C’est dire, en effet !
Elle a néanmoins souligné l’absence de lisibilité de ces dispositifs, leur coût élevé et le fait qu’ils n’avaient le plus souvent que des effets d’aubaine.
Quant aux agences régionales de santé, que nous avons interrogées sur les dispositifs mis en place par les collectivités locales sur leurs territoires, elles n’ont pas été en mesure de nous répondre.
L’incapacité des politiques mises en œuvre depuis deux décennies à enrayer la désertification médicale représente donc un véritable défi pour le système de santé français et pour nos territoires. Pour le relever, madame la ministre, il faut désormais faire montre de volonté, de persévérance et de courage. Il faut agir sans tabou ni a priori, dans le seul souci de l’intérêt général. Il est donc aujourd’hui nécessaire d’agir sur tous les registres. C’est pourquoi notre groupe de travail a formulé pas moins de seize propositions, structurées selon les quatre axes suivants : revoir la conception des études de médecine ; appréhender différemment les modes d’accès aux soins ; clarifier et promouvoir les incitations financières existantes ; mieux réguler les choix d’installation des professionnels de santé.
En ce qui concerne le premier axe, nous avons constaté que l’on forme aujourd’hui davantage des praticiens hospitaliers que de futurs médecins de ville ou de campagne. Il faut donc s’interroger sur la sélection pour l’accès aux études de médecine. Actuellement, cette sélection s’effectue au terme d’une première année commune, très intensive, qui favorise les étudiants de formation scientifique. Il serait concevable soit de supprimer le concours en fin de première année pour mettre en place une orientation sur plusieurs années, soit, au contraire, de mettre en place une sélection sur dossier ou par concours à l’issue du baccalauréat. Il convient de mener une réflexion approfondie sur ce point, ce que n’a pas fait notre groupe de travail puisque telle n’était pas sa mission.
Il faut ensuite diversifier l’enseignement dispensé aux étudiants en médecine. Il convient d’introduire ou de renforcer un certain nombre de matières telles que la gestion, la communication, la psychologie, l’éthique ou l’économie de la santé, pour que les futurs médecins soient de véritables acteurs de santé, autonomes et responsables. Ils ne doivent pas être sur des rails qui les conduiraient tout droit à l’exercice hospitalier.
Nous proposons également que les stages, théoriquement obligatoires, le deviennent réellement. Vous le savez, madame la ministre : moins de la moitié des étudiants effectuent réellement un stage d’initiation à la médecine générale, alors qu’il s’agit en principe d’une obligation.
Notre rapport présente des propositions pour que ces stages d’initiation se développent et que, à brève échéance, leur accomplissement conditionne la validation du deuxième cycle des études médicales.
Pour l’accès au troisième cycle, nous suggérons de régionaliser les épreuves classantes, pour que le nombre de postes ouverts soit fonction des besoins des territoires concernés.
Nous suggérons en outre d’instaurer une quatrième année professionnalisante en fin de troisième cycle pour les étudiants en médecine générale, devant être accomplie de préférence en zones sous-dotées.
Le deuxième axe de la lutte contre les déserts médicaux repose sur une appréhension différente des modes d’accès aux soins.
Ainsi, nous préconisons la mise en place d’une commission de la démographie médicale associant agence régionale de santé, médecins et assurance maladie, comme cela se pratique dans certains départements, par exemple dans le Lot-et-Garonne. Cette commission aurait pour objectif de découper le territoire départemental en « aires de santé » et d’examiner pour chacune d’entre elles les mesures à mettre en place pour couvrir les besoins en termes d’accès aux soins.
Pour améliorer l’accès aux soins, il faut aussi mieux répartir les tâches entre les professionnels de santé et, par là même, favoriser le transfert de tâches vers d’autres professions de santé. Nous le savons tous, certains actes aujourd’hui accomplis par des médecins pourraient l’être par d’autres professionnels, ce qui redonnerait du temps d’exercice médical aux médecins.
Chacun en convient, il faut également favoriser l’exercice regroupé pluriprofessionnel. Cela nécessite de mettre en place, de manière pérenne et non plus seulement expérimentale, de nouveaux modes de rémunération forfaitaire, en complément de la tarification à l’acte. Ces « forfaits équipe coordonnée » ou ces « forfaits structure » seraient modulés en fonction d’un cahier des charges ouvrant droit à labellisation.
Notre groupe de travail a par ailleurs estimé qu’il était souhaitable d’améliorer le statut du médecin « retraité actif » en allégeant les charges sociales qui pèsent aujourd’hui sur lui, mais seulement dans les zones caractérisées par une offre médicale insuffisante.
Nous avons en outre souligné, dans notre rapport, l’intérêt que peuvent présenter, dans certains cas, les centres de santé communaux, qui fonctionnent avec des médecins salariés et répondent ainsi aux attentes actuelles de beaucoup de médecins. C’est ce dispositif que je suis en train de mettre en place dans ma commune.
Enfin, la télémédecine peut constituer une réponse partielle à la raréfaction des praticiens libéraux. Madame la ministre, il ne faut pas se contenter de multiplier les expérimentations, comme vous proposez encore de le faire pour la dermatologie ; il faut dès maintenant déployer la télémédecine à grande échelle. Cela suppose de clarifier le code de déontologie médicale, d’établir une cotation tarifaire spécifique aux actes de télémédecine et de développer la couverture numérique de nos territoires.
Le troisième axe de réflexion porte sur la clarification et la promotion des mesures incitatives existantes.
Aujourd’hui, nous l’avons dit, il est très difficile d’y voir clair. Les aides ne sont pas adaptées et sont coûteuses ; il est donc nécessaire de procéder à leur audit pour ne conserver que celles qui apparaissent comme pertinentes, en réorientant les moyens, notamment, vers les maisons de santé.
Il faut aussi que ces mesures soient connues de leurs destinataires, ce qui n’est pas le cas à ce jour. L’ARS doit devenir le point unique d’accès à toutes les aides. De ce point de vue, madame la ministre, la création d’un « référent installation » que vous proposez va dans le bon sens. Il importe que l’information soit diffusée dès l’université, en particulier sur les dispositifs destinés aux étudiants en médecine : je pense au contrat d’engagement de service public, créé par la loi HPST, qui n’est pas du tout connu des étudiants en médecine, pour la simple raison que personne n’en parle dans les universités.
Quatrième axe : il faut mettre en place des mesures de régulation plus volontaristes.
Les gouvernements successifs ont jusqu’à présent refusé d’aller au-delà de mesures purement incitatives, craignant l’opposition des syndicats de médecins. J’observe d’ailleurs que lorsque l’on discute avec ces derniers, ils apparaissent beaucoup plus ouverts que leurs organisations représentatives aux évolutions possibles en la matière.
De plus en plus d’acteurs appellent à la mise en place de mesures de régulation. Ainsi, dès 2008, le rapport de notre ancien collègue Jean-Marc Juilhard sur la démographie médicale ou celui de l’ancien député Marc Bernier évoquaient la possibilité de recourir à un conventionnement sélectif dans les zones surmédicalisées.
En février 2011, la proposition de loi pour l’instauration d’un bouclier rural, déposée par Jean-Marc Ayrault et dont vous étiez cosignataire, madame la ministre, préconisait d’aller beaucoup plus loin que nous ne le proposons : elle prévoyait de subordonner à une autorisation des ARS l’installation dans les zones surdenses déterminées par les schémas régionaux d’organisation des soins. Pourquoi avez-vous oublié cette bonne idée, madame la ministre ?
L’Association des maires ruraux de France s’est également prononcée en faveur de mesures de régulation.
En octobre 2012, une proposition de loi déposée par notre collègue député Philippe Vigier visait également à instaurer un dispositif d’autorisation pour l’exercice de la profession de médecin.
Plus récemment encore, postérieurement à la publication de notre rapport, la Fédération hospitalière de France a souhaité « que l’on sorte enfin de la sacro-sainte liberté d’installation », préconisant à son tour une régulation de l’installation, pour la simple raison que les services des urgences des hôpitaux sont submergés par l’afflux de patients ne sachant plus vers qui se tourner.
Les esprits semblent donc évoluer à l’égard de la régulation. Jean-Luc Fichet et moi-même nous sommes rendus à Berlin pour étudier le fonctionnement du système allemand de régulation de l’installation des médecins mis en place en 1992.
En Allemagne, depuis cette date, il n’est plus possible à un médecin d’être conventionné par l’assurance maladie dans les zones où les quotas, établis par catégorie de médecins, ont été atteints, hors cas de reprise d’un cabinet médical existant. Le dispositif fonctionne et personne n’envisage aujourd’hui de le remettre en cause, pas même les médecins, qui, à l’origine, avaient pourtant saisi la Cour constitutionnelle. Celle-ci avait donné raison au gouvernement, bien que la liberté d’installation soit inscrite dans la constitution allemande : elle a en effet considéré que l’intérêt général devait primer. Notons que les pouvoirs publics ont souhaité compléter ce dispositif par un volet incitatif.
C’est ce système que nous proposons d’étendre aux médecins. Je le rappelle, il s’applique déjà aux principales autres professions de santé, qui ne comprennent pas que seuls les médecins échappent à toute régulation.
Ce dispositif a fait ses preuves, puisque, en trois ans seulement, l’effectif des infirmiers libéraux a augmenté de 33 % en zones sous-dotées.
Une autre mesure suggérée par certains acteurs, comme l’Académie de médecine, en 2007, consisterait à obliger les médecins en début de carrière à s’installer dans les zones sous-dotées. Nous n’avons pas, à ce stade, retenu cette proposition. Nous souhaitons toutefois sensibiliser les étudiants en médecine, compte tenu de la durée de leurs études, au fait que sa mise en œuvre constituerait une éventualité si, au terme de la présente législature, les autres mesures prises n’apparaissaient pas suffisantes pour lutter contre l’extension des déserts médicaux.
En revanche, nous préconisons d’instaurer dès à présent, pour les médecins spécialistes, une obligation d’exercer pendant deux ans, à la fin de leurs études, dans les hôpitaux de chef-lieu de département identifiés par l’ARS comme étant sous-dotés. Il s’agirait non pas d’une obligation d’installation, mais d’une obligation d’assurer un service public, éventuellement à temps partiel. Il nous semble impossible de laisser plus longtemps des départements entiers en situation de risque sanitaire.
Telles sont, madame la ministre, mes chers collègues, les principales mesures préconisées par notre groupe de travail et notre commission.
La gravité de la situation, ainsi que ses perspectives d’évolution, exigent que désormais seul l’intérêt général soit pris en compte. Elles imposent de faire preuve de courage, quel que soit le poids des corporatismes.
Je sais, madame la ministre, que nous sommes d’accord sur le constat ; c’est sur le remède que nous divergeons, ou plutôt sur l’ampleur du remède. Vous pensez, ou plutôt vous dites, que les mesures incitatives seront suffisantes. Je ne suis pas certain que vous en soyez vraiment persuadée. Pour notre part, nous sommes convaincus du contraire.
Il faut certes des mesures incitatives, elles sont utiles, mais il faut aussi des mesures de régulation : ces deux piliers sont indispensables. Nous vous le disons solennellement, et ces propos seront gravés dans le marbre du compte rendu de nos débats : à défaut de mesures de régulation, la situation ne fera qu’empirer et le Gouvernement en portera la responsabilité. Nos concitoyens seront de moins en moins nombreux à accéder à des soins de qualité dans des délais raisonnables. Les inégalités devant l’accès aux soins s’amplifiant, des drames humains se produiront et, un jour, un gouvernement, de quelque orientation qu’il soit, devra prendre des dispositions beaucoup plus drastiques et difficiles à faire accepter que celles que nous proposons aujourd’hui.
Madame la ministre, souvenez-vous de ce que vous proposiez voilà seulement deux ans. Nous vous en conjurons, dans l’intérêt de nos concitoyens, faites enfin preuve de courage. Le Sénat vous y invite et il vous soutiendra si vous vous engagez dans cette voie !