Intervention de Gisèle Printz

Réunion du 27 octobre 2004 à 21h30
Cohésion sociale — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de Gisèle PrintzGisèle Printz :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est dans un environnement économique incertain et un contexte social calamiteux que le Gouvernement présente aujourd'hui un projet de loi qui constitue un virage à 180 degrés et, donc, un aveu d'échec par rapport à la politique sociale menée depuis 2002 par le précédent ministre des affaires sociales, François Fillon.

A l'époque, nous avions dénoncé cette politique de « casse sociale » entreprise par le gouvernement Raffarin : force est de constater que nous avons été entendus par nos concitoyens au regard des résultats que nous avons obtenus aux élections régionales, cantonales et européennes.

Ce projet de loi se veut donc être celui du rachat, de la réconciliation avec l'opinion par la mise en oeuvre pluriannuelle des vingt programmes que vous-même, monsieur Borloo, avez annoncés le 30 juin 2004. Certaines mesures permettent d'avancer dans le sens de la justice sociale, tandis que d'autres sont totalement inacceptables, car elles reprennent les thèses du MEDEF et ouvrent la voie au libéralisme.

Quant au financement de ces mesures, il laisse de nombreux observateurs perplexes. Une enveloppe de 12 milliards d'euros sur cinq ans est annoncée, mais le budget qui pourrait y être consacré en 2005 ne dépasserait pas 1, 146 milliard d'euros. Pour les années suivantes, des dotations de l'Etat sont prévues. En revanche, rien n'est indiqué sur la part à la charge des collectivités locales, notamment des régions, qui sont déjà victimes des gels de crédits d'Etat et des retards d'exécution des contrats de plan en ce qui concerne le financement des actions de formation professionnelle et d'apprentissage.

Des interrogations majeures demeurent. Quel sera le montant de la participation des collectivités locales et de l'Etat dans la mise en place des maisons de l'emploi ? Qu'en sera-t-il pour les contrats aidés du secteur non marchand ? Les réponses à ces questions importantes restent dissimulées.

Mes collègues du groupe socialiste auront l'occasion de revenir sur toutes ces questions, dans la discussion générale et lors de l'examen des amendements que nous avons déposés.

Mon intervention portera sur les mesures se rapportant à l'accès et au retour à l'emploi des jeunes, à l'apprentissage et à la réforme des contrats aidés.

L'insertion professionnelle des jeunes est particulièrement difficile, notamment dans notre pays où leur taux d'emploi est de 26 %, contre 56 % en moyenne dans l'Union européenne. Elle l'est d'autant plus que leur niveau de qualification est bas. Il était donc urgent de réagir. Dans cette optique, monsieur le ministre, vous nous proposez toute une série de mesures. Seront-elles efficaces ?

Il s'agit tout d'abord d'une modification à la marge du contrat jeune en entreprise, qui n'a pas donné les résultats annoncés en matière de création nette d'emplois.

Vous proposez ensuite, monsieur le ministre, une réforme du CIVIS, le contrat d'insertion dans la vie sociale, qui sera adapté aux jeunes sans qualification. L'objectif annoncé est d'accompagner, sur cinq ans, 800 000 jeunes vers l'emploi. Le Gouvernement s'efforce ainsi de rattraper son retard puisque, depuis la fin du programme TRACE - le trajet d'accès à l'emploi - rien n'avait été mis en oeuvre, si ce n'est le CIVIS, qui, dans sa version initiale, n'a connu aucun succès.

Au total, le Gouvernement rétablit un programme pour les jeunes en difficulté en se dégageant au maximum de son financement par le biais des contrats d'objectifs entre partenaires et du CIVIS, qui sera financé par les collectivités.

Monsieur le ministre, vous nous proposez ensuite une réforme de l'apprentissage qui s'inscrit dans le prolongement, d'une part, de la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social et, d'autre part, de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales. Mais les nouvelles mesures prévues sont loin d'être à la hauteur de nos attentes.

Concernant le statut et la rémunération, l'objectif est de valoriser l'apprentissage et de réduire sensiblement le nombre de ruptures de contrats, lequel reste très élevé dans certains secteurs, comme dans l'hôtellerie. Si nombre de ruptures sont liées aux problèmes d'adaptation de certains jeunes, il est cependant clair que des entreprises utilisent au mieux la législation, notamment la période d'essai, pour se doter, lors des périodes de forte activité, d'un personnel à faible coût dont elles se séparent ensuite sans formalité. Or aucune des actions envisagées dans votre texte, monsieur le ministre, ne permettra de mettre fin à ces abus.

Le projet de loi prévoit d'ajouter une quatrième dérogation à la limite d'âge pour l'accès à l'apprentissage, qui est fixée à vingt-cinq ans, « lorsque le contrat d'apprentissage est souscrit par une personne qui a un projet de création ou de reprise d'une entreprise dont la réalisation est subordonnée à l'obtention du diplôme ou titre sanctionnant la formation poursuivie ».

Cette disposition, qui garantit une passerelle vers l'emploi et une formation, est intéressante. Toutefois, le report de la limite d'âge doit rester une exception, car l'apprentissage ne doit pas s'écarter de sa vocation première de formation initiale. Il est vrai que, pour le Gouvernement, la tentation est forte d'occuper des personnes dans n'importe quel emploi. De là à étendre l'apprentissage aux adultes et à créer un effet d'aubaine sans précédent pour les entreprises, il n'y a qu'un pas. Nous veillerons à ce qu'il ne soit pas franchi.

Parmi les mesures réglementaires prévues, l'idée d'une personnalisation du parcours de formation de l'apprenti en fonction de son niveau initial peut être intéressante, sachant toutefois que, en pratique, les dérogations permettant cette individualisation sont déjà largement délivrées par les autorités académiques. Cette personnalisation demande néanmoins une évaluation préalable des compétences du jeune. Ces évaluations seront coûteuses, et il serait souhaitable de savoir qui en aura la charge.

Concernant la modernisation et le développement de l'apprentissage, votre principal objectif, monsieur le ministre, est d'augmenter significativement le nombre des apprentis pour le porter à 500 .000. Or, les deux tiers des employeurs d'apprentis ayant moins de dix salariés, l'apprentissage est incontestablement sous-représenté dans les grandes entreprises. Le but affiché est que le nombre d'apprentis dans les entreprises de plus de cent personnes représente 2 % de leur effectif.

Le Gouvernement souhaiterait faire de cet objectif une obligation réglementaire s'il n'était pas atteint dans les trois ans.

C'est, en réalité, une manière de remettre à plus tard la réponse au véritable problème du financement de l'apprentissage. Celui-ci est organisé sur l'idée totalement inexacte qu'il y a adéquation entre les besoins des CFA, les centres de formation d'apprentis, et les ressources de la taxe d'apprentissage. Or le système de libre affectation de la taxe encourage les entreprises industrielles qui sont redevables d'une taxe importante à verser celle-ci aux CFA industriels, qui ne forment qu'une petite minorité de jeunes et favorisent souvent la formation d'agents déjà qualifiés. Ce système laisse aux régions le soin de financer les CFA ne percevant qu'une faible taxe d'apprentissage, mais formant cependant la grande majorité des apprentis.

Loin d'être la réforme fondamentale et nécessaire que constituerait la fiscalisation de la taxe d'apprentissage et l'abandon du concept de libre affectation, le projet de loi ne constitue qu'un nouveau bricolage complexifiant encore le jeu des différents acteurs.

Ainsi, les entreprises embauchant des apprentis bénéficieront d'un crédit d'impôt de 1 600 euros par apprenti, montant qui sera porté à 2 200 euros pour un jeune sans qualification.

Parallèlement, le Gouvernement a inscrit dans le projet de loi de finances pour 2005 une augmentation de 0, 06 point de la taxe d'apprentissage, sous la forme d'une contribution spécifique au développement de l'apprentissage au profit des régions. Cela viendra progressivement remplacer la dotation de décentralisation apprentissage. Le taux global de la taxe d'apprentissage passera donc, en 2005, de 0, 50 % à 0, 56 % de la masse salariale brute. La hausse se poursuivra avec une augmentation de 0, 12 % en 2006 et de 0, 18 % en 2007, cette taxe atteignant finalement un taux de 0, 68 % de la masse salariale brute. Il est donc prévu, non pas l'affectation de crédits supplémentaires affectés aux régions par l'Etat, mais l'instauration d'un système qui, si les prévisions de croissance d'effectifs ne sont pas atteintes, entraînerait une réduction de la dotation versée par l'Etat aux régions au titre de l'apprentissage.

On peut donc se demander si ce système de vases communicants sera décisif pour décider les entreprises à augmenter de manière significative leur nombre d'apprentis. Ce sera en tout cas l'occasion, pour l'Etat, de faire disparaître la dotation de décentralisation apprentissage.

Toutefois, si les entreprises se laissent convaincre, la multiplication du nombre d'apprentis risque, alors que les moyens pour le suivi et l'évaluation des maîtres d'apprentissage n'ont pas été prévus, d'avoir un effet pervers, à savoir l'exploitation des jeunes dans des emplois sous-payés, sans contrôle. De même, la capacité des CFA ne semble pas suffisante pour accueillir autant de jeunes. Il manque donc, dans votre projet de loi, monsieur le ministre, la programmation des moyens nécessaires à la réalisation de vos objectifs.

Enfin, le fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage, institué en vue de constituer un retour de l'Etat dans le financement de l'apprentissage, pourra également être un moyen, pour lui, de réduire les sommes affectées à la péréquation nationale de la taxe. Rien ne garantit dans les textes que les 10 % demeureront affectés. Ainsi, les régions qui choisiraient de ne pas s'engager dans des conventions avec les branches professionnelles et l'Etat s'exposeraient à voir leurs moyens financiers réduits.

J'en arrive à la réforme des contrats aidés. Monsieur le ministre, vous nous proposez de supprimer les articles relatifs aux SIFE, SAE, CIE et CES. S'agissant des SIFE et des SAE, il me semble important de préciser que ceux-ci étaient au nombre de 135 000 sous le gouvernement Jospin, avec une dotation budgétaire pour 2002 de 374 millions d'euros. L'essentiel de ce programme était consacré aux personnes en grande difficulté, comprenant une majorité d'allocataires du RMI et de l'ASS. En 2004, la dotation n'était plus que de 215 millions d'euros pour un nombre d'entrées prévu de 65 000. L'objectif est donc, depuis 2002, de supprimer cette formule et de la remplacer par le CIRMA. Ce nouveau dispositif est supposé permettre une utilisation immédiate par les employeurs des chômeurs de longue durée, sans aucune formation préalable.

C'est précisément cette absence de formation qui a justifié l'échec du RMA. On en compte que 1 500 dans toute la France. Les entreprises ont besoin de personnels immédiatement employables, la remise à niveau est donc indispensable. Même si le RMA devrait sortir un peu amélioré de ce texte, avec des cotisations retraite et chômage pour les bénéficiaires, il n'en demeure pas moins que ce dispositif aura des difficultés à fonctionner.

L'article relatif aux contrats emploi consolidé est non pas abrogé, mais remanié et sert de base au nouveau contrat d'accompagnement dans l'emploi, réservé au secteur non marchand. Il concerne les chômeurs qui rencontrent des difficultés sociales et professionnelles particulières d'accès à l'emploi. Cette définition des bénéficiaires est très large. Il n'y a, notamment, plus aucune mention d'une durée minimale de chômage, d'âge, ou de handicap.

Pour les allocataires de minima sociaux, il est prévu de créer un contrat d'avenir, qui remplace l'expression « contrat d'activité », dénoncée par le Conseil d'Etat pour sa connotation occupationnelle. Ce contrat est le pendant du CIRMA, qui est resserré sur le secteur marchand. Malgré l'usage du mot « contrat », les bénéficiaires du contrat d'avenir sont considérés non pas comme des salariés, mais comme des personnes en insertion. L'organisation de ce dispositif est confuse. Elle est partagée entre le maire de la commune de résidence de l'allocataire et le président du conseil général. Le maire, qui est à la fois l'employeur et celui qui doit mettre en oeuvre la convention réglant le contrat d'avenir, n'aura-t-il à conclure et à signer qu'avec lui-même ?

Un accompagnement dans l'emploi doit être mentionné dans cette convention, mais les actions de valorisation des acquis de l'expérience et les actions de formation sont facultatives, puisque la mention « en tant que de besoin » est utilisée. Celle-ci est singulièrement inappropriée car les personnes concernées ont forcément besoin d'une formation. Ion relève aussi, monsieur le ministre, une contradiction avec les annonces de votre plan en juin dernier, qui promettait une formation obligatoire pour tous les allocataires depuis six mois du RMI et de l'ASS.

De plus, les actions de formation et d'accompagnement « peuvent être menées pendant le temps de travail et en dehors de celui-ci ». Cela pose le problème de la rémunération des bénéficiaires du contrat. On peut se demander si une formation hors temps de travail non rémunérée sera motivante et réalisable, ou si l'on ne risque pas là d'obliger les personnes à recourir à des petits boulots de complément au noir.

En outre, nous déplorons la dégressivité de l'aide de l'Etat car elle comporte plusieurs risques : un effet d'aubaine pour certains employeurs qui se limiteront à l'embauche pour la première année, un risque de rupture dans le parcours des personnes et, surtout, un frein important au recrutement pour les associations, qui disposent souvent de faibles capacités financières.

Ces dernières nous ont d'ailleurs fait part de leurs craintes concernant notamment les chantiers d'insertion. L'équilibre financier de ces actions reste fragile et repose pour l'essentiel sur les financements publics qui prennent en charge la rémunération des personnels en insertion à travers les CES et l'encadrement technique au travers de subventions. Elles craignent que cet équilibre précaire ne soit bouleversé par les nouvelles dispositions.

Le financement des nouveaux contrats tel qu'il est annoncé aurait pour conséquence une diminution importante de la prise en charge par les pouvoirs publics de la rémunération des personnes en insertion. Cela se traduirait, selon leurs estimations, par la nécessité, pour chaque chantier d'insertion prenant en charge environ 15 personnes, de trouver un financement complémentaire oscillant entre 20 000 et 50 000 euros, ce qui paraît irréalisable.

La mise en place opérationnelle sur le terrain est aussi un sujet d'inquiétude du fait de la multiplication des instances de décision, de paiement et d'évaluation : communes, communautés de communes, territoires, pays, départements, régions, administrations déconcentrées de l'Etat, Europe... Monsieur le ministre, que pouvez-vous répondre aux associations, acteurs privilégiés de la lutte contre l'exclusion, pour apaiser leurs craintes ?

Pour conclure, les mesures annoncées en juin 2004 partaient d'un bon sentiment ; au final, ce n'est plus le cas. De nombreux points restent obscurs et flous, dans la mise en place des actions et, surtout, dans leur financement. Nous déplorons le renvoi massif à des décrets d'application.

Votre projet de loi fait la part belle aux employeurs, mais les demandeurs d'emploi, les chômeurs et les exclus sont stigmatisés. Où est la cohésion sociale ? Le mot « cohésion » signifie « propriété d'un ensemble dont toutes les parties sont intimement et logiquement liées ». Ici, ce n'est pas le cas. Aussi, nous ne pourrons voter votre texte.

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