développement de logements intermédiaires. Cette offre de logements fait aujourd’hui cruellement défaut dans les zones tendues, où les loyers du parc privé atteignent des niveaux inabordables pour les classes moyennes. L’absence d’une offre intermédiaire entre le parc public et le parc privé contribue à gripper les parcours résidentiels et nuit à la rotation dans le parc social. Il sera donc très utile d’y remédier.
Il faut d’abord définir le statut du logement intermédiaire, lequel devra se caractériser de façon très claire par un niveau de loyers intermédiaire entre le parc privé et le parc public, ainsi que par un plafond de ressources pour ses locataires. L’inscription dans les textes du logement intermédiaire permettra ainsi aux collectivités territoriales d’en prévoir la production dans leurs documents de planification et de programmation.
Il faut ensuite créer un bail de longue durée dédié à la production de logements intermédiaires. Cela permettra aux acteurs publics de développer une politique foncière innovante en faveur du logement à prix maîtrisés, qu’il soit locatif ou en accession. Cette question avait notamment été évoquée lors du débat sur le projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social.
Il faut enfin autoriser les organismes de logement social à créer des filiales dédiées à la production et à la gestion de logements intermédiaires, après délivrance d’un agrément par l’État et dans des conditions restrictives que l’Assemblée nationale a souhaité faire écrire en toutes lettres. Les députés ont en effet souhaité, rejoignant en cela la volonté du Gouvernement, poser un principe d’étanchéité entre la maison mère et la filiale. Ainsi avons-nous conjuré tout danger d’une éventuelle ponction des fonds du logement social par le logement intermédiaire.
Le projet de loi d’habilitation prévoit ensuite la suppression de la possibilité de garantie intrinsèque pour les opérations de vente de logements en l’état futur d’achèvement. Acheter un logement est une décision lourde de conséquences financières qui engage bien souvent toute une vie. Bien que de tels cas soient peu fréquents, nous ne pouvons pas accepter le drame que représente pour une famille le fait de s’être endetté à vie pour acquérir un logement qui ne sera jamais livré, qui est parfois même à peine commencé, mais dont la banque continue de réclamer le paiement. Tel est le risque, avéré pour un certain nombre de ménages, que fait courir la garantie intrinsèque. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons sa suppression progressive.
Je n’ignore pas que cette évolution remet en cause le modèle économique de certains promoteurs, dont un grand nombre réalise un travail tout à fait honnête. Une application progressive de la mesure sera donc proposée et un travail sera mené avec les assureurs et la profession pour veiller à ce que la garantie extrinsèque soit offerte au plus grand nombre de constructeurs.
Enfin, il faut faciliter la gestion de la trésorerie des entreprises du bâtiment. Ces dernières dispositions vont permettre de modifier le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux afin de réduire les délais de production du décompte général après réception des travaux. Pour les marchés de travaux privés, il s’agit notamment de prévoir que le délai d’intervention du maître d’œuvre ou d’un autre prestataire dont l’intervention conditionne le paiement des sommes dues est désormais inclus dans le délai de paiement pour les acomptes mensuels, et de s’assurer que les maîtres d’ouvrage paient chaque mois les travaux exécutés par les professionnels de ce secteur sur la base des demandes de paiement mensuel qu’ils présentent.
Ce dispositif vous semblera très technique à ce stade, mais je peux vous dire qu’il sera un bol d’air extrêmement important pour des milliers d’entreprises du secteur du bâtiment. Il évitera des situations de tension financière extrêmes.
L’ensemble des dispositions que je viens de vous présenter vise donc très concrètement à apporter des solutions à des difficultés aggravées par la situation économique que connaît le secteur. C’est pourquoi il est urgent de pouvoir les mettre en œuvre le plus rapidement possible. Le sujet ne sera pas pour autant épuisé, et nous aurons l’occasion de nous retrouver pour en débattre de nouveau dans quelques mois.
J’espère que nous saurons nous rassembler, comme cela a été le cas à l'Assemblée nationale, peut-être même au-delà des traditionnels clivages partisans, pour donner le coup d’accélérateur dont notre pays a besoin dans ce domaine. Je puis vous l’assurer, l’ensemble de ces dispositions, qui peuvent apparaître techniques, ont fait l’objet d’une vaste concertation et sont largement partagées ; certaines d’entre elles seront rapidement efficaces.
Je rappelle simplement que 5 millions de mètres carrés de bureaux sont aujourd'hui vacants en France, dont une grande partie dans les zones tendues, et qu’il est aujourd'hui impossible de les transformer en logements pour des raisons juridiques. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous imaginez bien que, là aussi, la possibilité de réaliser ces travaux plus rapidement pourra contribuer à s’attaquer à la fois à la crise de ce secteur et à la crise du logement, un chantier qui est loin d’être clos.
Les Français ont besoin de vous. Il est de mon devoir de m’appuyer sur votre mobilisation pour me faire l’avocate infatigable de la cause du logement. C’est dans cet esprit que je me tiens devant vous aujourd'hui, à la fois consciente de la gravité des sujets dont nous discutons, et pleine d’espoir quant à notre capacité à nous battre avec énergie contre ce qui n’est pas une fatalité, mais qui souffrirait de nos atermoiements.