Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, pendant les cinq années de la législature précédente, la droite n'a jamais cessé de dénoncer ce qu'elle appelait alors dédaigneusement « le traitement social du chômage ». Elle n'a eu de cesse de fustiger ces dépenses qu'il convenait, d'après elle, au lieu de les affecter à des emplois jugés inutiles, d'injecter dans des entreprises qui n'auraient été empêchées d'embaucher que par une fiscalité écrasante. C'était simple et sans appel !
Dès leur arrivée au pouvoir, monsieur le ministre, vos prédécesseurs ont donc méthodiquement brisé les dispositifs installés par la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions de 1998, en particulier ceux qui concernaient les jeunes. Ils ont réduit les crédits affectés aux contrats emploi-solidarité, aux contrats emplois consolidés ou à la formation des chômeurs de longue durée. Ils ont fait disparaître le secrétariat d'Etat à l'économie solidaire, coupé les vivres à des centaines d'associations de solidarité, durci les conditions d'accès au logement pour les plus démunis, limité la possibilité pour certaines catégories d'étrangers de se soigner. Ils ont dilué les frontières entre contrats de longue et de courte durée, exposant de plus en plus de salariés à la précarité.
Puis, alors que les dégâts étaient faits, alors qu'il devenait clair qu'une absurde politique économique à contre-cycle, privilégiant la baisse des impôts pour les catégories les plus aisées, avait asphyxié une conjoncture déjà morose, le discours a changé : plus les chiffres de l'emploi se dégradaient, plus les dimanches noirs électoraux se succédaient, plus on a commencé à entendre une musique un peu différente.
Vous voilà aujourd'hui le chef d'orchestre de cette nouvelle partition, en train d'essayer de redonner une couleur sociale à une politique économique catastrophique, en train de tenter de faire contrepoint aux orientations de plus en plus outrageusement libérales de l'actuel ministre de l'économie, futur chef de votre majorité.
Vous voilà en train de défendre devant nous, dans l'urgence aujourd'hui, alors que vous avez traîné hier, des mesures dont certaines, sur le papier au moins, présentent d'étranges ressemblances avec celles que vos collègues jetaient aux orties ici même il y a quelques mois à peine.
Monsieur le ministre, la progression du chômage et l'inquiétante remontée de la très grande pauvreté en France, soulignées par à peu près tous les indicateurs dont nous disposons, auraient pu inciter la représentation nationale à un débat serein et presque consensuel sur ces sujets.
L'opposition aurait même pu vous soutenir dans la bataille incertaine que vous avez menée, et finalement perdue, auprès du Premier ministre, pour obtenir la garantie de vos crédits sous forme d'un fonds affecté, pour toute la durée de votre loi de programmation.
Or il se trouve que, au lieu de défendre un beau projet de loi à fort caractère interministériel, mobilisant tout le Gouvernement, comme le nécessiterait en effet la dégradation de la situation, vous venez nous proposer des solutions qui ont toutes les apparences du bricolage, sans cohérence avec les politiques de vos collègues, sans même un lien les unes avec les autres et dont certaines, vous le dites vous-même, n'ont de sens que par rapport à celles qui vont peut-être arriver.
Vous nous proposez dans la pratique un texte fragmenté, des financements incertains et, plus grave encore, des mesures qui fragilisent d'emblée les principaux acteurs chargés de les mettre en oeuvre.
Un texte fragmenté, d'abord. Nous savons tous ici qu'une politique de lutte contre l'exclusion, pour sortir les personnes des spirales infernales des accidents de la vie, n'a de sens que si elle emprunte deux directions : d'un côté, il faut des mesures destinées à faire en sorte que toute l'économie soit prête à les accueillir, pour faire émerger de nouvelles activités pérennes ; de l'autre, il faut des dispositions pour cumuler les enchaînements positifs d'insertion, pour attaquer les problèmes dans toutes leurs dimensions à la fois.
J'observe que votre texte ne dit pourtant rien sur le sujet si important des nouveaux gisements d'emplois, qu'il s'agisse d'environnement, de services aux personnes ou de transport public. Rien, alors que vous vous aventurez d'étrange façon sur les terres de votre collègue de l'éducation nationale dans la troisième partie de votre projet, sur les questions essentielles de la formation ou de la santé, renvoyées, elles, à d'autres échéances, à d'autres textes.
Des financements incertains, ensuite. Les colonnes de chiffres que vous alignez sont étonnantes, soit par leur imprécision, soit, au contraire, par leur impeccable symétrie en fausse fenêtre, comme si leur propos n'était que de paraître, de frapper les esprits.
Quand on connaît la difficulté qu'ont eue vos services à trouver un toit, en près d'un an, à une petite moitié des 500 familles que vous vous étiez engagé à reloger auprès de l'association Droit au logement ; quand on voit la différence entre les prévisions et la réalité, pour le revenu minimum d'activité ou le contrat d'insertion dans la vie sociale, entre les promesses et la réalité pour la destruction-reconstruction de logements dans les quartiers en rénovation, on ne peut qu'être sceptique.
Nous savons tous que le flou des montants, en ce qui concerne l'aide de l'Etat à tel ou tel dispositif de votre plan, et l'absence de toute précision concernant la répartition des charges entre l'Etat et les collectivités locales dissimulent mal le fait que, année après année, budget après budget, vous ou vos successeurs allez devoir remonter au créneau pour défendre votre plan contre les rapaces qui traquent les dépenses sociales, ces dernières ayant été, de façon presque systématique depuis deux ans, les premières variables d'ajustement.
Des mesures qui fragilisent d'emblée les acteurs principaux chargées de les mettre en oeuvre, enfin. Là où une cohérence des politiques publiques serait nécessaire à l'échelle du territoire, là où il faudrait un chef de file clairement identifié et respecté, votre projet de loi instaure une multiplicité de décideurs, voire, plus fâcheux encore, une concurrence entre des opérateurs appelés par ailleurs à coopérer entre eux.
C'est vrai en matière de logement, où la suppression du contingent préfectoral, le refus d'introduire un droit au logement opposable, la priorité accordée de fait aux logements intermédiaires vont contribuer à entretenir une situation dans laquelle les maires se défaussent les uns sur les autres de la responsabilité de construire des logements pour les plus défavorisés.
C'est vrai en matière d'apprentissage, où les fonds de l'alternance vont être sérieusement mis à mal par les dispositions nouvelles de votre projet de loi.