Intervention de Albéric de Montgolfier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 5 juin 2013 : 1ère réunion
Contrôle budgétaire — Bilan immobilier de la réforme de la carte judiciaire - communication

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur spécial :

En effet, de manière plus large, nous avons souhaité examiner la mise en oeuvre de la politique immobilière du ministère de la justice. Aussi nos travaux ont-ils porté une attention particulière à l'ensemble des acteurs en charge de la mise en oeuvre de la politique immobilière du ministère de la justice. Nous avons alors pu constater l'importance des services immobiliers des cours d'appel, qui constituent des leviers majeurs de rationalisation de la gestion du parc et donc d'économies. Néanmoins, nous avons observé que la professionnalisation de la fonction immobilière dans les juridictions était encore perfectible ; toutefois, ce constat n'est pas propre au ministère de la justice mais peut être généralisé à l'ensemble de l'Etat.

A titre d'exemple, il n'existe pas de formation relative à la gestion du patrimoine immobilier à destination des magistrats délégués à l'équipement et toutes les cours d'appel ne bénéficient pas des services des techniciens immobiliers, pourtant responsables de la gestion quotidienne des locaux. Nous avons donc formulé plusieurs recommandations tendant à renforcer la professionnalisation de la gestion immobilière dans les juridictions.

Le déploiement du volet immobilier a également impliqué l'intervention des administrations spécialisées de l'Etat. A cet égard, nous avons notamment pu constater que le co-pilotage des opérations par les départements immobiliers du ministère de la justice et les directions départementales des territoires pouvait constituer une source de difficultés. A cela est venue s'ajouter une baisse sensible de l'assistance apportée par ces dernières, du fait de la réduction des moyens qui leurs sont alloués.

Il nous est donc apparu qu'il était nécessaire d'envisager une évolution des modalités de coopération entre les départements immobiliers et les directions départementales des territoires.

Malgré cela, nous avons pu observer que le volet immobilier de la réforme avait été, dans l'ensemble, mis en oeuvre conformément aux objectifs de la politique immobilière de l'Etat. En effet, les opérations menées ont permis, d'une part, de densifier les surfaces occupées par les juridictions, réduisant celles-ci de 63 278 mètres carrés et, d'autre part, d'améliorer les conditions de travail des personnels et d'accueil du public. Par ailleurs, elles ont pu, dans certains cas, favoriser l'offre de logement. A titre d'exemple, l'ancien tribunal d'instance de Cernay, dans le Haut-Rhin, a été cédé à une association offrant des logements à loyer très social.

La diminution du coût de la fonction immobilière est, quant à elle, moins évidente. Si les regroupements de juridictions devraient permettre des économies de loyers et de gestion à hauteur de 4,3 millions par an à compter de 2017, le volet immobilier a représenté un coût net de 320 millions d'euros. Mais, comme cela a été indiqué, la réforme de la carte judiciaire n'avait pas pour première finalité de réduire les dépenses immobilières des juridictions.

Quoi qu'il en soit, le principal enjeu est de consolider l'acquis. Le déploiement du volet immobilier de la réforme étant en grande partie achevé, il convient désormais de s'assurer de la mise en oeuvre d'une gestion efficiente des nouvelles implantations immobilières des juridictions. Néanmoins, la réalisation de cet objectif pourrait se heurter à une gestion du parc immobilier du ministère de la justice qui présente, dans les faits, d'importantes insuffisances.

Dans le cadre de nos travaux, nous avons pu constater que la programmation des travaux d'entretien du parc immobilier présentait des lacunes. Comme nous l'a indiqué un magistrat délégué à l'équipement, la politique d'entretien de l'immobilier judiciaire relève de la « gestion de crise et d'urgence, sans les outils adaptés ». La majeure partie des travaux d'entretien sont réalisés parce qu'ils sont devenus absolument nécessaires. Les opérations engagées à titre préventif demeurent l'exception, alors qu'elles permettraient de réduire les coûts. Ainsi, le remplacement de chaudières à faible rendement, qui serait rapidement amorti du fait des économies dégagées, n'est que rarement réalisé du fait de l'absence de crédits prévus à cet effet.

Par conséquent, nous avons recommandé de définir, pour chaque cour d'appel, un plan pluriannuel des opérations d'entretien d'immobilier, afin de permettre une programmation des dépenses d'entretien des bâtiments.

Comme cela a été indiqué, nous nous sommes rendus dans les locaux de la cour d'appel de Versailles, qui sont situés dans les anciennes écuries de la Reine ; nous avons pu constater la forte dégradation des façades sur lesquelles des filets ont été installés afin d'éviter les chutes de pierres. Les fenêtres de la cour d'appel de Versailles ont dû être récemment remplacées pour un montant total de 1,4 million d'euros. Pourtant, de tels travaux auraient pu être évités si les fenêtres avaient fait l'objet d'un entretien régulier.

Il faut souligner que ces défauts de programmation participent, de manière plus large, de l'indécision qui entoure souvent la politique immobilière du ministère de la justice. Or, cette indécision est coûteuse et peut nuire au bon fonctionnement des juridictions. La gestion du projet « Richaud » constitue un exemple intéressant. A la fin des années 1990, le ministère de la justice a décidé de localiser la cour d'appel, le tribunal administratif et la cour administrative d'appel de Versailles dans les locaux de l'ancien hôpital Richaud. Le terrain a été acquis en 1998 pour 4,5 millions d'euros. 9,2 millions d'euros ont été dépensés au titre des études menées dans le cadre de l'opération. A cela sont venues s'ajouter les charges de gardiennage, dont le montant atteignait 400 000 euros par an. Seulement, le projet « Richaud » n'a jamais pu aboutir et le site a été revendu en 2009 pour 8 millions d'euros, donc à perte. Cet exemple illustre bien les errements de la politique immobilière du ministère de la justice.

Par ailleurs, l'incapacité du ministère de la justice à trouver des locaux d'archivage pour le tribunal d'instance de Chartres nuit au bon fonctionnement de la juridiction. Les archives sont aujourd'hui disséminées sur plusieurs sites - y compris dans des locaux mis à disposition par le conseil général d'Eure-et-Loir -, certains d'entre eux sont inaccessibles pour des raisons de sécurité et les bureaux de magistrats et de greffiers tendent à devenir des lieux d'archivage de substitution.

En outre, nous avons pu observer que les coûts d'entretien des constructions nouvelles étaient insuffisamment anticipés, ce qui peut conduire à la réalisation de choix irrationnels, certes audacieux d'un point de vue architectural mais onéreux à long terme. Nous en voulons pour preuve les ensembles immobiliers intégrant des structures en verre. Dans le cas du tribunal de grande instance de Nanterre, le seul entretien de ces structures représente un coût annuel de 70 000 euros. Ces constructions en verre requièrent des opérations de maintenance particulièrement complexes, ne serait-ce que pour assurer leur nettoyage. Par ailleurs, elles font l'objet de dégradations récurrentes qui impliquent l'exécution répétée de réparations.

L'exemple du tribunal de grande instance de Nanterre nous apporte un éclairage nouveau sur le futur palais de justice de Paris, dont la livraison est prévue pour 2017. En effet, le projet retenu consiste en une tour étagée de 156 mètres de hauteur, abritant une surface de 61 500 mètres carrés, dotée d'une façade en verre. Aussi, le choix d'une structure en verre ne doit pas être sans lien avec le coût de l'opération. A cet égard, nous souhaitons rappeler que le projet d'installation du tribunal de grande instance de Paris dans la zone d'aménagement concertée (ZAC) des Batignolles avait fait l'objet d'un examen approfondi par notre collègue Roland du Luart dans un rapport d'information fait au nom de notre commission en 2009.

Au regard de ces exemples, nous avons recommandé d'établir, préalablement à la sélection de tout projet de construction nouvelle, une évaluation précise des dépenses prévisionnelles d'entretien.

Enfin, s'agissant des modalités de gestion du parc immobilier du ministère de la justice, nous avons regretté le manque de réflexion sur le recours à de nouveaux leviers d'économies, notamment en ce qui concerne la mutualisation des achats et l'externalisation de certaines prestations d'entretien des locaux. L'expérience nous a montré qu'il était possible d'externaliser efficacement la gestion de biens immobiliers ; à titre d'exemple, vingt-et-un conseils généraux ont confié à la Société nationale immobilière (SNI) la gestion des parcs immobiliers accueillant la gendarmerie nationale.

Pour terminer, nous avons estimé que le bilan immobilier de la réforme de la carte judiciaire devait nécessairement aborder la question des locaux restitués aux collectivités territoriales.

Lors du déploiement de la nouvelle carte judiciaire, 223 immeubles ont été rétrocédés aux collectivités. Ces dernières ne semblent pas avoir bénéficié d'une assistance spécifique des services de l'Etat à la suite de la remise des implantations abandonnées, ce que certains élus locaux interrogés ont regretté.

A cet égard, il faut souligner les difficultés qui peuvent être rencontrées lors de la reconversion, et notamment de la vente, de ces biens spécifiques que sont les locaux judiciaires. Ces difficultés sont liées à l'agencement des immeubles, voire à leur éventuel classement ou inscription au titre des monuments historiques.

C'est la raison pour laquelle nombre d'anciennes implantations judiciaires ont été transformées en maisons de la justice et du droit. Cependant, certains palais de justice ont pu faire l'objet de reconversions plus originales. Ainsi, le tribunal d'instance d'Avallon, dans l'Yonne, a été racheté en 2011 par des brocanteurs qui ont transformé le bâtiment en lieu d'exposition et en habitation.

Bien qu'elle ne s'inscrive pas dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire, la reconversion de l'ancien palais de justice de Nantes a constitué un cas intéressant. En effet, le conseil général de Loire-Atlantique a consenti un bail de longue durée à une société privée afin d'y installer un hôtel quatre étoiles de 136 chambres et intégrant un espace culturel. Le projet nantais paraît avoir constitué une source d'inspiration puisque le conseil général d'Indre-et-Loire semble vouloir également reconvertir l'ancien tribunal d'instance de Loches en hôtel trois étoiles.

Certaines collectivités territoriales nous ont aussi indiqué envisager de transformer les locaux judiciaires abandonnés en lieux à vocation touristique ou culturelle, comme des salles d'exposition, ou encore des salles de ventes.

Pour conclure, nos travaux ont permis de montrer que la réforme de la carte judiciaire présentait un bilan immobilier globalement positif, mais aussi que la politique immobilière du ministère de la justice et, de manière plus générale, de l'Etat restait encore à bâtir. Les travaux auxquels j'ai pu participer au titre tant du Conseil immobilier de l'Etat, auquel j'appartiens, que de la mission « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat », m'ont conduit à constater que l'Etat peinait à connaître son parc domanial, à l'entretenir et à anticiper les dépenses y afférent. Des leviers d'économies existent encore et devront être actionnés au plus vite, alors que la gestion économe des deniers est aujourd'hui, plus que jamais, essentielle.

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