En cinq ans, ce sont 2 millions de Français supplémentaires qui ont été confrontés à la désertification médicale, laquelle touche désormais tant les zones rurales que certains quartiers de nos villes. L’accès aux soins serait d’ailleurs grandement facilité si davantage de médecins et de professionnels de santé ne pratiquaient pas les dépassements d’honoraires. J’aurais aimé vous entendre en appeler à la justice et à l’intérêt général lorsque j’ai engagé, au nom du Gouvernement, la lutte contre les dépassements d’honoraires !
J’ai lancé le pacte territoire-santé au mois de décembre dernier. Il me paraît important de vous rendre compte aujourd’hui de ses résultats, mesdames, messieurs les sénateurs. En effet, en tant qu’élus locaux, vous savez mieux que quiconque que la lutte contre les déserts médicaux, c’est aussi un combat pour l’attractivité et la vitalité de nos territoires.
Toutes les régions sont touchées. Il y a celles qui connaissent des difficultés depuis plusieurs années, telles la Champagne-Ardenne, la Picardie ou la région Centre. Il y a aussi celles dont on pensait qu’elles seraient épargnées, comme l’Île-de-France.
Toutefois, les inégalités les plus flagrantes sont celles qui existent au sein des régions, et même des départements, puisqu’on observe des écarts de densité médicale entre les territoires allant de un à quatre.
Si les pouvoirs publics n’agissent pas, il est certain que la situation se dégradera plus encore pour nos concitoyens, qui nous interpellent et vous interpellent régulièrement sur ce sujet. Concrètement, vivre dans un « désert médical », cela signifie rencontrer des difficultés pour trouver un généraliste ou un professionnel paramédical près de chez soi, disposé à accepter un nouveau patient, ou devoir attendre trois ou six mois, parfois davantage, pour obtenir une consultation chez un spécialiste, en particulier dans certaines spécialités, ce qui est insupportable.
Dans le même temps, il nous faut faire face à l’évolution des demandes des professionnels, qui ne veulent plus d’un exercice isolé. Cela nous oblige à réorienter notre action vers la constitution de pôles de santé et à dire clairement à nos concitoyens que le temps où il y avait un médecin dans chaque commune est révolu. C’est par territoire que nous devons désormais raisonner : il faut déterminer quelle est l’échelle pertinente.
Quelles sont donc la logique et la méthode suivies par le Gouvernement ?
D’abord, nous avons souhaité proposer un ensemble de mesures. Il ne s’agit pas d’une liste dans laquelle on pourrait piocher au hasard. Il ne s’agit pas non plus de considérer que les douze engagements qui ont été pris doivent être mis en œuvre en même temps, de la même façon, partout sur le territoire. Il faut étudier la manière dont ces mesures peuvent se conjuguer et être mises en place dans un territoire donné, en fonction des besoins qui s’y expriment.
Le deuxième élément fondateur de ce pacte, c’est la mobilisation, en particulier des administrations et des agences régionales de santé, dont je rencontre les responsables tous les mois pour qu’ils me rendent compte de la mise en place des mesures qui ont été décidées.
Autre élément important, nous avons fait le choix de l’incitation plutôt que celui de la coercition. Mais la notion d’incitation est marquée par une certaine ambiguïté. Je ne crois pas qu’une incitation uniquement financière permettra de régler le problème des déserts médicaux. Jusqu’à présent, on a tenté de mettre en place des mesures d’incitation financière sans les inscrire dans une politique d’ensemble. Cela n’a pas fonctionné et ne fonctionnera pas. C’est la raison pour laquelle, parmi les douze mesures figurant dans le pacte territoire-santé, une seule est d’ordre financier. Considérée isolément, elle n’a pas de sens : elle ne se conçoit que comme élément d’un dispositif global.
Mener une démarche d’incitation, c’est aussi prendre en considération les conditions d’exercice des professionnels de santé, mettre en place une manière de travailler qui réponde mieux aux besoins et aux demandes des professionnels.
Monsieur Fichet, sachez que je suis prête à revenir devant le Sénat avant décembre prochain pour vous présenter un bilan plus complet de la mise en œuvre du pacte territoire-santé. Pour l’heure, je voudrais faire le point sur la situation actuelle.
Le pacte territoire-santé s’organise selon trois grandes orientations : mieux former, mieux aider à la mise en place de conditions d’exercice favorables et mieux soutenir les territoires sous-dotés.
En ce qui concerne la formation, j’avais annoncé qu’il nous faudrait dans un premier temps garantir le suivi d’un stage en médecine générale par 100 % des étudiants. Je n’ai pas entendu s’exprimer de désaccord sur cette mesure.
On estime que, voilà six mois, lors du lancement du pacte, moins de la moitié des étudiants effectuaient ce stage. L’objectif des 100 % aura déjà été atteint dans sept régions à la fin de la présente année universitaire. Les autres agences régionales de santé tirent les leçons de ces premiers succès et appliquent les pratiques qui donnent de bons résultats. Elles ont lancé des campagnes pour recruter des maîtres de stage et interviennent désormais directement dans les facultés.
Sur le plan national, j’ai pris la décision de mettre en place une indemnité compensatrice pour les déplacements des étudiants et des internes qui réalisent leur stage en secteur ambulatoire à plus de quinze kilomètres de leur université. Ils recevront une aide forfaitaire de 130 euros par mois pendant la durée du stage.
Atteindre l’objectif des 100 %, c’est permettre chaque année à plus de 3 000 étudiants de découvrir la discipline de la médecine générale. Pour que des médecins acceptent de s’installer en qualité de généralistes, il faut qu’ils aient suivi des stages en médecine générale. Nous sommes donc sur la bonne voie.
Le deuxième engagement est de donner un nouvel élan aux bourses d’engagement de service public, dispositif qui n’a pas produit, jusqu’à présent, les résultats escomptés : ainsi, 1 500 de ces bourses seront attribuées d’ici à 2017.
Les dispositifs en vigueur sont trop complexes. De ce fait, seulement 200 contrats sont signés chaque année. Une simplification réglementaire est prévue : le décret sera transmis au Conseil d’État à la fin du mois de juin et les zones d’application des contrats seront élargies.
Parallèlement, les agences régionales de santé renforcent leur communication concernant ce dispositif. Les premiers résultats sont là : en Poitou-Charentes, par exemple, l’ensemble des contrats proposés aux étudiants cette année ont été signés, alors que le taux de signature ne s’élevait qu’à 38 % en 2011 et à 43 % en 2012.
Le troisième engagement consiste à installer 200 praticiens territoriaux de médecine générale dès 2013. C’est la seule mesure à caractère strictement financier de ce pacte ; elle doit, je le redis, être considérée dans un ensemble plus vaste.
La création du statut de praticien territorial de médecine générale a pour objet de sécuriser le moment de l’installation, qui constitue souvent une période difficile pour de jeunes professionnels.
Ce dispositif a été conçu en associant l’ensemble des parties prenantes, au premier rang desquelles les jeunes médecins, bien sûr, mais aussi leurs aînés. Pour que les démarches soient le plus simples possible, nous avons défini un certain nombre de règles : la rédaction du décret étant achevée, il sera bientôt transmis au Conseil d’État.
Plusieurs sujets étaient à traiter : définition des modalités de calcul de la garantie de rémunération, comptabilisation des congés, prise en compte des arrêts maladie, des congés maternité et des cotisations de sécurité sociale.
Dès la rentrée, les premiers recrutements commenceront, ciblés sur les territoires dans lesquels les besoins sont les plus importants.
Pour cela, nous avions besoin de repérer et de commencer à approcher de jeunes médecins. Tel est notamment le sens du quatrième engagement : mettre en place un « référent installation » unique dans chaque région.
Depuis le 1er février dernier, toutes les régions se sont dotées d’un « référent installation » qui connaît bien leur territoire et les procédures administratives. Cette démarche a été saluée par l’ensemble des organisations syndicales de jeunes médecins, qui trouvent ainsi un interlocuteur unique.
Par ailleurs, en Île-de-France, des permanences locales auxquelles participent des représentants de l’ARS, des unions professionnelles, des ordres et de l’assurance maladie ont d’ores et déjà été mises en place dans chaque département. Ces permanences proposent un accueil à tout étudiant, interne ou professionnel de santé porteur d’un projet d’installation. À ce jour, entre vingt et vingt-cinq professionnels sont reçus chaque mois dans la région.
Le deuxième pilier du pacte territoire-santé vise à transformer les conditions d’exercice pour répondre à la demande des professionnels de santé de pouvoir travailler en équipe.
Le cinquième engagement a précisément pour objet de développer le travail en équipe. Pour cela, les ARS se mobilisent. Voilà un an, nous comptions en France un peu plus de 200 maisons de santé : je ne suis pas en mesure de faire la distinction entre celles qui correspondaient à des projets immobiliers et celles qui concrétisaient de véritables projets de santé. Plus de 50 maisons de santé réorientées autour de projets médicaux ont déjà été créées cette année, et il y en aura plus de 300 d’ici à la fin de l’été. Plus de 300 projets de pôle de santé pluridisciplinaire sont par ailleurs en cours de concrétisation.
À ce travail en équipe doit correspondre une rémunération adaptée. Il ne s’agit pas d’en rester à l’expérimentation, monsieur Maurey, puisque la loi de financement de la sécurité sociale de 2013 a prévu la généralisation de ce mode de rémunération à l’ensemble des équipes qui se mettent en place.
Le sixième engagement est de rapprocher les maisons de santé des universités.
Là encore, nous faisons des progrès. Des jeunes qui effectuent des stages dans des maisons de santé doivent être considérés comme étant en formation et des internes ou des chefs de cliniques doivent pouvoir travailler dans ces structures : c’est d’ores et déjà le cas dans neuf régions.
Le septième engagement consiste à développer la télémédecine.
En facilitant les coopérations à distance, le développement de la télémédecine permettra de libérer du temps médical et de garantir une proximité du spécialiste sur chaque territoire. Monsieur Maurey, il ne s’agit pas d’en rester à la dermatologie, que j’ai citée à titre d’exemple.
En Aquitaine, la télémédecine permet de suivre l’évolution des plaies chroniques et des escarres dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
En Poitou-Charentes, un dispositif de télécardiologie a été lancé le mois dernier et un projet de téléexpertise en ophtalmologie est en cours d’élaboration. L’ophtalmologie est sans doute l’une des spécialités qui peut le plus bénéficier du développement de la télémédecine.
En Rhône-Alpes, le dépistage du mélanome est amélioré par un dispositif de télémédecine mis en place par l’hôpital Édouard-Herriot de Lyon.
Je pourrais aussi évoquer un projet qui a été mis en œuvre au cours des derniers mois dans la région Centre afin de procéder à des communications d’imagerie médicale entre une maison pluridisciplinaire de santé et le CHU de référence.
Ces expérimentations sont prometteuses et montrent que la télémédecine est un instrument essentiel pour remédier aux difficultés rencontrées par nos concitoyens en matière d’accès aux soins.
Il est par ailleurs nécessaire d’accélérer les transferts de compétences. Il s’agit là encore de libérer du temps médical disponible, notamment en ophtalmologie, mais des professionnels de santé ne peuvent bien sûr pas assumer du jour au lendemain des tâches qui ne relèvent pas de leur compétence initiale. C’est pourquoi nous devons formaliser la coopération entre les professionnels, sous l’égide de la Haute autorité de santé. Les choses avancent sur ce point.
En Rhône-Alpes, par exemple, deux protocoles ont déjà été autorisés, portant en particulier sur la réalisation d’échocardiographies par des infirmières diplômées d’État, et six autres sont actuellement en cours d’instruction ou d’accompagnement par l’ARS.
En Martinique, un protocole relatif au dépistage de la rétinopathie diabétique a été signé le 22 février dernier. Compte tenu de l’importance du dépistage de cette affection, il pourrait être étendu à l’ensemble du territoire national. Au cours des six prochains mois devrait être accélérée la mise en œuvre de nouveaux protocoles qui nous permettront d’aller de l’avant, en particulier en ophtalmologie.
Enfin, le troisième pilier du pacte territoire-santé concerne directement nos territoires : l’objectif est d’investir et d’agir dans les zones sous-dotées en médecins.
À cet égard, le neuvième engagement est de garantir un accès aux soins urgents en moins de trente minutes d’ici à 2015.
Les diagnostics sont achevés. Ils ont montré que les situations auxquelles nous avons à faire face sont très hétérogènes. Dans quelques régions, certes en nombre limité, une part non négligeable de la population reste éloignée de plus de trente minutes de structures de soins d’urgence.
L’implantation de nouveaux services mobiles d’urgence et de réanimation est envisageable, mais encore faut-il trouver des professionnels pour y travailler. Des réorganisations du maillage sont aussi à l’étude.
En tout état de cause, nous avons avancé. Un SMUR a été créé à Saint-Yrieix. Nous avons renforcé celui de la ville d’Agde. Dans certaines régions, en particulier en Bourgogne, nous avons mis en place des transports héliportés qui permettront d’atteindre l’objectif des trente minutes. Les ARS ont d’ores et déjà prévu de mobiliser plus d’une centaine de nouveaux médecins correspondants de SAMU d’ici à la fin de l’année, notamment en Auvergne, en Rhône-Alpes ou en Languedoc-Roussillon.
Les professionnels de santé qui sont implantés dans nos territoires doivent être appuyés par les structures hospitalières.
Aujourd’hui, de nombreux freins limitent la possibilité de recourir aux professionnels salariés et hospitaliers dans la lutte contre la désertification médicale. Le travail réglementaire à réaliser étant particulièrement long, il n’aboutira qu’au cours du second semestre.
Pour le reste, il faut faire en sorte que les hôpitaux de proximité jouent vraiment leur rôle d’appui et que les CHU assument leurs responsabilités à l’égard de l’ensemble du territoire de référence.
C’est ainsi que j’ai choisi d’étudier le maintien des hôpitaux de proximité au cas par cas, en fonction des besoins territoriaux. Il ne s’agit pas de dire que, par principe, toutes les structures de proximité ont vocation à rester telles qu’elles sont aujourd’hui, ni qu’elles doivent être fusionnées ou rationalisées. Il a été montré par divers rapports que, au cours des dernières années, des restructurations réalisées sur des bases purement financières avaient abouti à des résultats plutôt négatifs. C’est donc bien en fonction des projets de santé que nous nous prononcerons. Ainsi, j’ai maintenu la maternité de Die, que l’on m’avait pourtant recommandé de fermer : j’estime en effet qu’elle répond à un besoin que ne satisfont pas les autres structures de soins existantes. Nous examinons actuellement la situation d’autres structures avec le souci d’apporter des réponses aux besoins de la population en matière de santé.
Concernant la responsabilisation des centres hospitaliers de niveau régional, nous avons fait des progrès. Je pense au CHU de Rennes, qui a commencé à nouer des liens étroits avec les hôpitaux de proximité. Dans diverses régions, plusieurs dizaines de postes d’assistant spécialiste à temps partagé ont été créés.
Enfin, nous devons conforter les centres de santé, qui constituent une solution intéressante, notamment dans les territoires urbains. Les ARS y ont déjà eu recours dans certaines régions. Il convient de poursuivre dans cette voie ; pour cela, le modèle de financement de ces centres doit être revu.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je le sais bien, un certain nombre d’entre vous souhaiteraient que nous nous orientions vers des mesures de coercition ou de contrainte.
L’ensemble des dispositions que j’ai présentées nous permettront, je le pense, de progresser vers notre objectif commun.
Si je ne crois pas à la coercition, c’est d’abord parce que les jeunes professionnels y voient une injustice à leur égard. C’est ensuite parce qu’il faudrait, pour que ces mesures soient efficaces, qu’elles puissent entrer en vigueur immédiatement, ce qui constituerait une rupture de contrat. Or nous n’avons pas le temps d’attendre dix ans que les mesures produisent leurs effets : c’est dès maintenant que nous devons avancer. La proposition de loi Vigier à laquelle vous faisiez référence, monsieur le rapporteur, ne prévoyait la mise en place de mesures contraignantes qu’après 2020.
Enfin, il se trouve que les représentants des jeunes médecins ou des étudiants en médecine sont unanimement opposés à la prise de mesures contraignantes et souhaitent voir privilégier l’incitation. Dès lors, les risques de contournement des mesures ou des règles qui pourraient être imposées sont extrêmement forts.
Pour autant, devons-nous nous résigner ? Évidemment non ! La résignation ne serait pas acceptable. Je le dis tout aussi clairement aux jeunes médecins. Ils doivent entendre la demande d’égalité de nos concitoyens, comprendre la nécessité d’assurer une présence médicale sur l’ensemble des territoires. Je veux croire que c’est en faisant le pari de la confiance, de la coopération, que nous pourrons avancer ensemble. Ce qui a manqué, au cours des années passées, c’est du volontarisme, la volonté de mettre en place une politique résolue et de faire de la lutte contre les déserts médicaux un enjeu national. Cette volonté, monsieur le rapporteur, sachez que je n’en manque pas, non plus que de courage ! §