Intervention de Claude Belot

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 4 juin 2013 : 1ère réunion
Examen du rapport d'information « collectivités territoriales : mobiliser les sources d'énergies locales » de m. claude belot

Photo de Claude BelotClaude Belot, rapporteur :

Madame la présidente, mes chers collègues, il s'agit d'un sujet qui m'est cher depuis longtemps, depuis l'époque où j'avais, à l'université de Poitiers, la responsabilité d'un enseignement de géographie économique, et au moment même où le prix du baril de pétrole commençait inexorablement sa progression à la faveur du choc pétrolier de 1973. À cette époque, j'ai eu la charge de traiter le sujet d'agrégation qui concernait justement les sources d'énergie. Cela fait donc maintenant plus de quarante ans que je m'intéresse à cette question et que je constate que tous les problèmes que nous avons connus, depuis, dans ce domaine, étaient déjà identifiables même s'ils n'étaient pas encore bien perçus, notamment par le grand public. C'est également à cette époque que mes fonctions d'élu m'ont permis de passer de la théorie à la pratique, de joindre, si vous me permettez l'expression, le geste à la parole et de me confronter ainsi aux difficultés de réalisations pratiques en matière d'énergie.

Depuis, j'ai une certitude ; dans une France qui a bien changé, et au moment où les présidents de région débattent entre eux de la transition énergétique, le temps où la politique de l'énergie se concevait strictement à Paris est révolu. Sans remonter trop loin dans l'histoire, on s'aperçoit que les collectivités territoriales sont depuis très longtemps impliquées dans les questions d'énergie, à l'image des paroisses qui s'occupaient déjà en leur temps des bois communaux et du chauffage, par exemple. Dans ce quartier même, autour du Sénat où nous nous trouvons, les premiers becs de gaz ont été installés à partir de 1860, avant tout pour des raisons de sécurité. On croit tout inventer aujourd'hui, alors que les démarches sont anciennes et l'on constate que l'intégralité de la révolution énergétique de l'électricité et du gaz a été pilotée par les collectivités territoriales, à savoir les communes et leurs groupements, dans le cadre de délégations de service public. Dans ma commune par exemple, qui fut loin d'être la première, le conseil municipal décida en 1902 le déploiement de l'électricité par une délégation de service public à un ingénieur qui a mis en place une usine de production électrique dont les alternateurs étaient alimentés par des gazogènes au bois. La plupart des maires de France que l'on interroge aujourd'hui ignorent pourtant, et c'est très dommage, que c'est à l'initiative des communes que notre pays a pu connaître ces évolutions.

Cette situation s'est poursuivie jusqu'en 1946, moment où l'on a créé les grandes entreprises de l'énergie, notamment EDF et GDF, qui ont été chargées par les gouvernements successifs de conduire la politique énergétique de la Nation. Elles l'ont fait en essayant de retirer le maximum de prérogatives aux collectivités territoriales, sans grande opposition d'ailleurs pour nombre d'entre elles, il faut bien le reconnaître. Cela a eu pour conséquence de faire de la France le pays le plus centralisé du monde en matière de production et de distribution d'énergie. Mais c'est aussi ce qui nous a permis de développer l'énergie nucléaire, par exemple, à travers de grandes entreprises au capital d'État. Puis, pendant plus d'un demi-siècle, les collectivités territoriales se sont mises en retrait sur ce sujet, avec des flux et des reflux périodiques. Souvenons-nous de l'actualisation des contrats de concession des communes en 1996. La plupart des communes ont alors dû rechercher dans leurs archives les contrats de distribution électrique qui avaient été signés avec EDF cinquante ans plus tôt, et décider si elles souhaitaient poursuivre ou non leur lien contractuel avec cette entreprise. Le choix de la simplicité, celui de poursuivre ces contrats, a été fait par la majorité d'entre elles, tel est le cas de ma commune.

Or, depuis quelques années, nous sommes entrés dans un monde nouveau, avec la redécouverte de l'intérêt de la proximité et de la pertinence des collectivités territoriales pour s'occuper de l'énergie, alors qu'elles étaient envisagées, récemment encore, comme des éléments perturbateurs de cette politique. Si l'on redécouvre la proximité, c'est parce que l'on parle désormais d'énergies renouvelables, c'est-à-dire d'énergies à portée de main, ou sous nos pieds, si je prends l'exemple de la géothermie : les collectivités territoriales sont en première ligne pour assurer le développement de ces sources, comme en témoigne le cas des réseaux de chaleur. L'ensemble de la législation de ces dix dernières années permet aux collectivités de le faire, je pense notamment au « Fonds chaleur », créé par Jean-Louis Borloo lorsqu'il était ministre de l'Environnement. Ainsi, de nombreuses collectivités ont pu déployer, par exemple, des réseaux de chaleur alimentés par la biomasse exploitée au niveau local. Et, contrairement à ce que l'on entend souvent, l'industrie française dispose bien de tout le matériel nécessaire pour construire des chaufferies destinées à la mise en place d'un réseau de chaleur. Cela signifie que les collectivités territoriales ont la possibilité d'agir de façon significative pour influencer la politique énergétique de notre pays : le droit le permet ; les temps ont bien changé puisqu'on ne nous empêche plus de prendre des initiatives ; des financements existent tel le « Fonds chaleur » pourtant sous-utilisé par les maires, malheureusement ; et les risques technologiques ont disparu. Dès lors, tout dépend de la volonté politique de s'investir ou non dans cette direction. Je remarque que le Sénat a été très actif et a soutenu de nombreux amendements dans ce domaine, je pense en particulier à la TVA à 5,5 % sur les énergies renouvelables ou encore à l'obligation pour GDF de prendre dans son réseau le méthane produit à partir des stations de biogaz.

Sur ce dernier point, les communes françaises sont d'ailleurs très en retard puisque l'on paye des fortunes pour éliminer les boues des stations d'épuration ou pour éliminer nos déchets verts - ceux d'entre vous qui sont maires le savent pertinemment. Or, si l'on utilise ces déchets pour alimenter nos stations de biogaz, d'une part on économise le coup de leur traitement et, d'autre part, on produit du méthane qui peut être utilisé dans un réseau de chaleur pour produire de l'électricité, ou bien dans des véhicules. Au total, les initiatives de ce type constituent une bonne opération financière et représentent une action positive pour notre pays. Encore faut-il que les collectivités territoriales aient envie de le faire. Nos collègues élus du Nord et de l'Est de la France le savent bien pour l'avoir observé sur leurs territoires : les entreprises belges, hollandaises et allemandes, pendant des années, les ont débarrassés de leurs déchets à prix d'or, alors qu'en réalité elles se réjouissaient de pouvoir les exploiter pour produire du méthane et du biogaz alimentant leurs réseaux de bus.

Heureusement, malgré notre retard, de nombreuses actions sont aujourd'hui conduites par les collectivités, au premier rang desquelles les communes et leurs groupements. Elles démontrent la faisabilité de ces initiatives énergétiques.

Concrètement, l'action des collectivités territoriales pour contribuer à la transition énergétique vers un modèle plus économe et moins émetteur de gaz à effet de serre, peut se faire à différents niveaux. La collectivité peut d'abord agir comme consommatrice d'énergie (électricité et carburant) et opter pour un comportement économe, faisant ainsi oeuvre de démonstration et se montrant bonne gestionnaire. La collectivité peut ensuite être pédagogue, c'est-à-dire agir auprès des acteurs concernés en expliquant (par exemple lors de la délivrance d'un permis de construire) que des économies d'énergie peuvent être réalisées. Paradoxalement, nombre de nos concitoyens sont confrontés à une surinformation sur ces sujets et ne disposent pas toujours de la compétence technique pour pouvoir arbitrer. À cet égard, les Maisons de l'énergie, quand elles existent, souvent déployées par les intercommunalités avec l'aide de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), fonctionnent bien et ne coûtent pas cher.

La collectivité joue également un rôle de gestionnaire des réseaux, cette mission lui ayant été confiée par la loi. Malheureusement, nous avons trop longtemps laissé les opérateurs faire ce qu'ils voulaient, sans réel contrôle de la collectivité territoriale. En vérité, il faut que les maires soient très vigilants dans leurs rapports avec GDF ou EDF, car il n'est pas toujours sûr qu'ils agissent au nom de l'intérêt général. C'est pourquoi il ne faut pas hésiter à recourir à des conseillers en énergie, dont l'activité est justement de faire diminuer la facture d'électricité pour les collectivités en passant à la loupe les contrats. L'avantage de ces services, c'est que ces sociétés se rémunèrent uniquement sur les économies qu'elles font réaliser aux collectivités territoriales. Il faut également obliger les opérateurs à bien respecter les contrats de concession et à ne pas se départir de toutes les possibilités offertes par la loi de 1946. Et, lorsque sur le terrain, le contrôle ne veut pas se faire au niveau des communes, il doit pouvoir se faire au niveau des intercommunalités.

Enfin, les collectivités peuvent avoir un rôle de productrice d'énergies locales, à savoir des énergies renouvelables, le plus souvent. Le développement d'énergies territoriales représente une formidable opportunité pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre, réaliser des économies substantielles et créer des emplois non délocalisables. Dans ce domaine, j'appelle au pragmatisme, les collectivités devant exploiter les énergies les plus adaptées à leur contexte territorial. Ces énergies locales ont le mérite de la simplicité et surtout de nous éviter le renforcement des réseaux nécessaires au transport. Il n'y a donc que des avantages à voir les collectivités développer ce type d'énergies.

En définitive, j'ai la conviction que nous sommes à un tournant, et qu'après le Grenelle de l'environnement, qui a essayé de donner des outils aux collectivités territoriales, c'est désormais sur ces dernières qu'il faut fonder nos espoirs. Le thème de la transition énergétique ne doit pas être occulté par la question du nucléaire, énergie à laquelle je ne suis pas, à titre personnel, opposé, car il s'agit d'une chance pour notre pays et surtout, sa place doit être relativisée, l'électricité ne représentant dans les faits que 22 % de l'énergie totale française consommée, ce qui est très négligeable au regard de la consommation finale de nos concitoyens. De la même manière, le thème de la transition énergétique ne doit pas être occulté par la problématique des gaz de schiste, sur laquelle je me suis penché et qui méritera d'être envisagée sereinement, si l'on découvre qu'il sera dans notre intérêt de le faire. Le débat énergétique ne se résume donc ni au nucléaire ni au gaz de schiste, et les solutions que nous pourrons trouver pour assurer la transition énergétique de notre pays ne pourront être mises en place sans l'action et la mobilisation pleine et entière des collectivités territoriales.

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