Intervention de Jean-Noël Cardoux

Réunion du 11 juin 2013 à 14h30
Débat sur les déserts médicaux

Photo de Jean-Noël CardouxJean-Noël Cardoux :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais à mon tour m’associer aux félicitations adressées au rapporteur et au président du groupe de travail pour avoir réalisé, au nom de la commission du développement durable, un rapport à la fois complet et objectif, comprenant une description exacte de la situation.

La question des déserts médicaux se pose depuis maintenant quinze ans – je suis bien placé pour le savoir puisque le département du Loiret, dans la région Centre, est l’un des moins bien dotés en matière de médecins – et a donné lieu à de multiples initiatives disparates, voire désordonnées, de la part des collectivités qui n’ont pas toujours eu les résultats escomptés.

Certains ont fait référence, à cet égard, à des incitations financières trop élevées. Je souligne au passage que personne n’a abordé, si je ne me trompe, l’échec du démarchage de médecins d’origine étrangère organisé sur l’initiative de collectivités, lesquels, pour la plupart, sont repartis dans l’année, voire dans les six mois qui ont suivi leur venue en France. Les mesures incitatives étaient insuffisantes et quelque peu désordonnées, vous l’avez souligné, madame la ministre ; elles doivent donc être canalisées. J’ajoute que les ARS sont actuellement incapables de dresser un état des aides et des initiatives prises en la matière, comme le souligne le rapport.

Face à une telle situation, l’intitulé du rapport du groupe de travail, agir vraiment, est tout à fait approprié. Sans entrer dans le détail, je retiendrai deux axes qui me paraissent fondamentaux dans ce rapport.

Le premier, tout le monde l’a dit, c’est le fait que les gouvernements successifs ont hésité à prendre des mesures coercitives d’obligation d’installation en fonction des besoins de chaque région, et je soutiens la défense de l’exercice libéral de la profession. En revanche, il ne faut pas oublier, comme l’a fait remarquer ma collègue du groupe CRC dont je retiens l’affirmation, une fois n’est pas coutume, que l’employeur des médecins, la sécurité sociale, c’est la collectivité nationale. Il est donc légitime que cette dernière veuille réguler les installations par des moyens financiers.

Il convient donc de trouver des solutions de conventionnement à plusieurs vitesses, de suppression des dépassements d’honoraires dans les zones surdotées. Avec ces éléments d’incitation financière et de renégociation des conventions en fonction des objectifs de la sécurité sociale, je pense que nous pourrions, à terme, obtenir des résultats.

Le deuxième axe, également évoqué par tous les intervenants, c’est la réforme des études médicales.

Chacun peut souscrire, je pense, à la plupart des orientations qui ont été présentées ou formulées dans le rapport. Sans aller jusqu’à l’obligation d’exercer en zone sous-dotée pendant trois ans en début de carrière, ne faudrait-il pas réfléchir à l’instauration d’un numerus clausus à l’entrée de l’université en fonction des besoins de la région dans laquelle celle-ci est située ? La plupart des jeunes médecins formés dans une université cherchent en effet à s’installer dans un périmètre relativement rapproché. C’est en tout cas le constat que nous faisons en région Centre : la majeure partie des médecins généralistes s’installent près de Tours alors qu’Orléans, qui n’abrite pas de faculté de médecine, continue d’être sous-dotée.

J’en ai parlé à quelques confrères libéraux exerçant en milieu rural ; ils souhaiteraient que puissent être organisés, un peu sur le mode des formations en alternance, des stages pratiques adossés aux hôpitaux locaux de proximité à partir de cellules décentralisées des universités, de manière à être sous le contrôle d’une équipe médicale locale et de s’intégrer dans la vie d’une commune, afin d’inciter les médecins, par la suite, à y demeurer.

Ces deux orientations – la modulation de l’installation par des différenciations de conventionnement sans remettre en cause la liberté d’installation et une réforme des études médicales dans un sens beaucoup plus pragmatique pour se rapprocher du terrain – me paraissent fondamentales. Aussi nécessaires soient-elles, ces mesures, qui devraient être mises en œuvre, à quelques nuances près, ne produiront cependant leurs effets qu’à moyen terme. Elles doivent donc être complétées.

Je voudrais insister plus spécifiquement, après mon collègue Daniel Laurent, sur les problèmes rencontrés en milieu rural. Les maisons et pôles de santé sont nécessaires, mais ils ne sont pas suffisants, ne serait-ce que parce qu’ils ne peuvent s’implanter que dans des villes importantes, au minimum des chefs-lieux de canton, sans compter le parcours du combattant que représente leur financement, avec le projet de santé, qui permet rarement d’aboutir rapidement. En l’espèce, Daniel Laurent et Jean-Luc Fichet l’ont souligné, il faudrait faire confiance aux initiatives des maires, car ce sont eux qui reçoivent les doléances de leurs administrés lorsque se pose un problème de désertification médicale.

L’une des préconisations du rapport n’emporte pas mon assentiment : je veux parler du développement de formes de médecine salariée dans des communes moyennes ou rurales. Je ne pense pas que ce soit une bonne solution, conforme à la façon dont on conçoit l’exercice en milieu rural.

En revanche, il faut développer, en les encadrant bien sûr, certaines pratiques comme les maisons médicales de garde, qui permettent de mutualiser les gardes de week-end et de nuit sur un même territoire. Il est rédhibitoire pour un médecin de devoir assurer une permanence tous les deux jours ; si les permanences sont espacées tous les huit, dix ou douze jours ou tous les dix ou douze week-ends grâce aux maisons médicales de garde, c’est tout de même un progrès important.

Il convient également d’envisager des transferts d’actes médicaux simples vers d’autres professions de santé, en particulier en milieu rural : les infirmiers, bien sûr, mais aussi les pharmaciens peuvent, dans certains cas, pallier l’insuffisance de médecins.

Le développement de la télémédecine est une évidence, ce qui implique évidemment la couverture de l’ensemble du territoire en très haut débit. Mais nous savons que le Gouvernement s’est engagé dans cette voie.

Au-delà des maisons de santé pluridisciplinaires, il serait utile, comme nous l’avons fait dans le département du Loiret, d’aider les communes à aménager de petits locaux destinés à héberger un centre de télémédecine géré par un opérateur – une infirmière, par exemple – capable de le faire fonctionner, ou encore un secrétariat assurant les tâches administratives souvent perçues comme rébarbatives par les médecins. Et puis, lorsqu’une infirmière, un kinésithérapeute, un podologue sont regroupés dans un même lieu, cela ne peut qu’inciter un médecin généraliste à venir s’installer, comme cela s’est produit dans mon département.

Par ailleurs, il faudrait permettre à ces collectivités, sous la responsabilité du conseil général, d’organiser les transports afin que les personnes âgées ou isolées puissent se rendre dans ces maisons pluridisciplinaires ou ces petites unités.

C'est l’une des raisons pour lesquelles je ne suis pas en phase avec le rapport lorsqu’il préconise de faire des ARS le portail d’entrée unique des aides. Certes, les agences régionales de santé doivent réguler, mettre en œuvre un projet commun à partir des textes élaborés par le Gouvernement, mais elles doivent aussi laisser l’initiative aux collectivités locales, en particulier aux communes et aux communautés de communes, qui connaissent leur territoire. La rigidité de la démarche de certaines ARS – ce n’est pas une critique, c’est un constat – fera mauvais ménage avec des aménagements ou des initiatives en milieu rural.

En conclusion, à ces deux détails près, qui ont toutefois leur importance, il faut faire confiance aux communes pour apporter des solutions dans le cadre déterminé par la loi. Comme les élus de terrain ont montré leur capacité à agir d’une manière désordonnée, coordonnons leur action, mais laissons libre cours à leurs propositions, car je pense que nous aurons à y gagner. Le moment est venu de dépasser la polémique et les clivages politiques pour essayer de travailler en bonne intelligence sur le sujet.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion