Intervention de Philippe Goujon

Réunion du 27 octobre 2004 à 21h30
Cohésion sociale — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de Philippe GoujonPhilippe Goujon :

Mais oui !

Malgré les engagements de son maire, il est de plus en plus difficile de se loger à Paris. Jamais le nombre de mal-logés n'y a été aussi élevé. Le nombre de foyers parisiens inscrits au fichier des demandeurs de logements sociaux est passé de 93 000 à la fin de l'année 2000 à 103 000 à la fin du mois de juin dernier.

Jusqu'en 2001, chaque année, 2 500 familles étaient logées dans des logements neufs. Aujourd'hui, seulement 1 500 familles parisiennes voient leur situation locative réglée, soit 1 000 de moins que voilà trois ans, 4 000 de moins qu'il y a dix ans. On est ainsi revenu au nombre de logements construits avant que l'abbé Pierre ne lance son fameux appel !

La politique de mobilisation des logements privés vacants a échoué, le montant des loyers imposés par la ville étant beaucoup trop faible et le secteur privé ne construisant presque plus. J'en veux pour preuve deux chiffres : en 2002, les promoteurs privés ont construit 640 logements à Paris alors que, en 2003, ils en ont bâti 265.

De surcroît, les prix de l'immobilier ont augmenté de 35 % en trois ans pour atteindre un niveau inégalé. Quant aux loyers, le prix moyen du mètre carré était de 14 euros en 2001 ; il atteint aujourd'hui 20 euros.

Les familles, les jeunes et les commerçants quittent Paris pour les communes de la première et de la seconde couronne.

Pour les classes moyennes, la Ville de Paris n'a financé que 25 logements PLI, depuis le mois de mars 2001.

Si l'on se tourne vers le conseil régional, l'Ile-de-France, avec 3 logements construits pour 1 000 habitants, enregistre la plus mauvaise performance de toutes les régions françaises. Ainsi, 2003 a été l'année de la plus faible production depuis cinquante ans, moitié moins que de 1986 à 1989.

Alors oui, mesdames, messieurs les ministres, les efforts consentis par le Gouvernement en faveur de la cohésion sociale sont indispensables pour notre pays, pour notre région, pour notre ville.

En dehors du logement que je viens d'évoquer, permettez-moi d'insister sur deux attentes très fortes des Parisiens qui concernent l'emploi et l'égalité des chances.

Nous le savons tous : de trop nombreux jeunes âgés de 16 à 24 ans ne disposent d'aucune qualification et rencontrent des difficultés particulières d'accès à l'emploi. A Paris, le chômage des jeunes est encore plus élevé qu'ailleurs. Leur situation nécessite un accompagnement renforcé et personnalisé ; c'est tout le sens des mesures qui seront mises en oeuvre afin de mobiliser tous les acteurs de l'éducation et de l'insertion.

A cet égard, je présenterai un amendement à l'article 1er afin d'intégrer dans le premier cercle du service de l'emploi le réseau des missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes.

Il apparaît également souhaitable que l'organisation du droit à l'accompagnement personnalisé auprès des jeunes sans emploi relève de la compétence de l'Etat, les missions locales étant restées sous sa compétence et le CIVIS lui étant transféré. Tel est le sens de mon deuxième amendement qu'approuveront, je l'espère, Mme et MM. les rapporteurs dont je tiens à saluer la qualité du travail.

Dans le même esprit, monsieur le ministre, votre projet de loi engage la modernisation et le renforcement de l'apprentissage auquel onze articles sont consacrés. Le potentiel de développement de cette filière professionnelle est très important puisque près de 500 000 chefs d'entreprise, en particulier de très petites entreprises, partiront en retraite dans les quinze ans à venir. Leur remplacement représente un débouché sérieux pour les apprentis.

Ajoutons que l'apprentissage peut encore être orienté vers des métiers attractifs et innovants.

D'une part, il est indispensable de tenir compte des aspirations des jeunes et, d'autre part, de nouvelles activités requièrent des formations adaptées. Par exemple, le spectacle, les services haut de gamme, les métiers de la sécurité, du tourisme et de la culture sont largement présents à Paris et les besoins en main-d'oeuvre dans ces secteurs sont réels. Dès lors, on a du mal à comprendre pourquoi le conseil régional d'Ile-de-France ne soutient pas la création d'un CFA formant des techniciens du spectacle et de l'audiovisuel ou d'un CFA consacré aux métiers de la sécurité. Mais c'est, là encore, une question de volonté politique.

Alors que la région aurait dû se fixer un objectif de formation de 100 000 apprentis, en six ans, leur nombre n'est passé que de 58 000 à 65 000.

Les évaluations disponibles convergent toutes pour souligner que les investissements publics pour l'amélioration des conditions de développement des jeunes, et des jeunes les plus démunis, sont non seulement justes mais parmi les plus rentables qui puissent se concevoir.

Evoluer vers une société plus fluide suppose l'instauration de passerelles plus nombreuses et des aller-retour plus fréquents entre formation initiale et marché du travail, formation générale et formation professionnelle.

Une autre attente que suscite ce projet de loi concerne l'égalité des chances. Contrairement à bien des idées reçues, et je crois l'avoir démontré, Paris n'est donc pas seulement la ville de riches souvent décrite. Elle accueille aussi une population pauvre, nombreuse et, facteur aggravant, concentrée dans le nord-est. C'est ainsi que 40 % des populations concernées résident dans les XVIIIe, XIXe et XXe arrondissements qui, entre autres, relèvent de la politique de la ville.

Que la région-capitale contribue au développement du territoire national, cela va de soi et ne choque personne, bien au contraire. L'Ile-de-France transfère 25 milliards d'euros vers les autres régions au titre des impôts et des prélèvements sociaux.

Mais si, jadis, la capitale était supposée capter les énergies et les richesses du pays, il existe aujourd'hui un déséquilibre en sens inverse : l'Ile-de-France produit 29 % du PIB et ne bénéficie que de 22 % des redistributions. En son sein, Paris fait figure de parent pauvre.

Dans ces conditions, et dans l'intérêt bien compris de notre pays, il est temps de s'interroger sur les dispositifs qui suscitent la fuite des emplois de Paris. Il faut pouvoir au contraire y réintroduire des activités de services, y attirer les sièges de filiales européennes de multinationales et leurs cadres étrangers. Il en va de l'intérêt national tant nous ne saurions, demain, tirer un quelconque bénéfice d'un « désert parisien » qui prendrait la place du « désert français » que l'on décrivait hier.

Permettre aux plus faibles d'engager le processus de reconstruction de soi et redonner à Paris sa motricité au bénéfice du pays tout entier sont, à l'évidence, des objectifs complémentaires.

Le plan d'envergure que vous nous proposez, monsieur le ministre, repose sur une démarche inédite qui consiste à agir simultanément sur tous les leviers pour restaurer la cohésion sociale, à rebours de l'approche cloisonnée et morcelée qui a longtemps prévalu, à rebours des discours illusoires sur une République d'autant plus idéalisée qu'elle est imaginaire dans les faits et où n'a pu être évité le développement d'une société de castes, où le vrai communautarisme est social.

Puisse ce plan nous faire prendre acte du profond déchirement intérieur de notre société et assurer la mise en oeuvre des principes politiques et des moyens qui permettront de la rassurer et de la recoudre.

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