Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat sur les déserts médicaux est extrêmement important. Cette question préoccupe notre assemblée depuis de nombreuses années, comme en témoigne la littérature pléthorique qu’elle a suscitée, en particulier le rapport de notre collègue Hervé Maurey intitulé « Déserts médicaux : agir vraiment ».
La situation, madame la ministre, s’aggrave tous les jours. Garantir l’accès à des soins de qualité et de proximité pour l’ensemble de nos concitoyens est une priorité absolue, le principe de « protection de la santé » étant inscrit à l’article 11 du Préambule de la Constitution de 1946.
Poser la question de l’accès aux soins revient à s’interroger sur l’organisation globale de notre système de santé, depuis la formation jusqu’aux conditions d’exercice et aux modes de la rémunération, en passant par la répartition des praticiens et son articulation avec le reste de l’offre de soins et l’aménagement du territoire. Par « praticiens », j’entends non seulement les médecins généralistes, les kinésithérapeutes, les dentistes, les ophtalmologistes, les pédiatres ou les gynécologues, mais également les pharmaciens d’officine.
En effet, le maillage officinal français est indispensable à notre système de santé. Les officines constituent souvent le premier relais de santé pour la population, notamment dans les zones rurales. Compte tenu de ce rôle, au plus près des patients, les pharmaciens devraient être davantage intégrés aux équipes de soins de proximité.
Nous disposons ainsi, me semble-t-il, d’une vision assez claire de la situation de l’offre de soins dans nos territoires.
Des mesures ont été mises en œuvre au cours de ses dernières années : augmentation du nombre de médecins, avec le rééquilibrage des numerus clausus, visant à une meilleure régulation territoriale des flux de formation des professionnels de santé, répartition quinquennale des postes d’interne par spécialité et par région, quotas paramédicaux, dispositions tendant à faciliter l’exercice professionnel, notamment en milieu rural.
Pour améliorer la situation, des solutions législatives ont été proposées : je citerai à cet égard la loi relative aux territoires ruraux, comportant des dispositions en faveur du maintien et du développement de l’activité des professions de santé dans les zones déficitaires, la loi HPST et les lois de financement de la sécurité sociale.
Même s’il est sans doute encore trop tôt pour évaluer pleinement leur efficacité, force est de reconnaître que toutes ces mesures d’incitation, telles les exonérations fiscales diverses pour les médecins s’installant dans les zones déficitaires ou les possibilités offertes aux collectivités de financer le parcours des étudiants sous réserve d’un engagement à s’installer dans les zones en tension, ne suffisent pas à attirer les jeunes praticiens.
Je souhaiterais exposer brièvement la situation de mon département, la Charente-Maritime : certaines zones rurales sont éloignées des centres hospitaliers, la zone côtière voit sa population multipliée par dix en période estivale, le nord et l’ouest du département consomment les deux tiers des actes de permanence de soins.
Le conseil général de la Charente-Maritime, dont je suis membre, œuvre, en collaboration avec le conseil de l’Ordre des médecins et l’ARS, en vue d’« agir vraiment », pour reprendre le titre du rapport.
Depuis deux ans, nous menons une politique incitative visant à attirer des étudiants en médecine générale. Nous avons ainsi créé une bourse d’un montant évolutif pour les étudiants de troisième cycle, attribuée en contrepartie d’un engagement du jeune médecin de s’installer dans une zone déficitaire pour au moins quatre ans. Sept étudiants sont aujourd’hui engagés dans ce parcours. Madame la ministre, l’incitation fonctionne donc bien sur certains territoires !
La question de l’accessibilité mérite également d’être traitée, notamment pour les populations vieillissantes ou fragiles qui ne peuvent se déplacer. Afin de ne pas aggraver les inégalités territoriales en termes d’accès aux soins, le département de la Charente-Maritime offre un service de transport à la demande, assorti d’une tarification sociale pour les personnes à faibles ressources. Ce dispositif vise non seulement à faciliter les déplacements des patients, mais également à réduire le nombre des visites à domicile sans caractère d’urgence, chronophages pour les praticiens et coûteuses pour la sécurité sociale.
Aujourd’hui, nous savons que la grande majorité des jeunes médecins ne veulent plus travailler de façon isolée. La question de la formation et des conditions d’exercice est cruciale. De même, l’accès aux soins est intrinsèquement lié à l’accès aux services publics de proximité : la poste, l’école, les activités de loisirs, les crèches, etc.
La proposition n° 8 du rapport, qui est de favoriser l’exercice regroupé pluriprofessionnel en apportant un financement incitatif à l’installation en maisons et pôles de santé, mérite qu’on s’y attarde. On peut s’interroger sur la pertinence de la validation par l’État de projets de maison de santé pluridisciplinaire dans des secteurs ou des quartiers périurbains où la désertification est moins flagrante, compte tenu de l’existence d’un réseau de transport urbain.
Dans le même esprit, il convient de veiller à ce que les financements publics destinés au regroupement pluriprofessionnel soient réservés aux zones véritablement sous-médicalisées et ne créent pas de concurrence à des cabinets de praticiens déjà installés sur fonds privés.
La question se pose alors de la clarification des mesures incitatives existantes et de la régulation de l’installation des professionnels de santé, qui fait l’objet de plusieurs propositions dans le rapport de notre collègue.
D’aucuns estiment inévitable le recours à une répartition démo-géographique organisée et concertée des professionnels de santé, incluant, le cas échéant, le conventionnement d’un nombre déterminé de praticiens par département. Or, jusqu’à présent, les mesures coercitives sont considérées par les médecins et les étudiants comme le dernier recours pour résoudre la problématique des déserts médicaux.
Avant de conclure, je souhaite mettre en exergue une difficulté spécifique rencontrée par les maires de communes situées dans des zones à sous-densité médicale : l’établissement des certificats de décès.
L’établissement du certificat de décès au domicile du défunt ne relève pas explicitement de la mission impartie au médecin de garde dans le cadre de la permanence des soins, et il n’est pas rare que celui-ci refuse de se déplacer, notamment en fin de semaine ou quand il n’est pas le médecin de la famille endeuillée. On peut parfaitement le comprendre, ces actes ne faisant l’objet d’aucune rémunération spécifique.
L’agence régionale de santé de Poitou-Charentes a donc réformé les modalités d’établissement des certificats de décès lorsque celui-ci répond à certains critères – décès survenant durant le week-end, par exemple – et indemnise les médecins d’astreinte volontaires par le biais du fonds d’intervention régional.
Ce cas de figure vous semblera peut-être anecdotique, mais lorsque les familles endeuillées ne parviennent pas à contacter de médecin, elles se tournent naturellement vers le maire de leur commune, lequel se heurte aux mêmes difficultés. Je présume qu’un bilan de cette expérimentation sera prochainement élaboré, car, aujourd’hui encore, des maires nous interpellent à ce sujet.
Enfin, je souhaite attirer l’attention du Sénat sur un aspect rarement abordé de la problématique de l’accès à la santé : la médecine du travail et la protection maternelle et infantile, la PMI.
Les conseils généraux sont confrontés à de véritables difficultés pour recruter des médecins de PMI, qui ont une mission de prévention et de protection des jeunes enfants.
Quant à la médecine du travail, sa situation est tout aussi délicate et elle peine à accomplir ses missions : les départs à la retraite massifs et le manque de praticiens ne permettent plus d’assurer un contrôle efficace et régulier de la santé des salariés. Les entreprises privées, les professions libérales, les collectivités territoriales ont de plus en plus de difficultés à respecter leurs obligations légales envers leurs salariés, alors que la cotisation au forfait est versée à des organismes qui ne sont pas toujours en mesure d’honorer les prestations.
Mon collègue et ami Michel Doublet a rencontré récemment les responsables de la Mutualité sociale agricole de la Charente-Maritime, qui lui ont fait part des difficultés de l’Association de santé au travail en agriculture : faute de candidatures, celle-ci souffre d’un sous-effectif de médecins du travail, qui n’est pas sans conséquences sur la surveillance médicale des agents des collectivités territoriales, avec lesquelles cette association a signé une convention.
Madame la ministre, la santé publique est un enjeu majeur, qui appelle une forte implication des professionnels de santé, des partenaires sociaux, des pouvoirs publics et des élus pour élaborer ensemble les solutions les mieux adaptées à la réalité de chaque territoire.
Mes chers collègues, telles sont les quelques observations que je souhaitais formuler dans ce débat. J’y associe mes collègues de la Charente-Maritime, Claude Belot et Michel Doublet.