Intervention de Rémy Pointereau

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 29 mai 2013 : 1ère réunion
Examen du rapport d'information « les collectivités territoriales et les infrastructures de transport » de mm. jacques mézard et rémy pointereau

Photo de Rémy PointereauRémy Pointereau, rapporteur :

Mes chers collègues, vous savez que le financement de l'entretien des infrastructures de transport existantes et des projets nouveaux est partagé entre l'Etat et les collectivités territoriales, particulièrement les régions. L'objet de notre rapport est d'abord d'établir un bilan de leur rôle respectif, tel qu'il découle des transferts effectués de l'Etat vers ces collectivités, à partir des années 70, puis d'examiner les priorités à retenir pour éviter toute aggravation de la fracture territoriale existante et pour assurer l'égalité des citoyens dans l'accès à des moyens de transport performants, quel que soit le territoire où ils résident. Nous décrirons les différents modes de financement qui pourraient être mobilisés dans cette perspective.

Notre réflexion, à Jacques Mézard et moi-même, a été amorcée par la publication, à la fin du mois d'octobre 2011, d'un projet de schéma national des infrastructures de transport (SNIT), qui avait vocation à être soumis à discussion parlementaire. Les échéances électorales de l'année 2012 n'ont pas permis que le temps nécessaire à son examen soit trouvé dans notre calendrier. Cependant, le projet de SNIT a été soumis au Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui en a publié une synthèse et a formulé un avis, en mars 2012. Cet avis précise que l'élaboration du projet de SNIT « s'inscrit dans les engagements du Grenelle de l'environnement, et qu'il représente un coût important, et n'est donc pas réalisable en totalité dans l'immédiat ». Ce projet, en effet, représentait un coût estimé à 245 milliards d'euros d'investissement à réaliser sur vingt à trente ans, soit 8 milliards d'euros par an. Sur ce total, il était prévu d'affecter 105 milliards à l'optimisation des réseaux existants, et 140 milliards aux projets de développement.

Ce travail de prospective a été jugé utile, mais le Gouvernement issu des élections de mai et juin 2012 a jugé utile d'en revoir les priorités. C'est pourquoi le ministre des Transports, M. Frédéric Cuvillier, a chargé, le 18 octobre 2012, une commission réunissant élus et experts, et présidée par M. Philippe Duron, député du Calvados et président de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), de « trier, hiérarchiser et mettre en perspective les grandes infrastructures de transport ». Sur la base des propositions de cette commission, dite « Mobilité 21 », qui devraient lui être remises d'ici l'été, le ministre proposera un nouveau schéma national de mobilité durable, qui définira les orientations de la politique des transports du Gouvernement à court, moyen et long termes.

Notre axe de réflexion est fondé sur les importants transferts de compétences en matière de transport opérés, depuis les années 70, de l'Etat vers les collectivités territoriales. Celles-ci ont contribué à rénover le réseau, routier et ferroviaire, ainsi transféré, et à le développer. Mais cet effort ne semble pas avoir été accompagné par une égale implication de l'État en matière d'entretien des réseaux existants et de réalisation de nouveaux tronçons. Pour la route, l'Etat s'est concentré sur le maintien en condition de sécurité du réseau structurant et, pour le rail, il a incité SNCF et RFF à développer des réseaux à grande vitesse, dont l'opportunité n'est pas contestée mais qui doivent être complétés par un axe desservant le centre de la France, qui est actuellement un « désert français » de la grande vitesse. Dans le même temps, les « transports du quotidien » se sont dégradés.

Je m'en tiendrai aux questions ferroviaires, et mon collègue Jacques Mézard vous exposera ses propres réflexions sur l'ensemble des problèmes touchant au réseau routier.

Vous trouverez dans le rapport une description des efforts réalisés par les autorités organisatrices de transport (AOT) pour développer l'offre ferroviaire, particulièrement les transports express régionaux (TER).

Dans le même temps, les multiples sollicitations de court terme auxquelles l'Etat - quel que soit le gouvernement en place - a dû répondre l'ont conduit à ne pas assurer tout le financement requis par la maintenance des réseaux de transport, et particulièrement le réseau ferré. Cependant, il faut relever que le rythme de rénovation des lignes est passé, depuis 2006, de 500 à 1 000 km par an.

La dégradation des transports du quotidien est due à l'insuffisance des travaux de rénovation et de modernisation. Mais la responsabilité en est partagée entre l'Etat, la SNCF et RFF, et les régions, qui ont reçu la compétence transport, lors de l'acte II de la décentralisation en 2003.

Parmi les acteurs qui réclament plus de décentralisation, certains assument mal les compétences qu'ils possèdent déjà, notamment en matière d'infrastructures de transport. En effet, en privilégiant certains types de dépenses, comme le social ou la communication, ils se privent des budgets nécessaires à l'entretien et au développement de ces infrastructures.

La SNCF n'a pas non plus toujours fait les efforts requis pour la modernisation de son mode de fonctionnement. Je distinguerai, dans les dépenses, celles qui constituent une bonne dette, car constituées d'investissements d'avenir, et celles, au contraire, qui sont de la mauvaise dette, composées de frais de fonctionnement qu'il faut réduire.

L'effort financier important consenti par l'Etat, avec des investissements de renouvellement progressant de 7,3 milliards d'euros de 2006 à 2012, pèse aujourd'hui sur des finances publiques très contraintes. Cela ne doit pas pour autant conduire à réduire à l'excès les projets d'infrastructures nouvelles, puisqu'il s'agit de dettes « saines », d'investissements d'avenir, créateurs de valeur à moyen et long termes. Nous constatons en effet que le bilan des trente dernières années est très contrasté en matière d'infrastructures de transport, notamment en matière ferroviaire : les grandes voies au départ de Paris ont été considérablement améliorées par le développement des TGV, particulièrement sur l'axe Paris-Marseille, mais certaines zones peu peuplées du territoire, situées pour l'essentiel dans les régions Centre, Auvergne et Limousin ont été délaissées.

Or, le désenclavement de l'espace central français est impératif pour assurer l'égal accès de ses habitants à une desserte ferroviaire rapide. Ceci s'impose d'autant plus que la ligne Paris-Lyon est d'ores et déjà saturée, avec de nombreuses conséquences négatives, comme la saturation de l'accès aux gares d'Ile-de-France et à celles de Lyon. Il est, en effet, à craindre que la ligne grande vitesse Paris-Lyon ne soit plus en mesure de répondre à la demande des déplacements nord-sud à l'horizon 2020-2025, en dépit des solutions avancées pour pallier cette saturation, comme l'augmentation de la capacité des TGV par le recours à des rames en duplex, qui serait juste suffisant pour absorber la croissance des prochaines années. Comme le projet de ligne à grande vitesse Lyon-Turin constitue une priorité pour la France et l'Italie, et pourrait bénéficier de fonds européens, une grande partie des voyageurs venant de toute l'Europe et passant par Paris empruntera la future ligne à grande vitesse Paris-Lyon-Turin, ce qui augmentera encore la saturation de cette ligne.

Pour remédier aux goulets d'étranglement ferroviaires situés en Île-de-France et à Lyon, l'itinéraire Paris-Orléans-Clermont-Ferrand s'impose, et doit être réalisé parallèlement à la ligne grande vitesse Lyon-Turin, ce qui permettra d'ailleurs une meilleure rentabilité de cet axe. Le projet de ligne à grande vitesse Paris-Marseille-Nice-Menton devrait également être considéré comme prioritaire, car il permettrait de concurrencer la ligne aérienne, beaucoup plus émettrice de CO2.

Les financements doivent être partagés entre l'Etat, la SNCF, les collectivités territoriales et les usagers. Il est nécessaire que l'Etat maintienne, à son niveau actuel, sa dotation budgétaire à l'AFITF, soit 2 milliards d'euros par an, sans que l'écotaxe sur les poids lourds s'y substitue. L'Europe doit assurer le financement du réseau transeuropéen de transports, qu'elle a défini. Quant à la SNCF, elle doit revoir les fondamentaux de son fonctionnement. Les collectivités territoriales doivent trouver des moyens financiers supplémentaires, avec notamment le recours aux péages urbains et aux partenariats public-privé, et avec une modulation plus importante de la TIPP.

La prochaine conférence internationale sur le climat, qui doit se tenir à Paris en 2015, devrait être l'occasion d'examiner l'instauration d'une taxe mondiale sur le kérosène, dont l'idée est certes aujourd'hui récusée par certains grands pays émergents, mais qui normaliserait la fiscalité du kérosène, carburant très émetteur de CO2 mais non taxé en conséquence. Le produit de cette taxe pourrait être affecté aux transports peu émetteurs de carbone, comme le rail. S'agissant du réseau ferré français, l'Etat, l'Europe et les régions devraient financer les principaux axes de LGV, les voies d'approche et les gares relevant des départements et des agglomérations.

Voilà, mes chers collègues, les quelques points que je souhaitais souligner pour lancer notre débat.

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