Intervention de Philippe Dallier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 5 juin 2013 : 1ère réunion
Contrôle budgétaire — Bilan immobilier de la réforme de la carte judiciaire - communication

Photo de Philippe DallierPhilippe Dallier, rapporteur spécial :

Les résultats de ce contrôle budgétaire auraient dû vous avoir été présentés depuis plusieurs mois déjà ; toutefois, nous avons éprouvé des difficultés à nous faire communiquer les éléments demandés aux différentes administrations concernées. Engagée en 2007, la réforme de la carte judiciaire est considérée comme achevée depuis le 1er janvier 2011. Le temps était enfin venu de procéder au bilan de cette réorganisation d'ampleur des juridictions judiciaires. Aussi, un groupe de travail de la commission des lois du Sénat, emmené par Nicole Borvo Cohen-Seat et Yves Détraigne, a livré ses conclusions dès le mois de juillet 2012, dans un rapport à l'intitulé peu flatteur : « La réforme de la carte judiciaire : une occasion manquée ». Plus récemment, à la demande de la garde des Sceaux, Christiane Taubira, une mission d'évaluation de la carte judiciaire, présidée par Serge Daël, a été mise en place ; celle-ci a rendu son rapport le 10 février dernier.

Nous inscrivant également dans cette démarche, nous nous sommes intéressés à un aspect de la réforme qui méritait un examen approfondi : le volet immobilier. Celui-ci a, en effet, constitué le principal poste de dépenses de la réforme. Ainsi, nous avons mené une mission de contrôle budgétaire portant sur le bilan immobilier de la réforme de la carte judiciaire.

A ce titre, nous nous sommes inscrits dans une double approche. Tout d'abord, nous avons cherché à déterminer le coût réel du volet immobilier de la réforme. Ce dernier ayant été, au départ, fortement surévalué - une estimation de 900 millions d'euros avait même été avancée ! -, des doutes ont longtemps subsisté quant à son coût final. En outre, nous avons mesuré les économies réalisées en matière immobilière, de manière à disposer d'un bilan financier du volet immobilier de la réforme.

Ensuite, nous avons examiné la réalisation du volet immobilier, soit la mise en oeuvre concrète des opérations liées aux regroupements de juridictions. De cette manière, nous avons pu procéder à une évaluation de la politique immobilière développée par le ministère de la justice dans le cadre de la réforme. Cet exercice nous paraissait essentiel dans la mesure où les implantations judiciaires sont restées hors du champ de la réorganisation de la politique immobilière de l'Etat au niveau déconcentré.

Dès lors, notre but a été de voir dans quelle mesure la gestion du parc immobilier, dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire, avait répondu aux objectifs de la politique immobilière de l'Etat. A partir des constats réalisés, nous avons tâché d'identifier les améliorations possibles des modalités de gestion du patrimoine immobilier des juridictions.

A cette fin, nous nous sommes attachés à approcher les parties prenantes de la politique immobilière du ministère de la justice. Nous avons donc recueilli les contributions des premiers présidents et procureurs généraux de vingt-deux cours d'appel ; nous avons, par ailleurs, réalisé une visite à la cour d'appel de Versailles, située dans un immeuble à caractère historique mais très peu fonctionnel. Nous avons également interrogé différents acteurs intervenus aux côtés des juridictions dans la conduite des opérations immobilières engagées et consulté des élus locaux s'agissant des palais de justice abandonnés et restitués aux collectivités territoriales.

Je commencerai par vous présenter les principales observations formulées s'agissant du bilan financier du volet immobilier de la réforme. La réorganisation de la carte judiciaire aura entraîné, au total, 439 opérations immobilières dont 112 opérations provisoires. Celles-ci s'étalent sur la période allant de 2008 à 2017, année au cours de laquelle devraient être livrés les derniers travaux - nous verrons si ce délai sera tenu.

Entre 2008 et 2017, le coût total du volet immobilier de la réforme atteindrait 331,9 millions d'euros. Cette estimation intègre aussi bien les dépenses d'investissement, liées aux opérations de construction ou de réaménagement des bâtiments, que celles de fonctionnement, correspondant aux charges découlant des « petits travaux » et des déménagements.

Dès lors, il apparaît que le plafond de dépenses arrêté initialement par le Gouvernement concernant le volet immobilier de la réforme, soit 375 millions d'euros, a été largement respecté. Il faut, à cet égard, souligner que ce plafond portait exclusivement sur les dépenses d'investissement. Les craintes initiales relatives au coût final du volet immobilier se sont donc révélées, à ce jour, non fondées. Mais il est nécessaire de reconnaître que la relative faiblesse de l'exécution, au regard de la programmation originelle, est liée à l'annulation d'importantes opérations immobilières ; il s'agit notamment de l'extension du tribunal de grande instance d'Evreux ou encore des opérations de Coutances et de Dunkerque.

La majorité des locaux abandonnés par les juridictions dans le cadre de la réforme étaient détenus par les collectivités territoriales. Toutefois, la mise en place de la nouvelle carte judiciaire devrait permettre à l'Etat de procéder à la cession de quarante immeubles, dont le produit représenterait près de 11,9 millions d'euros. Par conséquent, le coût net du volet immobilier est estimé à 320 millions d'euros.

La réforme de la carte judiciaire a permis de réduire les coûts de loyers et de gestion de près de 10 millions d'euros par an ; dans le même temps, elle a entraîné de nouvelles charges découlant, notamment, des locations de locaux pérennes. A compter de 2017, les regroupements de juridictions permettront donc de générer 4,3 millions d'euros d'économies par an liées à l'immobilier.

Par conséquent, les dépenses réalisées dans le cadre du volet immobilier seront amorties au terme d'une période de 75 ans. Néanmoins, la réforme n'avait pas pour première finalité de réduire les dépenses immobilières des juridictions. Le principal levier d'économies a résidé, en effet, dans la diminution des charges de personnel qui a été rendue possible par les regroupements de juridictions. La réduction de la masse salariale atteint, ainsi, 23,4 millions d'euros par an. Par suite, si la réforme est prise dans son ensemble, son coût est amorti au bout de treize années, ce qui nous paraît constituer une durée acceptable.

En tout état de cause, ces durées d'amortissement de la réforme - aussi théoriques puissent-elles paraître - permettent de mettre en évidence le poids des charges résultant des prises à bail de locaux pérennes, susceptibles d'alourdir le bilan financier du volet immobilier à long terme. Si ces locations avaient vocation à perdurer, le bénéfice de la moindre exécution du volet immobilier serait perdu en une dizaine d'années, puisqu'à cette échéance, les loyers acquittés conduiraient à un dépassement du plafond de 375 millions d'euros. En effet, si ce plafond ne concernait que les dépenses d'investissement destinées aux opérations immobilières, ce montant demeure une référence puisqu'il avait été initialement présenté au Parlement.

Dans ces conditions, nous ne pouvons que souscrire à l'objectif du ministère de la justice de substituer des solutions patrimoniales, plus économes, aux locations, et ce dès que possible.

Je vais, maintenant, vous faire part des conclusions de notre travail d'évaluation de la politique immobilière du ministère de la justice. Le ministère de la justice a conservé une politique immobilière autonome. Celle-ci est, en effet, restée en dehors du champ de la réforme de la politique immobilière au niveau déconcentré ; ce choix est généralement justifié par la spécificité du parc immobilier judiciaire. Bien évidemment, un ensemble de bureaux d'une administration centrale n'a rien de comparable avec un palais de justice.

Dans un premier temps, nous nous sommes attachés à évaluer la mise en oeuvre du volet immobilier de la réforme de la carte judiciaire à l'aune des objectifs de la politique immobilière de l'Etat. A titre de rappel, ces objectifs avaient été définis par le ministre chargé du budget en 2006. Il s'agit de : diminuer le coût de la fonction immobilière de l'Etat en allouant aux services des surfaces rationalisées et en cédant les surfaces excédentaires ; valoriser le patrimoine immobilier afin de céder les immeubles inadaptés ou devenus inutiles ; offrir aux agents et aux usagers des locaux adaptés aux besoins du service public, prenant en compte l'ensemble des normes applicables ; favoriser l'offre de logements grâce à la mobilisation du foncier public à l'occasion des cessions foncières induites par les évolutions des besoins des acteurs publics.

Il est apparu que la réalisation des opérations immobilières avait permis de respecter tout à la fois les délais imposés par le calendrier du déploiement de la nouvelle carte judiciaire et l'enveloppe budgétaire arrêtée lors de l'engagement de la phase opérationnelle de la réforme. Ainsi, le pilotage du volet immobilier mis en place a permis une bonne coordination des différentes parties prenantes.

Toutefois, nous avons pu constater qu'aucun objectif chiffré n'avait été déterminé s'agissant de l'optimisation du parc immobilier des juridictions. Pourtant, la politique immobilière de l'Etat accorde une place centrale à l'indicateur de « rendement d'occupation des surfaces », dont la cible finale est fixée à 12 mètres carrés de surface utile nette (SUN) par poste de travail. En effet, un indicateur de cette nature permet de mobiliser les acteurs et de rationaliser la démarche de densification des surfaces.

Pour ces raisons, nous avons recommandé l'établissement d'un référentiel fixant, pour chaque catégorie de locaux judiciaires, des objectifs différenciés d'occupation des surfaces. Il s'agit de concilier la mise en place d'un indicateur de « rendement d'occupation des surfaces » avec les spécificités de l'immobilier judiciaire ; en effet, un bureau simple ne peut pas être considéré de la même manière qu'un bureau utilisé pour la tenue d'audience, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité. En outre, nous avons proposé d'instituer un indicateur mesurant la réalisation des objectifs arrêtés en matière d'occupation des surfaces accueillant des locaux judiciaires, intégré à la mesure de la performance de la mission « Justice ».

Je laisse maintenant Albéric de Montgolfier vous emmener sur le terrain...

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion