Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier M. le président Vall d’avoir accepté la création, au sein de la toute nouvelle commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, de ce groupe de travail sur la présence médicale sur l’ensemble du territoire. Cela montre l’intérêt que porte notre commission à ce sujet.
Je souhaite en outre féliciter M. Jean-Luc Fichet d’avoir su présider ce groupe de travail avec beaucoup de rigueur et d’indépendance d’esprit, ce qui n’est pas facile lorsque l’on est membre de la majorité…
En tant que rapporteur, il me revient de vous présenter nos travaux. Je rappellerai tout d’abord le constat que nous avons établi, avant d’exposer nos principales propositions, qui ont été approuvées à l’unanimité par le groupe de travail, puis par l’ensemble de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Le premier élément du constat est la réalité de l’existence de déserts médicaux, qui, contrairement à ce que prétendent certains, ne sont pas des déserts « tout court ». Il en existe aujourd’hui à peu près partout, dans les zones rurales mais aussi dans les zones urbaines, où l’on trouve néanmoins un certain nombre de services publics et d’activités économiques. Dans les faits, nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à être privés d’accès aux soins en raison d’un manque de médecins.
Une telle situation est paradoxale, car la démographie des professions de santé est globalement suffisante à l’échelon national : avec 330 médecins pour 100 000 habitants, la France se situe au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE.
Le problème vient donc des inégalités dans la répartition entre les territoires, la densité départementale variant de un à deux pour les médecins généralistes libéraux et de un à huit pour les médecins spécialistes libéraux.
Les écarts sont encore plus marqués à l’échelon infra-départemental, puisque, même dans les départements en apparence les mieux dotés, en particulier les départements maritimes, il existe des déserts médicaux. Cette problématique concerne donc bien tous les territoires.
Le deuxième élément du constat, qui découle du premier, est que l’accès aux soins devient de plus en plus difficile pour nos concitoyens.
Certes, on nous objecte volontiers que 95 % des Français habitent à moins d’un quart d’heure d’un médecin, mais, outre que cela signifie que 5 % d’entre eux, soit 3 millions de personnes, ne sont pas dans ce cas, il nous semble que le critère le plus pertinent est le délai d’obtention d’un rendez-vous chez un médecin, lequel ne fait que s’allonger. Ainsi, les délais peuvent atteindre dix-huit mois pour certaines spécialités, ce qui n’est bien sûr pas sans conséquences pour la santé des patients et crée de véritables inégalités entre les Français selon le lieu de résidence.
Madame la ministre, vous nous avez indiqué, en commission, que la régulation ne serait pas juste. Mais où est la justice quand, selon l’endroit où l’on réside, il faut attendre dix-huit mois ou moins de dix-huit jours pour obtenir un rendez-vous ? Je ne crois pas que l’on puisse parler d’égalité républicaine dans ces conditions ! Une enquête a d’ailleurs montré que 58 % des Français ont déjà renoncé à des soins en raison de la difficulté à obtenir un rendez-vous.
Troisième élément du constat : les perspectives d’évolutions spontanées sont inquiétantes.
D’un côté, la demande de soins tend à augmenter avec la croissance et le vieillissement de la population, de l’autre, les projections en matière de démographie médicale annoncent une diminution de près de 10 % du nombre des médecins entre 2010 et 2020. Nous le voyons dans nos territoires : un nombre croissant de médecins prenant leur retraite ne trouvent pas de successeur.
Les effets de cette diminution du nombre des médecins sont amplifiés par la réduction du temps d’exercice médical. Les jeunes médecins, on peut le comprendre, ne sont plus disposés à travailler 60 ou 70 heures par semaine. En outre, leur temps d’exercice médical se trouve de plus en plus réduit par les tâches administratives, qui absorbent en moyenne 7 % du temps de travail d’un généraliste.
Un dernier facteur d’évolution préoccupant tient aux critères de choix du lieu d’installation des médecins. En effet, 63 % des étudiants en médecine n’envisagent pas d’exercer en zone rurale, tandis que 62 % n’envisagent pas de s’installer dans une banlieue populaire.
Face à cette situation, les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, ont pris depuis le début des années quatre-vingt-dix des mesures tout à fait insuffisantes : des mesures structurelles trop limitées ont été adoptées, les gouvernements préférant miser sur des mesures incitatives dont l’efficacité n’a pas été démontrée.
Sur le plan structurel, des dispositifs de régulation de l’installation de certains professionnels de santé ont été progressivement mis en place par voie conventionnelle à partir de 2008 pour les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes, les sages-femmes, les chirurgiens-dentistes et les orthophonistes. Ces dispositifs donnent des résultats intéressants, mais ils ne s’appliquent pas aux médecins. Les pharmaciens, quant à eux, sont soumis, depuis plusieurs décennies, à un régime réglementaire contraignant de régulation de l’installation.
Toujours sur le plan structurel, il existe bien une planification régionale de l’offre de soins, mais seul son volet hospitalier est juridiquement opposable aux professionnels de santé.
Concernant les mesures incitatives – Jean-Luc Fichet en a parlé –, nous avons été surpris de l’absence de toute évaluation sérieuse du coût financier et de l’efficacité des nombreux dispositifs qui ont été mis en place. Même la Cour des comptes n’est pas parvenue à dresser un bilan précis et exhaustif.