Intervention de Robert del Picchia

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 4 juin 2013 : 1ère réunion
Accord entre la france la communauté européenne de l'énergie atomique et l'agence internationale de l'énergie atomique relatif à l'application de garanties en france — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Robert del PicchiaRobert del Picchia, rapporteur :

Si la volonté politique donne naissance au droit, c'est son contrôle et son action - et sa sanction - qui le nourrissent. Le projet de loi portant application du protocole additionnel à l'accord entre la France, la Communauté européenne de l'énergie atomique (CEEA) et l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), dont nous sommes saisis, renforce notre engagement international pour lutter contre le développement de programmes nucléaires clandestins : Corée du Nord, Iran, et les autres... C'est un sujet d'actualité !

Je vais vous présenter mes observations en trois points : tout d'abord, l'apport du protocole, puis celui du projet de loi et enfin seize amendements sur le texte.

Le protocole complète le mécanisme de garanties international prévu par l'accord avec la CEEA et l'AIEA et mis en oeuvre dans le cadre du traité de non-prolifération (TNP) de 1968. Ces garanties visent d'abord les États non dotés de l'arme nucléaire (ENDAN) afin qu'ils ne détournent pas de leur usage pacifique les matières ou les équipements nucléaires. La France, qui figure parmi les cinq États officiellement dotés de l'arme nucléaire, a volontairement signé cet accord pour participer à la démarche internationale de non-prolifération. Elle a ensuite signé en 1998 avec l'AIEA un protocole additionnel à l'accord, qui a été ratifié en 2003, et qui permet de détecter de manière plus efficace d'éventuelles activités nucléaires militaires clandestines menées dans un ENDAN : il impose la transmission à l'AIEA de renseignements supplémentaires sur les activités menées avec les ENDAN et non uniquement des informations sur la comptabilisation des matières nucléaires, comme prévu par l'accord de garanties. Le mécanisme déclaratif des matières nucléaires par les États a, en effet, atteint ses limites, et s'est révélé insuffisant pour détecter certains programmes militaires clandestins, comme celui de la Corée du Nord. Il importe de pouvoir croiser les informations provenant de différentes sources - dont la France - avec les renseignements fournis parallèlement par les ENDAN, pour vérifier la sincérité des déclarations faites par ces États mais aussi pour identifier la nature des technologies qu'ils cherchent à acquérir - pensons par exemple à l'Iran - ainsi que leur niveau de maturité. Pour cela, les déclarations ne doivent pas être limitées aux matières nucléaires.

Le protocole impose donc, d'une part, de transmettre des informations à l'AIEA sur les activités menées en relation avec un ENDAN lorsque celles-ci interviennent en appui du cycle du combustible. Ce cycle comprend la transformation des matières nucléaires, la fabrication du combustible et le traitement des déchets, mais aussi les activités de fabrication et d'exploitation liée aux réacteurs. Le champ des opérations visées concerne les activités de recherche et développement, publiques comme privées, liées au cycle du combustible, les activités de fabrication de certains équipements et matières non nucléaires, et les importations et exportations de certains déchets ou équipements, lorsqu'elles sont réalisées en dehors de la Communauté, depuis ou vers un ENDAN. Le protocole impose, d'autre part, d'accorder un droit d'accès dit « complémentaire» aux inspecteurs de l'AIEA. Ce droit, prévu par le protocole, s'exerce dans le cadre des vérifications. Il est complémentaire car il s'ajoute, en effet, au droit d'inspecter inscrit dans l'accord de garanties. Les obligations inscrites dans le Protocole couvrent donc un champ d'application plus large que celui de l'accord de garanties : par exemple, les minerais, en amont du cycle du combustible et les déchets, en aval, sont concernés par sa mise en oeuvre. La démarche qu'il promeut est beaucoup plus dynamique et qualitative que celle de l'accord de garanties. Il s'agit de donner à l'AIEA une vision d'ensemble du cycle du combustible nucléaire, afin qu'elle ait connaissance non seulement de la détention par un ENDAN de matières nucléaires brutes, mais aussi de la production et de la transformation de ces matières pour des applications nucléaires et non nucléaires, à différents stades du cycle.

J'en viens à mon second point, l'apport du projet de loi.

Le Protocole est entré en vigueur en 2004. La France fournit donc depuis à l'AIEA les renseignements requis par ce texte. Le comité technique Euratom, en charge de son application, recueille les renseignements prescrits par l'accord. Deux motifs conduisent aujourd'hui le Gouvernement à traduire ces engagements internationaux en droit interne : la sécurité juridique et la sécurité internationale.

Le premier motif de sécurité juridique est illustré par la nature et la portée particulièrement larges de l'obligation déclarative et du droit d'accès complémentaire. Ces obligations internationales, créées entre la France et l'AIEA, doivent être complétées en droit interne car, au-delà des exploitants nucléaires, toute personne, publique ou privée, est susceptible d'être concernée. Une entreprise française qui exporterait vers un ENDAN des éléments nécessaires à la construction d'une centrifugeuse pouvant servir à enrichir l'uranium - des vis, par exemple - doit en informer les autorités françaises afin que celles-ci puissent communiquer ce renseignement à leur tour à l'AIEA. Un directeur de laboratoire de recherche et développement travaillant en coopération avec un ENDAN doit en permettre l'accès aux inspecteurs de l'AIEA.

Ce droit n'a pas encore été mis en oeuvre. Aussi est-il souhaitable de l'inscrire expressément dans notre dispositif législatif et d'en préciser les modalités d'exercice. Le présent texte vise ainsi à compléter le protocole en prévoyant une autorisation du président du tribunal de grande instance en cas d'opposition totale ou partielle à la vérification. Je vous proposerai d'étendre cette autorisation judiciaire au refus de permettre l'accès aux représentants de l'AIEA dans le cadre d'une inspection.

Une obligation n'a de portée effective que lorsqu'elle est sanctionnée. Le projet de loi prévoit une sanction pénale pour dissuader ou condamner tant le refus de transmettre les informations que le déni d'accès aux inspecteurs de l'AIEA, dans les conditions autorisées par le juge judiciaire. D'autres pays, comme les États-Unis, la Suisse, le Royaume-Uni, la Belgique ou l'Espagne ont prévu de telles sanctions. La France se situe dans une position intermédiaire : la peine prévue dans les cas de défaut de déclaration ou d'obstruction à l'accès est de deux ans d'emprisonnement avec une amende de 75 000 euros. Il me semble cependant important de distinguer les deux situations, et de durcir le dispositif prévu, à l'instar de ce qu'ont fait la Suisse et les États-Unis.

La seconde raison qui me conduit à vous proposer l'adoption du texte est la sécurité internationale qui exige de lutter contre le détournement de l'usage pacifique de la technologie nucléaire. Les incertitudes sur le degré de maitrise de ces technologies et de leur utilisation par l'Iran et la Corée du Nord, par exemple, nous conduisent à vouloir renforcer la capacité de l'AIEA à disposer d'informations lui permettant de lutter contre les activités clandestines. La traduction de notre engagement international en droit interne aura aussi valeur d'exemple. Je vous soumets seize amendements principalement rédactionnels.

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