Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 4 juin 2013 à 14h30
Modernisation de l'action publique territoriale et affirmation des métropoles — Article 31

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Qu’il existe un fait urbain, tout le monde en est d’accord. Mais quand il s’agit de savoir ce que signifie « fait urbain » et quelles conséquences en tirer, les choses commencent à se gâter…

En un sens, aujourd’hui, nous sommes tous des urbains, à des degrés divers : de par notre vision du monde, façonnée par les médias, et surtout de par nos besoins.

Plutôt que d’« urbanisation » au sens absolu, nous devrions parler de « gradients d’urbanité », comme disent certains géographes, en fonction de la densité démographique et de l’activité sociale et économique des secteurs.

Si nous retenions cette acception du « fait urbain », l’objet du projet de loi serait alors de permettre à chacun, où qu’il soit, d’accéder au mode de vie, aux aménités et aux services sans lesquels il n’est pas d’urbanité.

Cela aurait supposé de penser notre organisation territoriale en termes de réseaux plutôt qu’en termes d’isolats concentrant plus ou moins de compétences, de pouvoir et de richesse selon leur densité.

Telle est, par exemple, toutes choses inégales par ailleurs, l’organisation de l’Émilie-Romagne, l’une des régions les plus dynamiques d’Italie, dont l’appareil de production est fragmenté en petites zones urbaines maintenant un lien fort entre ville et campagne.

La cité la plus importante de cette région, Bologne, assume des fonctions éminentes, sans toutefois exercer d’hégémonie sur le réseau de villes moyennes et des unités du district industriel.

Ce n’est pas le point de vue adopté pour ce projet de loi, qui ne dit rien ou presque des réseaux, de leur organisation et de leur gouvernance, à la recherche qu’il est de la circonscription censée pouvoir résoudre l’ensemble des problèmes sur un territoire continu.

Le terme « urbain » signifie parfois « l’hyperurbain » – je pense que c’est le cas de Lyon –, parfois encore un ensemble de communes très différentes, de la dimension d’un département – c’est le cas de Marseille –, voire d’une région - c’est le cas de la métropole parisienne. Dans cette acception-là, « urbain » devient un concept flottant.

Cette manière de penser le développement territorial ne me semble pas vraiment compatible avec une politique d’égalité des territoires, objectif poursuivi, ai-je cru comprendre, par le Gouvernement.

D’abord, parce qu’il n’est pas certain, contrairement à ce qui se dit – je pense au dernier ouvrage de Laurent Davezies et aux échanges qui ont eu lieu ici – que ce soient les territoires dynamiques qui financent le bien-être des territoires qui ne le sont pas. En fait, nous ne disposons d’aucune étude récente retraçant les flux financiers et humains complexes qui s’opèrent entre eux.

Celles dont nous disposons, qui datent de la fin des années quatre-vingt-dix, montrent plutôt le contraire : non seulement la concentration urbaine a un coût, mais c’est surtout là, tout particulièrement en Île-de-France, que les financements de l’État vont prioritairement. Certes, les territoires adjacents bénéficient des retombées, mais il s’agit seulement de retombées.

N’en déplaise à ceux qui se satisfont du discours ambiant, les trois-quarts des emplois dépendent non de la compétitivité internationale des entreprises, mais de la dynamique économique endogène, autant dire des débouchés locaux, que l’on a bien tort de négliger. Il s’agit donc de conforter la dynamique économique, non seulement des ensembles urbains les plus riches, mais de l’ensemble du territoire.

Quoi qu’il en soit, le transfert de compétences aux métropoles privera les départements et les régions d’une part essentielle de leur pouvoir unificateur et péréquateur sur leur territoire.

Pour prendre un exemple que je connais bien, si la communauté d’agglomération Toulon-Provence-Méditerranée devient une métropole, plus de la moitié des moyens humains et financiers de mon département - le Var -, pourraient lui être transférés. On mesure ce qui restera de la capacité d’intervention du département, voire de sa liberté politique, avec le changement de mode de scrutin.

S’il est donc cohérent d’envisager une forme d’intercommunalité particulièrement intégrée pour les communes très urbanisées, la création d’une entité nouvelle disposant à la fois des compétences communales et départementales – c’est actuellement le cas de Paris -, par scission d’un département - c’est l’exemple de Lyon que nous venons de voter -, la multiplication d’intercommunalités puissantes, disposant d’une partie des compétences des départements et des régions, aura des effets ravageurs sur leurs départements et leurs régions de naissance.

Une telle politique de développement séparée, si elle ne s’accompagne pas d’une vigoureuse péréquation et d’une mise en réseau, risque d’aggraver encore les inégalités territoriales devenues « fissures » et le sentiment d’abandon qui va avec, sentiment qui se traduit de plus en plus dans les votes.

Le processus de métropolisation de fait engagé depuis une trentaine d’années a eu, en effet, un double résultat. Tout d’abord, il a abouti à la création, d’une part, de villes sans peuple, par appropriation des classes moyennes du bâti ancien où elles résidaient – centres villes et banlieues proches – et, d’autre part, de métropoles concentrant à la fois les élites sociales et, dans des îlots sensibles, les populations les plus en difficultés qui fuient dès qu’elles le peuvent.

Ensuite, il entraîne le refoulement de l’essentiel des classes populaires dans le halo urbain extérieur.

Le renforcement de cette tendance, ce que prévoit le projet de loi, apportera-t-il une réponse aux problèmes des unités urbaines denses, et plus encore, de leur halo périphérique ? Vous me permettrez d’en douter !

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