L'enjeu d'un tel partenariat transatlantique est considérable puisque l'Union européenne (UE) et les États-Unis d'Amérique représentent ensemble près de la moitié du PIB mondial et un tiers des échanges mondiaux : en 2011, l'UE était le premier partenaire commercial des États-Unis, et les États-Unis le deuxième partenaire commercial de l'UE.
Le Gouvernement a transmis au Parlement, en application de l'article 88-4 de la Constitution, le projet de mandat de négociation confié à la Commission européenne.
Parallèlement, deux propositions de résolution européenne ont été déposées en avril, par Mme Marie-Christine Blandin et plusieurs collègues (n° 522) et par M. Pierre Laurent et plusieurs collègues (n° 526), relatives à la dimension culturelle de la négociation. La commission des affaires européennes a été très sensible aux initiatives de nos collègues et à l'enjeu qu'ils ont soulevé. Mais elle a souhaité les intégrer dans un texte concernant l'ensemble des aspects de la négociation.
Le texte que la commission des affaires européennes a adopté à l'unanimité, le groupe écologiste s'abstenant, a été transmis à votre commission.
Nous avons estimé que ce partenariat transatlantique représentait une opportunité importante pour l'Union européenne. Un accord pourrait contribuer à la croissance et à l'emploi : selon l'étude d'impact de la Commission, les gains économiques globaux seraient de 119,2 milliards de dollars pour l'Union européenne et 94,2 milliards de dollars pour les États-Unis, même si ces chiffres doivent être pris avec beaucoup de prudence. De plus, un accord transatlantique, du fait du poids additionné des deux partenaires, aurait un effet d'entraînement et contribuerait à introduire plus de régulation dans le commerce mondial.
Nous devons donc défendre une vision ambitieuse de cet accord : il ne doit pas se réduire à un accord de libre-échange mais constituer un réel partenariat d'égal à égal qui respecte les valeurs fondamentales, l'identité culturelle et les préférences collectives de chacun des deux partenaires.
Quelles doivent être les priorités européennes dans cette négociation ?
Un premier impératif pour l'Union européenne est de convenir avec les États-Unis d'une protection effective des droits de propriété intellectuelle, et tout particulièrement des indications géographiques : c'est pour nous un enjeu fondamental, sur les vins comme sur les autres produits agricoles et agroalimentaires. Il nous faudra aussi rester vigilant sur le traitement des produits sensibles, notamment agricoles, tout au long de la négociation : je pense à la filière élevage ou au maïs... Sur ces produits, l'Union européenne est moins compétitive que les États-Unis, du fait d'importantes différences de normes sociales, environnementales et de bien-être animal.
Il faut aussi souligner l'importance des règles d'origine, qui doivent avoir le même niveau d'exigence pour les deux parties à l'accord, sinon les producteurs européens seraient désavantagés.
Le texte suggère aussi de mandater clairement la Commission pour obtenir des progrès parallèles en matière d'accès au marché et de réduction des barrières non tarifaires, comme on l'a fait pour la négociation qui vient de s'ouvrir avec le Japon. Pour nos PME, le prix de la mise aux normes américaines constitue souvent une barrière à l'entrée.
Le partenariat transatlantique représente aussi une occasion unique pour réduire les discriminations que subissent nos entreprises dans l'accès aux marchés publics américains, y compris subfédéraux ; ces discriminations sont d'autant plus insupportables que l'Union européenne ouvre la quasi-totalité de ses marchés publics aux pays tiers.
Il est aussi important de ne pas négliger d'inclure dans le champ de la négociation les subventions publiques : en effet, ces subventions sont susceptibles de fausser les conditions de concurrence et d'entraver l'accès au marché. Une telle clause figure d'ailleurs dans l'accord que l'Union européenne a déjà conclu avec la Corée du Sud.
L'accord devrait aussi prévoir un chapitre ambitieux sur les normes sociales et environnementales. Il faut rappeler que les États-Unis n'ont pas ratifié certaines conventions internationales majeures en matière sociale et environnementale : conventions de l'OIT, protocole de Kyoto, convention sur la biodiversité... La négociation de l'accord ne doit pas conduire à l'abaissement de l'acquis communautaire dans ces domaines ; elle doit au contraire permettre d'influer sur l'ensemble du système commercial mondial dans une perspective de développement durable.
L'Union européenne a des intérêts offensifs importants en matière de services, et notamment, de services financiers. Dans ce dernier domaine, ce sont surtout les règles prudentielles, décidées suite à la crise, et leur interprétation différente de part et d'autre de l'Atlantique, qui menacent aujourd'hui l'activité des entreprises financières européennes aux États-Unis. C'est pourquoi l'accord doit permettre de rapprocher les réglementations prudentielles.
Plus généralement, il convient de prévoir que l'accord soit contraignant pour tous les niveaux d'administration, sans exception, ainsi que pour toutes les autorités de régulation et autres autorités compétentes des deux parties. En effet, si la plupart des règles sont fixées au niveau européen par voie législative, le pouvoir réglementaire repose largement aux États-Unis sur les régulateurs, agences ou administrations.
Enfin, le texte souligne l'importance qui s'attache à la protection des données personnelles, d'autant que les données sont devenues un enjeu concurrentiel à l'ère numérique. Un nouveau règlement européen est en cours d'élaboration en cette matière, et la pression des lobbies américains est très forte au Parlement européen. L'Union européenne doit pouvoir protéger les données personnelles des Européens qui seraient transférées aux États-Unis, à la requête des autorités américaines.
Voilà pour nos priorités « offensives » de négociation. Le Sénat doit aussi se positionner au sujet du périmètre de la négociation qui va s'ouvrir.
Comme le souligne la proposition de résolution européenne de Mme Marie-Christine Blandin et ses collègues, c'est la première fois en vingt ans que la Commission néglige d'exclure expressément le secteur audiovisuel d'un accord de commerce international.
À l'inverse, les États-Unis font partie des rares États membres de l'OMC qui ont contracté des engagements de libéralisation de leurs services audiovisuels, ce qui s'explique car ils en sont le premier exportateur mondial. Ils ont par ailleurs refusé d'être partie à la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005. Cette convention, à laquelle l'Union européenne comme la France sont parties, reconnaît aux parties le « droit souverain de formuler et mettre en oeuvre leurs politiques culturelles et d'adopter des mesures pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles ».
D'ailleurs, l'article 207-4 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne requiert l'unanimité au Conseil pour la négociation et la conclusion d'accords « dans le domaine du commerce des services culturels et audiovisuels, lorsque ces accords risquent de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l'Union ».
En son état actuel, le mandat de négociation proposé par la Commission européenne ne prévoit pas explicitement d'exclure du champ de la négociation ce type de services. Il est seulement indiqué, dans le paragraphe consacré aux objectifs de l'accord, qu'il « ne devra contenir aucune disposition risquant de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l'Union, notamment dans le secteur audiovisuel ». Cela ne suffit pas : notre objectif doit être de pouvoir déterminer librement les voies et moyens d'une politique de soutien à l'industrie culturelle à l'heure numérique. Il nous faut donc demander au Gouvernement de requérir l'exclusion explicite des services audiovisuels du mandat de négociation.
C'est pourquoi le texte qui vous est soumis reprend très largement les termes des propositions de résolution qu'avaient déjà déposées nos collègues du groupe communiste et ceux de la commission de la culture. Bien que l'unanimité soit requise de toute manière pour la conclusion d'un accord qui menacerait la diversité culturelle de l'Union, il est dans l'intérêt de l'Union européenne que l'ouverture des négociations soit elle-même décidée par consensus, et qu'elle écarte d'emblée les services audiovisuels. De cette manière, l'Union évitera de s'exposer, au moment de l'accord final, au veto d'un État membre ou du Parlement européen.
En outre, il me paraît tout aussi indispensable d'exclure du périmètre de l'accord les marchés publics de défense et de sécurité, comme cela se fait habituellement dans les autres négociations bilatérales ou multilatérales.
Enfin, il est souhaitable que le mandat de négociation reconnaisse clairement la possibilité, pour chaque partie, d'apprécier différemment le risque alimentaire, sanitaire ou environnemental. Il s'agit d'admettre la légitimité du niveau de protection requis par les préférences collectives de ses citoyens : chaque société doit pouvoir choisir ses valeurs et son degré de protection à l'égard du risque, dans un contexte d'incertitudes scientifiques, qu'il s'agisse d'OGM, d'hormones de croissance, de décontamination chimique des viandes, de clonage animal... La relation particulière du consommateur européen aux aliments a conduit l'Union européenne à adopter une attitude prudente en ces domaines, qui ne doit pas être considérée comme une barrière au commerce.
Pour terminer, nous avons souhaité attirer l'attention du Gouvernement sur les modalités de suivi de la négociation quand elle sera engagée. La Commission devra faciliter le suivi régulier et transparent du déroulement des négociations par les autorités nationales; à charge pour le Gouvernement de consulter les acteurs et de tenir informé le Parlement.
À ce titre, nous invitons le Gouvernement à fournir au Parlement français une étude d'impact permettant d'apprécier, par secteur d'activité et par filière, les effets pour la France de différents scénarios de négociation.