Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, c’est la troisième fois en quelques mois que le Parlement est saisi d’un texte relatif au logement et à la construction.
Madame la ministre, vous avez commencé par obtenir l’abrogation du dispositif relatif à la majoration des droits à construire, avant même son entrée en vigueur, et sans proposer aucune alternative. Aujourd’hui, vous souhaitez, dans l’urgence et dans le même esprit, promouvoir la densification de l’habitat, mais dans les seules zones tendues. Nous aurions pu discuter de ces mesures à l’occasion de l’examen de la loi d’abrogation, mais vous avez préféré faire de cette dernière un symbole de la table rase du passé.
Nous avons ensuite discuté à deux reprises, pour cause de méconnaissance de la procédure parlementaire, d’un texte dont le seul résultat tangible sera, ainsi que nous l’avions annoncé, d’imposer dès 2014 une amende majorée à la très grande majorité des communes qui ne pourront atteindre le quota de 25 % de logements sociaux d’ici à 2025. L’adoption de cette loi, qui devait être le texte fondateur de la mobilisation du foncier public en faveur du logement social, était si urgente que nous attendons toujours de connaître les terrains susceptibles d’être libérés... Il se confirme donc bien que l’urgence résidait d’abord dans la création d’un nouvel impôt sur les communes. §
Aujourd’hui, madame la ministre, vous nous présentez un projet de loi d’habilitation du Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances, car vous nous dites souhaiter aller plus vite dans ce domaine. Parallèlement, vous nous annoncez l’examen d’un projet de loi comportant plus d’une centaine d’articles pour le mois de juillet. D’urgence en urgence, vous nous donnez le sentiment d’une véritable agitation législative et politique, dont les résultats se font pourtant attendre. §
En septembre 2012, dans cet hémicycle, vous déclariez pourtant, madame la ministre, contester la méthode du précédent gouvernement au motif qu’il ne fallait pas « confondre vitesse et précipitation, détermination et agitation ». Vous ajoutiez : « Ne serait-ce qu’en termes de méthode, ce gouvernement, tout en prenant les sujets à bras-le-corps, ne travaillera pas de cette manière ». Depuis, nous le constatons, votre Gouvernement souffre d’un vrai problème de méthode. Comme tous les Français, nous cherchons à la comprendre – mais en vain ! –, tout comme nous cherchons à comprendre la direction que vous prenez.
Notre première remarque concerne donc la méthode utilisée.
Après avoir fait campagne sur la normalité, il est étonnant de constater que le Président de la République vante les vertus des ordonnances. En effet, il déclarait récemment dans Paris Match, l’hebdomadaire devenu « tendance » par la grâce présidentielle : « C’est une grande leçon de la première année de mon quinquennat. Le temps des processus législatif et réglementaire n’est plus adapté au temps de la vie des Français […]. Il faut aller plus vite ».
Pourtant, je me souviens que, en 2005, dans une autre vie et dans un autre hémicycle, le député de la Corrèze dénonçait l’habilitation à légiférer par ordonnance et la qualifiait de méthode « détestable », jugeant qu’elle revenait à flouer le Parlement et à « renoncer à la confrontation démocratique et au débat serein ».
Même si je ne partage pas son hostilité d’alors pour cette procédure, je considère que le recours aux ordonnances doit demeurer une exception dans notre processus démocratique. Aujourd’hui, nous nous interrogeons pourtant sur la justification de l’urgence mobilisée pour ce projet d’habilitation à légiférer par ordonnance.
En effet, madame la ministre, vous avez perdu plusieurs mois sur un texte précédent, qui était tout aussi urgent. Or, à ce jour, les décrets d’application de ce texte n’ont pas été publiés. De plus, vous le savez très bien, entre la décision de construire et la sortie de terre, il se passe entre dix-huit et vingt-quatre mois, quand tout va bien !
Surtout, madame la ministre, vous avez annoncé un grand texte fondateur pour le mois de juillet. Dans deux jours, nous serons au mois de juin... Si nous prenons en compte les délais prévus par l’article 2 du projet de loi d’habilitation, il est très probable que ces ordonnances ne soient effectives qu’au moment du vote final de la prochaine loi. Le Gouvernement ne perdrait-il pas moins de temps à nous proposer une seule réforme cohérente ?
L’utilisation des ordonnances suscite toujours une autre inquiétude, celle de l’inflation de normes sur lesquelles il sera quasiment impossible de revenir, puisqu’il faudra passer par la loi. Le Président de la République a récemment annoncé un « choc de simplification ». Tous les élus locaux réclament une simplification de la réglementation et des normes en matière d’urbanisme. Je n’arrive pas à croire que l’adoption de huit nouvelles ordonnances va dans ce sens !
L’ordonnance est un véhicule parfait pour faire passer les « mesures tiroirs » des administrations compétentes ou les mesures sectorielles, qui n’apparaissent pas comme telles. Le Parlement n’a ni les moyens ni le temps de mesurer les conséquences de cette logorrhée législative, dont nous sommes à la fois les acteurs et les victimes, en tant qu’élus locaux.
Aussi, malgré la bonne volonté dont vous faites preuve, madame la ministre, en vous engageant à nous tenir informés en amont du contenu de ces ordonnances – nous en avons pris bonne note –, nous savons que cette procédure ressemble à s’y méprendre à un blanc-seing du Parlement. À tout le moins, une ordonnance ratifiée peut faire l’objet d’une question préalable d’inconstitutionnalité. Nous serons donc attentifs au processus de ratification.
J’en viens à ma deuxième remarque, qui porte sur la direction prise par le Gouvernement en matière de logement.
La question de la cohérence de sa politique et de ses choix se pose. Comment pensez-vous que les communes vont pouvoir financer des logements intermédiaires, alors que la plupart d’entre elles, pour atteindre les objectifs triennaux fixés par la loi de mobilisation du foncier public, qui impose 25 % de logements sociaux en 2025, ne devront bâtir que des logements sociaux, et ce dès 2014 ? Quelle place restera-t-il au logement intermédiaire, si vous condamnez les collectivités à concentrer tous leurs efforts sur le seul logement social ?
Vous voulez promouvoir par ordonnances une offre diversifiée de logement locatif, que vous avez pourtant condamnée dans une loi précédente, en imposant que 25 % des logements des communes relèvent de l’habitat social.
Nous notons d’ailleurs que, selon l’article 2 de la loi du 18 janvier 2013, vous devez remettre au Parlement, dans un délai de six mois après la promulgation de cette loi, un rapport sur les modalités de mise en œuvre de la règle dite « des trois tiers bâtis » – un tiers de logements sociaux, un tiers de logements intermédiaires et un tiers de logements libres. Peut-être pourriez-vous nous dire, madame la ministre, où en est ce rapport qui doit émettre des recommandations pour définir une stratégie d’intervention d’ici au 19 juillet prochain ?
J’exprimerai une autre interrogation quant à la cohérence de votre politique : vous voulez, grâce à ces ordonnances, encourager la construction, mais vous commencez par en augmenter le coût par le biais de la hausse de la TVA.
Il est vrai que le taux de TVA applicable au logement social sera ramené à 5 %, mais vous n’atteindrez pas l’objectif de 500 000 logements construits par an en comptant sur la seule réalisation de logements sociaux. Quelles que soient les mesures prises, l’augmentation du taux de TVA sur la construction privée est un véritable frein à toute relance du bâtiment et un mauvais signal pour le secteur.
J’en viens aux huit ordonnances que vous proposez.
Pour accélérer la construction de logements et la réalisation de projets d’intérêt général, vous allez créer une procédure intégrée. Des délais raccourcis sont prévus dans le cadre des différentes étapes d’instruction du projet, permettant ainsi de regrouper les autorisations requises. Nous ne pouvons qu’encourager cette volonté.
La deuxième ordonnance vise à créer un portail national de l’urbanisme, ce qui nous paraît une bonne idée, sous réserve des délais souvent extrêmement longs de la mise en œuvre opérationnelle de ce type d’outils nationaux, qui ne correspondent pas à l’urgence de la situation. Je voudrais ajouter que cette obligation représentera un coût non négligeable pour les petites communes, mais vous nous avez informés de l’aide qui leur serait apportée, madame la ministre.
Nous ne sommes pas opposés au relèvement du taux de garantie que les collectivités locales peuvent apporter aux projets de construction. Cette mesure est intéressante dans un contexte de restriction du crédit bancaire. Toutefois, pouvez-vous nous assurer que les collectivités territoriales ne seront pas pénalisées par les banques et les agences de notation quand elles demanderont un emprunt pour d’autres projets ?
Les organismes bancaires observent avec une vigilance accrue le poids de ces garanties pour les collectivités. Cette garantie que vous souhaitez mettre en place sera-t-elle prise en compte dans les « ratios Galland » ? Il est difficile aujourd’hui d’anticiper les conséquences de la mesure que vous proposez, mais elle nous rappelle combien la situation budgétaire des collectivités publiques en France est précaire.
Vous proposez des mesures visant à accélérer le règlement des recours contentieux et à endiguer les recours abusifs en matière d’urbanisme. Nous avons dénoncé à de nombreuses reprises ces recours systématiques, qui gangrènent la vie de nos collectivités et entravent le développement de nos territoires. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit là d’un domaine où la rédaction du texte sera particulièrement importante – un débat en commission nous a permis de nous en rendre compte de manière précise. Il faut donc que les délais contentieux soient réduits, tout en préservant les droits de chacun.
La cinquième ordonnance suscite une véritable inquiétude parmi les maires, qui s’interrogent sur les conditions de dérogation aux plans locaux d’urbanisme au motif de densification urbaine.
En matière d’aménagement urbain, il nous semble que seules les villes sont en mesure de définir leurs besoins et leurs attentes. Déroger aux règles fixées par le conseil municipal ou la communauté d’agglomération ne doit pas être possible sans l’accord des élus – j’ai noté que vous aviez pris en compte cet impératif lors de la réunion de la commission, madame la ministre, mais je tiens à souligner ce point.
Concernant la transformation de bureaux en logements, plusieurs mesures ont déjà été prises en ce sens dans le passé. Elles n’ont jamais vraiment fonctionné, et je ne crois pas qu’un nouveau texte y change grand-chose. En période de crise, où le nombre de transactions s’effondre et où les prix du marché sont à la baisse, personne ne veut prendre le risque d’une transformation coûteuse, dont la revente et la rentabilité locative demeurent aléatoires.
Je rappelle que le nombre de ventes de logements anciens s’établit à 709 000 en 2012, en baisse de 12 % sur un an. Si l’on exclut le nombre élevé de mutations en janvier 2012, motivées par le changement de régime d’imposition des plus-values immobilières à partir de février, le nombre des ventes diminue de 22 % par rapport aux douze mois précédents.
Selon l’observatoire Crédit logement/CSA, la distribution de crédit à l’habitat des ménages est également en recul de 27, 2 % à la fin de février 2013, en rythme annuel. Dans ce contexte, quelle entreprise ou institution va prendre le risque de transformer des locaux de bureaux souvent très anciens en logements ?
D’ailleurs, le Gouvernement est conscient de la hausse du risque immobilier, puisque vous proposez de supprimer la garantie intrinsèque pour les opérations de vente en l’état futur d’achèvement, avec raison.