Intervention de Thierry Repentin

Réunion du 27 octobre 2004 à 21h30
Cohésion sociale — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de Thierry RepentinThierry Repentin :

La route, ce sont les quelques objectifs quantifiés, mis en exergue dans le projet de loi pour que l'on en retienne les chiffres essentiels : 500 000 logements sociaux d'ici à 2009, 100 000 places d'hébergement d'urgence et d'insertion à la même échéance, 100 000 logements à loyers maîtrisés dans le parc privé durant la même période.

La pente, c'est celle que vous devez gravir, monsieur le ministre, pour crédibiliser la volonté du Gouvernement d'agir sur ces trois segments de la chaîne du logement.

Pourquoi cette méfiance, me direz-vous ? Elle tient tout simplement aux décisions qui ont été prises sur ces trois segments, durant ces deux dernières années, et qui prennent l'exact contre-pied du texte que nous allons examiner.

Premièrement, en matière de logement d'urgence et d'insertion, des instructions ont été données aux préfets pour contingenter les aides au logement temporaire dont bénéficient les associations logeant à titre temporaire des personnes défavorisées.

Dans le projet de loi de finances pour 2005 est proposée la suppression des crédits de l'aide à la médiation locative versée aux organismes agréés et leur transfert aux départements. Les fonds de solidarité pour le logement, les FSL, ont également été transférés aux départements, dont la mission a d'ailleurs été étendue au financement des impayés des factures d'eau, de téléphone et d'électricité, sans pour autant qu'on ait donné plus de moyens aux conseils généraux qui, soit dit en passant, apprécient désormais librement les conditions d'attribution de ces fonds, des conditions différentes d'un département à l'autre.

Pour clôturer le tout, le contingent préfectoral qui permet de loger les personnes les plus fragilisées a été délégué au maire, sans obligation de résultat, et sans que le préfet soit obligé de se substituer au maire si les objectifs fixés en matière de logement des personnes défavorisées ne sont pas respectés.

Si l'on veut commencer à débattre du droit au logement opposable, il faut en parler.

Deuxièmement, s'agissant des moyens alloués au logement social et à leurs occupants, le constat est assez simple : diminution de l'effort budgétaire de l'Etat à travers les lois de finances - moins 7 % en 2004 auxquels il convient d'ajouter une régulation budgétaire de 150 millions d'euros opérée en avril dernier -, transfert de l'effort au détriment des collectivités locales à travers la délégation conventionnelle permise par la loi du 13 août 2004.

Cette délégation conventionnelle renvoie au principe d'annuité budgétaire s'agissant de la participation de l'Etat, alors que les départements et les établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, vont, de leur côté, prendre des engagements sur six ans. Je le dis avec d'autant plus d'amertume que j'ai été moi-même l'un de ceux qui, au sein de l'ADCF, l'Assemblée des communautés de France, se sont beaucoup battus pour que la délégation conventionnelle soit offerte aux EPCI.

Par ailleurs, on note également la non-revalorisation des aides au logement pour les six millions de ménages locataires, dans le parc public comme dans le parc privé.

Pour ce qui concerne le deuxième maillon essentiel de la chaîne du logement, à la lumière des « acquis » de votre gouvernement, monsieur le ministre, comment espérer un renversement complet de la logique d'intervention ?

Les opérateurs d'HLM envers qui l'Etat est aujourd'hui débiteur faute de crédits de paiement - 110 millions à Paris, de 450 millions à 600 millions suivant les sources pour l'ensemble de notre pays - et les ménages locataires dont le taux d'effort en matière de logement ne cesse d'augmenter peuvent-ils aujourd'hui attendre ce changement de politique ?

Troisièmement, qu'en est-il de la mobilisation du parc privé ?

Je dois admettre, au cours de ces dernières années, une certaine réussite qui profite essentiellement aux investisseurs. Partout, il est fait état de l'envolée des prix. De fait, ils explosent : plus 48 %, en trois ans, sur l'ensemble de la France ; le foncier devient un bien qui n'a plus de prix de référence. Il suffit d'ailleurs de lire le rapport de M. Braye : il cite des exemples très précis, notamment celui de la ville de Strasbourg qui a connu, en trois ans, une augmentation de plus de 60 % du prix du foncier.

Aujourd'hui, lorsque l'on a de l'argent, on n'achète plus un appartement, on n'investit plus dans la pierre, on déniche en réalité, avec la loi de Robien, une opportunité pour payer moins d'impôts.

Dans le même temps, les élus locaux sont, vous le savez, désemparés : ils se demandent comment ils pourront, demain, accueillir des personnes sans être ségrégatifs.

A l'inverse, pour le logement conventionné, le budget de l'ANAH, l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, s'est allégé de 100 millions d'euros, restreignant par là même ses capacités d'intervention et de création de logements accessibles, dans le parc privé, au plus grand nombre de nos concitoyens.

La pente est donc raide pour redonner confiance, à l'aune de ce bilan que nous ne revendiquons pas, monsieur le ministre, mais aussi à l'aube du projet de loi que vous avez la charge de défendre. Nous souhaitons apporter nos contributions pour donner des outils, pour répondre aux questions de « fond » et de « fonds » qui se posent, et pour tenter de satisfaire certaines ambitions que vous avez esquissées, tant il nous semble que la question du logement doit être reconnue comme une grande cause nationale.

Concernant l'architecture du titre II, nous apprécierons, dans votre réponse, monsieur le ministre, votre souci de clarification pour que la représentation nationale puisse bien mesurer, s'agissant de votre objectif de créer 100 000 places d'hébergement d'urgence et d'insertion, ce qui se décompose entre effort budgétaire nouveau, redéploiements de crédits et appel à la solidarité locale, ou devrais-je dire, territoriale.

Nous serons également attentifs au sort que vous réserverez aux amendements que nous avons déposés pour réintroduire dans les dispositifs locaux - je pense que le président de l'ANRU sera content ! - l'Etat comme garant de la solidarité et de l'application de la loi.

La solidarité n'est malheureusement pas une donnée génétique, pas plus qu'elle n'est une vertu spontanée adossée au suffrage universel, et il est de la responsabilité de l'Etat de s'assurer que notre République est unique en la matière, et non pas divisée en autant de territoires qui la composent. Le partenariat privilégié avec les collectivités territoriales et le rappel républicain à un traitement égalitaire des populations sont indissociables. Sans doute ne vous surprendrai-je pas, mesdames, messieurs les ministres, en vous disant que le refus affiché d'assumer certaines responsabilités à l'égard de populations fragilisées peut constituer localement un viatique électoral.

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